Sur Bungalow, son troisième album, Albin de la Simone a accompli à sa manière une petite révolution. On le savait adepte d’une chanson pop d’intérieure tout en ligne claire, facétieuse, triste et lisse dans une veine proche de Souchon, et voilà qu’en avril 2008 on l’a découvert tout de rouge vêtu arborant des chansons pleines de soleil et d’autres décorées de gimmick dance floor eighties et de choeurs « Chapi Chapo ». Que s’est-il est passé ? L’influence de Katerine ? A l’occasion de la réédition de « Bungalow » en cet été 2009, on en a longuement discuté avec lui.
Chronic’art : Bungalow ! est initialement sorti en avril 2008. Pourquoi l’avoir ressorti un an après ? C’est une seconde vie pour optimiser le succès de sa première sortie ou au contraire donner une seconde chance à un album qui a mal marché par manque de visibilité ?
Albin de la Simone : Un disque ne marche jamais assez. Mais oui, c’est plutôt une seconde chance dans le sens où plein de nouvelles choses sont arrivées entre temps. Je me suis dit qu’il fallait mieux les réunir dans une seconde version enrichie plutôt que de continuer à vendre le Bungalow ! d’origine. Et puis voilà, c’est aussi l’occasion d’en reparler. Maintenant, Bungalow est donc vendu avec un deuxième disque de titres enregistrés en acoustique, et chanter en acoustique : ça a été une vraie révélation pour moi. J’ai invité mon public dans mon studio et je leur ai fait chanter les choeurs de chaque chanson. C’était très troublant comme échange.
Comment t’est venue cette idée ?
L’été dernier, j’avais fait un concert dans un jardin avec des potes, juste comme ça, et on s’était aperçu que lorsque le batteur se tapait sur les cuisses et que le bassiste jouait les lignes de basse à la guitare, d’un coup ça libérait les chansons. Comme il y avait moins de son dans la gueule ça les rendait plus intimes. Bon, c’est évident ce que je dis là, mais on a ressenti ça vachement fort. Du coup, en décembre, j’ai proposé de fixer ça sur disque.
Et comment est venu l’idée du duo avec Vanessa Paradis sur Adrienne ? Pourquoi avoir choisi cette chanson ? Ce n’est pas la plus marquante du disque…
Ça dépend, il y a des gens qui m’en parlent beaucoup. Moi, je ne sais pas ce que j’en pense. De toute façon, je ne sais pas trop ce que je pense de ce que je fais… Bref, dans beaucoup de chansons de Bungalow, j’ai une réponse féminine par l’intermédiaire des choeurs. Mais sur Adrienne, je trouvais qu’il manquait quelque chose, ça me frustrait. Et comme Vanessa me disait qu’elle aimait ce que je faisais, un jour où je l’accompagnais en tournée en tant que pianiste, je lui ai demandé si elle serait partante pour refaire les choeurs sur ce morceau, et en studio. Elle a accepté et on s’est rendu compte que ça marchait bien, qu’on pourrait carrément en faire un morceau en forme de dialogue, elle dans le rôle de cette nana, et moi dans celui du mec qui la critique d’être pas cool. En plus, juste après avoir mis ça en boîte, un gars que ni elle ni moi ne connaissait nous a apporté un super scénario de clip. On s’est retrouvé en Cadillac dans la forêt de Fontainebleau. Tout s’est enchaîné, c’était super. Donc voilà, d’avoir tout ce nouveau matériel, pour moi, ça justifiait de ressortir le disque.
Avais-tu été globalement satisfait par l’impact critique, public et commercial de Bungalow ! lors de sa première sortie ? Parce qu’on sait maintenant que la vie des CD se raccourcit…
Oui, ça va très vite. Mais en fait je ne me formule pas la question comme ça parce que je connais des gens qui sont déçus de vendre 600 000 albums et d’autres qui sont satisfaits d’en vendre 50 000.
Mais par rapport à tes attentes à toi ?
Bah justement, mes attentes sont relatives. Selon mon humeur, je peux me trouver tantôt loser tantôt winner…
Et aujourd’hui tu te sens comment ?
