Auteur de « La Vie secrète des jeunes » ou des aventures de Pascal Brutal, Riad Sattouf déboule au cinéma avec Les Beaux gosses, immersion hilarante dans un collège peuplé d’ados moches dévorés par leurs pulsions et revisitation zoologique du mythe contemporain du « teen ».
Fin du quart d’heure américain, et retour au collège, à Rennes, juste avant le contrôle de biolo. Un gros plan étouffant sur un roulage de pelle trempé de salive avec un bout de langue qui vient titiller une joue. Sur cette joue, un gros bouton blanc prêt à l’éclat. En contrechamp, Hervé et son copain Camel observent la scène, ahuris. Les beaux gosses du titre, ce sont eux et pourtant ils pataugent en plein dans cet âge que l’on dit pudiquement ingrat. Ils dédient toutes leurs pensées à la branlette sur catalogue de La Redoute et à la perspective de sortir avec une fille. La grande réussite du film est dans la distance trouvée avec ses anti-héros, ni créatures célestes parées de toutes les vertus (et surtout pas érotiques), ni des monstres regardés de haut. Si le film a l’air de prendre sa part d’ingratitude, avec ses gros plans, ses amorces et ses comédiens plantés devant la caméra, c’est aussi que Riad Sattouf a su relier son portrait de vilains canards à une mise en scène moins hyper inventive (même si l’on y trouve, en vrac : une pelle en vision « caméra embarquée », un insert génial sur une photo de La Redoute, une B.O. à la Steak et quelques autres pépites) que constamment requise par le désir d’accompagner ces personnages au plus près de leurs tourments – appuyer non pas là où ça fait mal, appuyer sur les boutons. Rencontre à Paris avec le néo-cinéaste, avant son départ pour Cannes 2009 où le film était présenté à la Quinzaine des Réalisateurs.
Chronic’art : Comment êtes-vous passé à la réalisation ? C’était une commande ?
Riad Sattouf : J’avais depuis longtemps le fantasme de faire un film, mais je n’avais pas le courage de chercher des producteurs, de faire et refaire des versions de scénarios, de changer des dialogues pour éviter les foudres de je ne sais quelle amicale catholique, etc. J’ai déjà été échaudé quand j’ai commencé la BD, à cause d’éditeurs frileux gênés par mon travail, jusqu’au jour où ça a fini par passer, et alors on m’a laissé faire ce que je voulais, justement parce que c’est ce côté « lâché » qui plaisait. Je ne voulais pas qu’il m’arrive la même chose avec un film, qu’on me dise « fais pas ci, fais pas ça ». Finalement, c’est une productrice qui est venu vers moi : elle m’a proposé de faire un film comme je le voulais, sans qu’on m’impose quoi que ce soit, ni des comédiens, ni des retouches de scénario inutiles. J’ai eu une chance incroyable, surtout pour un premier film.
Dans le style et dans la méthode, qu’est-ce qui reste de la BD dans le passage à la réalisation ? Est-ce que vous pensez au plan comme à une case, par exemple ? Est-ce que vous faites un storyboard ?
Quand j’étais étudiant à l’école des Gobelins (Paris), j’avais un super prof, Alain Monclin, qui était chef-opérateur et directeur du département image de la Fémis. Dès que j’ai su que j’allais faire un film, j’ai contacté ce prof et j’ai repris avec lui des sortes de cours. On a revu des films, et il m’a donné des éléments de compréhension inestimables sur le travail de mise en scène spécifique au cinéma. Donc je suis vraiment parti sur mon film avec en tête des idées de cinéma. Une fois le scénario terminé, j’ai presque automatiquement commencé à faire un storyboard, d’autant que j’avais étudier ça aux Gobelins. Mais je me suis arrêté au bout de deux scènes : c’était inutile, en dessinant un storyboard j’aurais simplement fait une BD. Et puis surtout, quand j’ai commencé à rencontrer des comédiens, à les voir bouger, réagir, je me suis rendu compte que ça multipliait les possibilités par cent. Travailler une scène avec les comédiens, imaginer le découpage à partir de leurs mouvements, c’est beaucoup plus enrichissant qu’un storyboard où tout est millimétré à l’avance. Ça peut être utile pour un film de genre, par exemple, mais pas pour un film sur des ados. Quand j’ai compris cela, c’était un peu angoissant parce que je me suis rendu compte que je ne pourrais pas me reposer sur ma pratique de dessinateur. Il fallait inventer autre chose, trouver un moyen de faire passer autrement ce dont je parle dans les BD : l’adaptation des gens à leur environnement, comment la société, les proches, les parents, mettent un cadre sur les pulsions de chacun, le physique des gens, etc.
