Best-seller des années 80, William Bayer s’est depuis fait plus discret. Retour sur l’auteur de « Pèlerin », « Wallflower », « Le Rêve des chevaux brisés, La Ville des couteaux », tous parus chez Rivages.
On n’est pas écrivain de romans policiers à plein temps depuis plus de quarante ans uniquement parce que vos parents ont eux-mêmes signé quelques crime novels dans les années 1950. William Bayer ne lâche pas tout de suite le morceau : « Je ne suis pas devenu un auteur de thrillers parce que j’étais lecteur de ce genre de bouquins auparavant », précise-t-il. Manière de signaler qu’il n’a jamais été un fan comme son ami Lawrence Block. « Pour tout dire, j’ai commencé avec la grande littérature : Graham Greene, Hemingway, Stendhal, André Gide… et voila où je suis tombé aujourd’hui ». Bien sur, on imagine qu’il n’en pense pas un mot.
L’Assassin est au ciel
Publié une première fois à la Série Noire (L’Assassin est au ciel), réédité depuis chez Rivages (nouvelle traduction, nouveau titre : Pèlerin), Peregrine (1981) reste, ses lecteurs s’en souviennent encore, l’un des meilleurs thrillers urbains des années 1980. Il n’a pas vieilli. Comme toujours chez Bayer, l’histoire est simple et brutale à la fois. Un fauconnier dresse son oiseau à assassiner des jeunes femmes en plein New York. L’intrigue maintient jusqu’au bout la tension entre érotisme déviant et suspens crescendo. C’est aussi dans ce roman qu’apparaît pour la première fois Franck Janek, détective du NYPD. « Je ne sais pas pourquoi, les Français aiment ce livre plus que tout le monde. C’est très surprenant. Plusieurs producteurs m’ont acheté les droits pour en faire un film, jusqu’à Mylène Farmer qui a longtemps voulu jouer dedans, mais ça ne s’est pas fait. A une époque, aussi, j’étais très ami avec Brian de Palma ». On sent poindre une légère trace de regret dans ces paroles… D’autant que Switch (Une tête pour une autre, 1985), la seconde enquête de Janek (un assassin tue deux femmes dans deux endroits différents, une putain et une madone, et intervertit les têtes : pourquoi ?), inspirera à CBS une série de sept films TV avec l’acteur Richard Crenna dans le rôle principal. Ce qu’il en pense ? « Richard était un brave gars. Il disait que c’était lui Janek. Il me disait « Shut-up ! Je sais que Janek ferait ça », alors j’ai écrit quelques scripts originaux, mais dans l’ensemble je n’aime pas trop me retrouver dans la peau d’un employé ». Résultat : il y a eu plus de films avec Janek que de livres – quatre, en comptant Wallflower et Labyrinthe de miroirs. Et la plupart des romans sont aujourd’hui indisponibles aux Etats-Unis. « La recette du best-seller est fort simple dès lors qu’on accepte de faire une série, mais comme je n’aime pas me répéter, mes romans suivants étaient tellement différents que les lecteurs n’ont tout simplement pas compris ». Les ventes s’en sont ressenties. « Comme mon nom restait associé aux films avec Janek, on m’a dit que ce serait mieux de prendre un pseudonyme pour faire autre chose. Quel nom ? Pour les gens du marketing, il faut un nom commençant par une lettre du milieu de l’alphabet, pour ne pas être placé trop haut ou trop bas dans le rayon, mais juste à la hauteur du regard de l’acheteur. Ils aimaient bien David Hunt parce que plus c’est court, plus les lettres sont grandes sur la couverture. C’est vraiment stupide ». Mercenaire de la plume, David Hunt a vécu, le temps de deux romans et puis s’en va.
L’Homme aux Loups
L’action pour l’action n’intéresse pas Bayer. L’introspection est devenue le maître mot de ses thrillers psychologiques fortement teintés de psychanalyse. « Pour moi L’Homme aux Loups, l’un des cinq cas de psychanalyse de Freud, est l’une des meilleures detective story jamais écrites ». Allongé sur le divan, il révèle enfin l’origine de son attirance pour le roman criminel. La scène inaugurale appartient aussi à l’histoire familiale. « Ça remonte à mon enfance. J’étais du genre fouineur qui aimait bien aller fouiller dans les affaires des adultes et c’est comme ça que j’ai mis la main sur le journal intime de ma mère. Une femme assez compliquée. Donc, je trouve ce journal où elle raconte en détail ses séances de psychanalyse. Certains passages étaient codés ; il m’a fallu plusieurs tentatives pour tout lire. Ce qui m’a le plus déçu finalement, ce n’était pas tellement de connaître le nom de ses amants, mais de constater qu’à aucun moment ni mon nom ni celui de ma sœur n’apparaissaient. Nous n’existions tout simplement pas pour elle ». L’anecdote apparaît presqu’à l’identique dans Le Rêve des chevaux brisés (The Dream of the broken horses, 2002), son roman le plus autobiographique.
Maîtrise des stéréotypes
Rayon technique, on appréciera son style, dense et rapide : chapitres courts, alternance de personnages forts, chassés-croisés d’intrigues, le savoir-faire est évident. Pourtant, nonchalant et décontracté, Bayer ne se la raconte pas polardeux sur les bords, et ne la ramène pas non plus quand il se plante. Tarot (2004) n’a été publié qu’en France : ce roman racontant la croisade de Cap, un ex-policier devenu chasseur de satanistes depuis le meurtre rituel de sa petite fille, ne tient pas toutes ses promesses et l’auteur passe complètement à coté du couple de tueurs, le frère et la sœur incestueux, lucifériens, décadents (lecteurs de Baudelaire), jeunes, riches, beaux… Vraiment too much pour être honnêtes, il en convient lui-même. A l’opposé, La Cité des couteaux (City of knives, 2006) illustre sa parfaite maîtrise des stéréotypes. Buenos Aires sert de cadre à cet éblouissant roman qui ne recule devant aucun poncif de carte postale : le tango, l’évocation des années sombres de la dictature militaire (on y croise même d’anciens Nazis à la recherche du poignard de Goering), sans oublier la psychanalyse (« Là-bas même les chauffeurs de taxi font de la psychanalyse pendant leur course »). N’importe quel écrivain succomberait à l’excès de trop plein, mais pas lui : à 70 ans passés, il s’en sort toujours avec une absolue légèreté. Hélas, le livre s’est très mal vendu aux Etats-Unis. Voilà pourquoi il ne tarit pas d’éloges sur son éditeur français : « Il n’y a plus d’éditeur de la trempe de François Guérif, dont la loyauté va aux livres plutôt qu’au tiroir-caisse ». C’est dit.
Wallflower, Le Rêve des chevaux brisés & La Ville des couteaux, de William Bayer
(Rivages / « Noir »)