Non, mais ce que je veux dire c’est que tu finis juste par te rendre compte que ce n’est pas le genre de question à se poser. Moi je suis satisfait de la vie que j’ai. Bien sûr, j’aimerais vendre plus de disques parce que ça voudrait dire que plus de gens écoutent ma musique, que je peux faire plus de concerts, que je gagne plus d’argent, mais en même temps je me dis aussi que je pourrais vendre moins que je ne vends, donc voilà, tout est relatif. Et, honnêtement, je ne tiens qu’à une chose : mon bonheur. Au bonheur des autres aussi, mais ce qui compte c’est que je sois heureux avant tout. Or, je connais tellement de gens malheureux qui vendent plein de disques… Je sais que tout ça ne fait pas le bonheur.
Mais par rapport à tes précédents albums, Bungalow ! s’était-il mieux vendu ?
Honnêtement, je n’en sais rien. C’est hyper difficile d’avoir des vrais chiffres. Et puis les chiffres ne veulent plus dire grand-chose car d’un côté on vend moins car le marché du disque s’effondre mais d’un autre côté on est plus écouté que jamais grâce au Net. Tout ce que je sais, c’est qu’il y a du monde à mes concerts et qu’il y a vraiment un truc qui se passe…
Qui ne se passait pas avant ?
Si, mais je ne compare pas, je ne fais pas de bilan tous les jours. Sinon je peux aussi me demander si cette interview est mieux que la précédente.
Tu peux !
Non, mais ce n’est pas mon truc, je préfère prendre mon temps pour faire les choses plutôt que de faire des comparaisons.
Tout à l’heure, j’ai vu que la journaliste précédente t’a demandé de dédicacer Bungalow pour son enfant de 5 ans qui l’adore. Tu plaisais déjà aux enfants avant Bungalow ?
Oui, curieusement ce que j’ai fait a toujours plu aux enfants. Dans mon premier disque il y a une chanson qui s’appelle Les Piranhas, une chanson très noire et très tendue, vraiment compliquée. Je me demande même si ce n’est pas la chanson la plus inaccessible que j’ai faite. Eh bien les enfants adoraient cette histoire de piranhas dans un appartement. Elle leur foutait la trouille, mais ils l’adoraient alors que pour moi ça parlait de névroses.
J’avais entendu le même genre de remarques à propos du Fil de Camille et de Robot après tout de Katerine. Des parents disaient que leurs enfants aimaient ces albums. En un sens, ce Bungalow très pop, sonore et ludique joue donc dans la même cour que ces deux disques.
Oui, parce que je vais franco dans une direction. Je pense que c’est pour ça que c’est intéressant. Et c’est vrai que c’est hyper agréable de toucher les enfants. Je trouve que c’est bon signe. C’est comme d’être détesté, c’est bon signe.
Des gens te détestent ?
Peut-être, mais alors ils ne me le disent pas. En tous cas, j’espère qu’il y en a, j’aimerais bien, je trouverais ça juste.
De ne pas laisser indifférent ?
Voilà, on fait un truc et il y a des gens qui aiment et d’autres qui n’aiment pas. Je trouve ça sain. Et plaire aux enfants, c’est hyper sain.
Ton souhait de ne pas laisser indifférent rejoint finalement le propos que tu tiens dans ta chanson Sympa. Tu aimerais qu’on arrête de te trouver sympathique ?
Oui, c’est toujours cette envie d’être plus fort et plus dur que ce qu’on est. On veut toujours être ce qu’on n’est pas.
J’ai même l’impression que c’est le thème clé de tes albums… Ton précédent s’intitulait Je vais changer. Et vu l’évolution musicale marquée par Bungalow et sa version acoustique, leurs sous-titres pourraient être « J’ai changé » et « J’ai encore changé »…
Oui, c’est vrai que ça m’intéresse, je suis toujours préoccupé par le fait de chercher qui on est. Par ailleurs, je travaille tout le temps avec plein d’artistes différents donc ça m’interroge sur ce que je suis moi et puis voilà je suis comme ça ; plein de doutes et je ne les renie pas. Je me fais opérer des yeux un jour, j’arrête de fumer un autre, je vis des grandes étapes à mon échelle. Il y a mois, je me suis mis aux jeans. Je n’avais jamais porté de jean de ma vie !
Ah oui ?!
Ce sont des conneries qui me regardent, quelque part on s’en fout, mais pour moi cela représente des évolutions. Je te dis ça pour te dépeindre mon état d’esprit. Je m’interdis de m’arrêter en chemin.
Avant d’entamer une carrière solo dans la chanson, tu étais arrangeur et musicien d’accompagnement pour des gens comme Boggaerts, Souchon, Aubert, Arthur H. Et à ce sujet, ta bio mentionne une phrase assez significative. Elle dit qu’auprès d’eux tu t’es « progressivement découvert une sensibilité d’auteur ». Tout cela témoigne d’une démarche on ne peut plus humble, modeste, timide, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas moi qui ai écrit cette bio mais oui c’est un peu ça. Avant je faisais du jazz, je pensais que c’était le vecteur de ma tête mais je me heurtais à des murs que je ne comprenais pas. Je crois qu’en fait je n’étais pas du tout fait pour ça. Et un jour j’ai composé la musique d’une chanson pour quelqu’un et il fallait bien bredouiller un texte pour donner l’exemple. Je me suis donc mis à écrire le texte et ça m’a plu. Je me suis donc mis à écrire des chansons…
A la base, ton rapport à la chanson est donc un rapport de changement identitaire survenu sur le tard.
Oui, parce que je devais avoir 29 ans à cette époque, c’était juste avant mon premier album. Il s’agissait de trouver le langage qui me permettrait de m’exprimer. Le truc dans lequel je ne me prendrais plus de murs. Depuis, ma vie n’est que recherches, découvertes, mouvements. Là je peux te dire un truc qui annulera ce que je t’ai dit il y a trois semaines.
Bungalow a été présenté comme un album plus fictionnel que ses prédécesseurs, un album où tu parlais moins de toi. Mais je n’ai pas l’impression que tu y parles moins de toi, juste que tu y parles d’une autre facette de toi…
Il y a deux heures, une personne m’a dit que je ne parlais plus du tout de moi ! Qu’avec ces chansons on ne savait plus qui j’étais, tout ça. Peut-être… Mais voilà, en même temps j’aime aussi l’idée de raconter des histoires. On ne fait pas que des choses pour parler de soi. Ce que je peux trouver intéressant, enfin ce qui fait que je continue de faire des chansons, c’est que je me dis : « Tiens, cette vision des choses me plaît et je ne l’entends pas ailleurs donc j’ai envie de la dire de cette manière-là ». C’est comme lorsque tu es dans une sorte de colloque où tu aurais finalement envie de réagir parce qu’aucun des commentaires qui s’est fait entendre n’a reflété ce que tu pensais.
Quand j’ai découvert Bungalow, j’ai aussitôt pensé au Robot après tout de Philippe Katerine. J’ai eu le sentiment que sur Bungalow tu t’étais laissé contaminer par son esprit ludique, déluré, eighties et que cette fois tu avais aussi essayé de créer un personnage pop, ce qui se fait rare en France…
C’est vrai que je n’avais pas exploré ça avant.
Et c’est ce que tu as voulu faire : créer un personnage pop ?
Pas spécialement.
Pourtant sur la pochette de Bungalow tu es déguisé, il y a une mise en scène…
Je voulais juste mettre une certaine distance pour dire que je jouais au chanteur. Et c’est vrai que j’aime beaucoup Katerine. Par contre, Robot après tout n’est pas mon album préféré.
C’est lequel ?
Les Créatures. Celui-là m’a bouleversé. Il montrait qu’on pouvait faire ce qu’on veut à travers de petites chansons. Pour moi, c’est du niveau de Gainsbourg.
Mais finalement, avec Robot après tout, en créant ce monstre pop grand public, à sa manière Katerine a viré Gainsbourg, voire Gainsbarre…
Oui, carrément. D’ailleurs son film, Peau de cochon, qui est totalement dingue, participe à ça. Le problème c’est que comme Robot après tout est le disque du virage vers le succès, c’est aussi le disque vers la fin du succès. Du Katerine, j’ai l’impression qu’on n’en bouffera pas longtemps.
C’est-à-dire qu’à ce stade il va avoir du mal à se réinventer, à refaire sensation…
Oui, la société est faite de telle sorte que c’est compliqué quand on se retrouve dans ce genre de position. Mais cet album était bien parce qu’il montrait qu’on avait besoin de sourire, nous les artistes comme le public. Et moi, comme Mathieu Boggaerts, Arthur H, Pierre Bondu, je me suis retrouvé à avoir eu envie de sourire. Maintenant ça se calme un peu, mais c’est vrai qu’à ce niveau-là cet album a crée un vrai appel d’air.
Appel d’air qui t’a donné envie de la jouer plus pop et coloré, comme lui ?
Oui, mais à ma façon, parce que je ne suis pas du tout foutu comme Katerine. Je n’ai pas du tout son exubérance complètement hallucinante. Je suis soit beaucoup moins, soit beaucoup plus complexé que lui, ou alors pas du tout au même endroit et de la même manière. Mon chemin est ailleurs. Mais je vois ce que tu veux dire et… Je ne sais pas quoi te dire d’autre !
J’ai l’impression que Katerine et toi avez un autre point commun : celui d’être ou d’avoir été pas mal influencé par Souchon. Tu me diras, vu la patte, l’ancienneté et le rayonnement de Souchon, vous n’êtes pas seuls dans ce cas-là. Mais au début de sa carrière, bien que plus décalé, Katerine arborait une sensibilité d’humaniste triste, poétique et lunaire très souchonienne. Il s’en est petit à petit séparé et j’ai l’impression que tu tentes de faire de même en contrariant ton naturel sympa et ton sage ancrage chanson française…
Disons que je ne peux pas tout maîtriser mais oui, s’il y a un truc que je veux casser c’est l’image actuelle du chanteur français. Moi j’ai déjà cette image en raison de mon nom, De La Simone. On croit que c’est un pseudo que je me suis choisi, mais c’est mon vrai nom. Et puis j’ai cette image parce que je chante en français. Mais ça me saoule qu’on mette tout le monde dans le même sac car Renan Luce, M, Vincent Delerm et Camille ont beau tous chanter en français, ils sont tous très différents. Et moi aussi je suis très différent. J’essaie donc de le dire et de le montrer même si au fond je fais la même chose, à savoir de la chanson française ! C’est compliqué tout ça (rires)…
C’est marrant, j’ai presque l’impression qu’il y a une certaine logique à ce que Bungalow soit réédité parce que cette seconde vie c’est comme un rebondissement qui accrédite son univers fictionnel. C’est comme si on avait la suite des aventures du personnage et de l’univers que tu y as développé.
Ce qui est marrant, c’est que maintenant que Bungalow est accompagné de sa version acoustique, c’est comme si on avait une sorte de couple Yin / Yang, rouge / bleu. Du coup, pour nommer cette version acoustique, on a enlevé le point d’exclamation au titre initial de Bungalow, parce que ce point d’exclamation représentait un peu son côté électrique, et on l’a baptisé « Mellow Bungalow » pour signifier que c’était un Bungalow plus cool, plus soft.
Quelqu’en soit le package, je suis content que Bungalow ressorte car, contrairement à tes précédents disques, celui-là m’a vraiment plu. Je le trouve subtil, fun, attachant. D’ailleurs, avec un pote à un moment c’était même devenu notre album fétiche. Tiens, je me souviens même qu’au-delà de l’influence de Philippe Katerine, on y avait aussi décelé celle de Richard Gotainer. Tu confirmes ?
Oui, je m’attendais à parler de ça parce qu’on m’a déjà fait la remarque ! Cette influence doit donc être vraiment présente dans ce que je fais. Je pense que c’est beaucoup dû à mon approche des choeurs dans certains morceaux, comme N’importe quoi par exemple. Cette chanson-là fait beaucoup penser au Sampa avec ses choeurs qui font « Gnagnagnagna… ». Mais oui, sans être un fan absolu parce que je ne connais que ses tubes, c’est sûr que Gotainer est une influence.
Question de génération : on a tous été exposé à ses ritournelles publicitaires…
Oui, c’est la société dans laquelle j’ai grandi.
D’ailleurs même le titre de Bungalow est très Gotainer car dans « Bungalow » y’a « Banga » et dans Bungalow y’a de l’eau !
Ah, c’est drôle ! Je n’y avais pas du tout pensé !
Comment ce titre t’est-il venu ?
J’ai composé ce disque dans un bungalow. Et puis j’aime bien ce mot-là : il sonne.
Bref, l’influence de Gotainer, tu ne la revendiques pas mais tu l’assumes ?
Oui, évidemment, de même que celle de Souchon, que je connais beaucoup plus.
Et pour cause, tu as été un de ses musiciens de tournée…
Et il est même venu chanter en duo avec moi sur mon premier album. D’ailleurs, Souchon, je pourrais d’autant plus t’en parler qu’on me dit tout le temps que j’ai quelque chose de lui et ça a l’air irréfutable, alors je l’assume. Encore une fois, ce qui nous rapproche, je pense que c’est une histoire de voix. On a le même timbre. Mais ce que je fais est quand même différent. Il n’empêche, j’aimerais avoir son écriture, sa poésie…
Et sa longévité ?
Ah oui ! Parce que dans le milieu, plein de gens connaissent des hauts et des bas. Par exemple, Maxime Le Forestier a vécu dix ans d’échecs atroces. Souchon, il n’a jamais vécu ça, il n’a pas cartonné d’un coup et du coup on ne l’a jamais traité comme de la merde, il n’a jamais été has been, c’est dingue. En fait, c’est comme s’il avait toujours été là. J’aimerais avoir sa courbe très longue et très lente de progression.
Il a toujours eu cette place de loser mignon qu’on cajole comme une part de soi. Mais au-delà de la voix, ce qui vous rapproche, je trouve, et c’est sûrement lié, c’est justement cette manière de véhiculer une grande mélancolie derrière des chansons d’apparence légères voire guillerettes.
Ça, tout le monde ne le voit pas.
Pourtant ça me semble assez palpable. A l’écoute de ces chansons si douces et douillettes, qu’elles confinent parfois à la transparence, on ne peut pas se dire que le mec qui les a faites va parfaitement bien !
Pourtant ça va plutôt pas mal (rires) ! Je ne suis pas dépressif du tout, mais oui, il y a de la noirceur. J’essaie juste de lui trouver une bonne place pour qu’elle soit utile.
Chez toi, j’ai remarqué que la noirceur pouvait passer par des situations un peu loufoques, absurdes, comme c’est le cas dans Le Pull qui, sous ses dehors fantaisistes, laisse sourdre quelque chose de lugubre, un grand vide…
Oui, c’est vrai. C’est intéressant d’entendre des analyses comme ça parce que ce n’est pas des choses que je maîtrise. Je fais les chansons que j’ai envie de faire, que je finis par trouver bien et au bout d’un moment je les enregistre et après, à part en live, je n’ai plus de rapport avec.
Cette sensation, ou tout du moins ce thème du vide, se retrouve aussi dans Mythomane, qui raconte l’histoire d’un personnage de fiction un peu pirouette cacahuète qui, par définition, n’a jamais existé et n’a rien vécu…
Oui, même en tant que personnage de fiction, il n’a jamais rien vécu.
Tu te projettes dans ce mythomane qui a des problèmes d’existence ? On en revient à l’histoire des jeans de tout à l’heure…
On en revient à tout ce qu’on n’est pas et tout ce qu’on ne sera jamais. Oui, c’est très bien vu et très intéressant pour moi d’entendre ça.
On a évoqué Gotainer à propos des choeurs féminins gnagan qui rythment Bungalow. Finalement, je me disais qu’ils étaient tout simplement très eighties car, par exemple, moi ils m’ont aussi fait penser aux voix du générique de Chapi Chapo que je regardais quand j’étais môme.
Ah, je revois la musique : « Chapo Chapo, Tibidi, Chapi Chapo, Tibida… ». J’avais pensé à Gotainer et François de Roubaix, notamment sa musique réalisée pour Le Chef d’orchestre avec Louis de Funès, un truc qui fait : « Chibidibida… ». Mais je n’avais pas pensé à Chapi Chapo.
La musique de Chapi Chapo, c’est aussi du François de Roubaix !
Ah ok. Je me rappelle que je pensais aussi à Gainsbourg, à sa manière de mettre des choeurs anglais sur certains de ses morceaux.
Genre « Shebam ! Pow ! Blop ! Wizz ! » ?
Oui.
A propos de Gainsbourg, ton morceau J’avais chaud a une humeur proche de son New York USA…
Faudrait que je le réécoute. Je connais une histoire sur cette chanson-là.
Laquelle ?
En fait, il parait qu’il l’a entièrement pompé sur des musiques traditionnelles africaines, notamment le refrain. Il a entendu un truc qui sonnait comme « C’est haut, c’est haut, c’est haut » et il l’a traduit phonétiquement en français.
Gainsbourg est suspecté d’avoir pompé tellement de choses !
Oui, mais on marche souvent comme ça, par sonorités. Sur la version concert acoustique de Bungalow, une chanson s’appelle Mes amis et le refrain c’est : « Demain je mange mes amis ». Le sens est complètement délirant parce qu’à la base cette phrase était une sorte de yaourt, mais voilà, finalement, je n’ai pas réussi à trouver mieux que le flow de ces mots et du coup j’ai construit une chanson autour de ça. Ça change ! Au lieu de partir d’une idée tu pars d’un son, ce qui fait que ça vient moins de ton cerveau. C’est comme changer d’instrument de musique. Je suis pianiste, donc si je prends une guitare, je ne vais pas du tout avoir les mêmes idées que d’habitude. Après, mon cerveau reprendra le relais mais ce sera trop tard.
La chanson aura été façonnée instinctivement comme une petite pâte à modeler et honoré comme l’ « art mineur » qu’y voyait Gainsbourg ?
Oui, comme un bonbon.
Je trouve que tes textes de chansons sont chouettes, les mots bien choisis, le tout ciselé. Un vrai style s’exprime. Tu écris beaucoup ?
J’adore ça mais j’écris peu. J’écris parfois de longs textes que je publie sur mon site. C’est comme des petites nouvelles. J’y parle souvent de choses qui me sont arrivées, comme de ce jour où je me suis tiré un plomb dans la tête quand j’avais 12 ans, par erreur. Mais j’écris peu dans la mesure où tout ce que j’écris est publié sur mon site où figure dans les chansons que je grave sur disque. Je m’autocensure trop pour me laisser écrire un truc que je ne publierai pas. Par exemple, récemment une chanteuse québécoise m’a commandé une chanson, une nana très chouette qui s‘appelle Stéphanie Lapointe et qui sort bientôt son prochain disque. Je lui ai envoyé deux chansons, musique et texte, et elle en a pris une qui est un duo avec moi ; on a donc enregistré ce duo, encore un duo avec une fille, et voilà, la chanson qu’elle n’a pas prise est devenue la première chanson de la version acoustique de Bungalow. Comme je l’aime bien et que j’écris trop peu, je l’ai tout de suite recyclée !
Tu comptes développer cette activité de parolier ?
J’adorerais, mais l’occasion ne s’est jamais vraiment présentée. C’est-à-dire que jusque-là, au dernier moment les trucs auxquels j’avais participé était tombé à l’eau. Là, c’est la première fois que ça se concrétise. J’ai vu la pochette du disque et tout donc je suis quasiment sûr que ça va sortir. Peut-être que je vais enfin commencer à réussir à écrire pour d’autres.
Question con : quelle est ta chanson préférée de Bungalow ?
Au niveau de la mise en forme je ne saurais pas te dire, mais en terme de paroles et de musique, je pense que c’est J’aime lire. J’aime bien cette chanson parce qu’on ne sait pas de quoi elle parle. Je dis que j’aime lire des tas de choses mais je finis par dire qu’il y a une lettre que je ne le lirai pas car j’ai trop peur de savoir ce qu’elle renferme. Une chanson qui parle d’un point d’interrogation, ça m’intéresse.
Le vide, encore !
Oui et en même temps elle peut évoquer plein de choses à plein de gens. On peut tous être touché par ça. Quand je fais ça, j’ai vraiment l’impression de faire une chanson populaire.
A part la réédition de Bungalow quels sont tes projets du moment ?
Je suis en train de travailler sur un projet très lourd, très chouette et très conceptuel que je monte tout seul autour du cinéma et de la musique de film.
Un retour au jazz ?
Non, mais un retour à l’instrumental. Ça comprendra peut-être une expo, un livre, je ne sais pas encore. Tout est possible.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Bungalow.
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