Qu’est-ce qui, du style de vos BD, est passé dans le film ?
Je dirais les gros plans. Dans mes BD, je fais beaucoup de gros plans, parce que ce qui m’intéresse, ce sont les visages, les vrais visages, pas ceux qu’on voit dans les pubs. Ce goût pour le gros plan est passé dans le film, mais pour moi, le film n’est pas du tout une transposition de la BD. Même s’il y a des points communs entre les deux, tout passe par un autre biais.
Habituellement, les films sur les adolescents nous les montrent comme des animaux bizarres, pour exacerber le fossé qui se serait creusé entre eux et la génération précédente, qui ne les comprends plus. Dans Les Beaux gosses, il y a un mélange étrange entre aujourd’hui (le film se passe de nos jours), hier (il parle beaucoup aux personnes nées fin 70’s, début 80’s) et toujours, puisqu’il montre des choses de l’adolescence, qui sont éternelles et universelles…
Je ne voulais surtout pas que le film ait l’air d’un « portrait de la jeunesse d’aujourd’hui ». C’est pourquoi les ados, par exemple, sont tout le temps habillés de la même manière, c’est-à-dire comme je l’étais dans les années 90. De même, ils n’ont pas de MSN, d’iPhone, etc. Celui qui en a un, tout le monde se fout de lui. En fait, j’ai voulu mélanger mon expérience d’ado à celle des ados d’aujourd’hui, encore une fois pour éviter le côté « générationnel », comme j’ai fui tout discours sur le « mystère des ados ». Il ne s’agissait pas d’avoir une vision verticale de l’adolescence, sur le mode : les ados et l’école, les ados et la famille, les ados et la sexualité, etc. Au contraire, il s’agissait d’avoir une perspective horizontale, pour raconter le monde vu par des adolescents : les gens bizarres vus par les ados, les filles vus par les ados, les profs vus par les ados, les trucs énormes vus par les ados. Si bien que ce sont eux qui font les situations, les scènes, et pas un regard moralisateur posé sur eux.
De même, le milieu où vous avez placé les personnages est très intermédiaire : un collège dans une grande ville de province, une grande mixité sociale, des ados moyens, ni flamboyants ni irrécupérables…
Oui, j’ai connu ce genre de collège à Rennes, ni une ZEP ni un collège de bourges, juste un collège situé un peu en périphérie, entre le centre et la banlieue, où on était trois ou quatre à porter des noms arabes. Les choses nous arrivaient de loin, on n’était pas à la mode, sans être largué non plus. J’ai situé le film à Rennes pour cette raison. Quand j’ai fait la tournée des collèges pour les repérages, j’étais très amusé de voir le décalage qu’il y a entre les gosses de ces collèges, avec leurs tronches, et les ados, souvent parisiens, qu’on voit à la télé qui soit portent une mèche, un chapeau et sont habillés comme Bob Dylan dans les années 60, soit font peur avec leurs capuches et leurs casquettes. Alors que partout on trouve des ados qui portent les fringues un peu ringardes de leurs grands frères. Sur le film, comme j’étais très soucieux de crédibilité, je demandais sans arrêt leur avis aux comédiens, qui viennent plutôt de la région parisienne. Je leur demandais par exemple si l’allure des personnages était crédible, et j’avais peur qu’ils me disent que ça n’existe pas. Or ils ne m’ont pas dit qu’ils existaient, il m’ont dit mieux, ils ont répondu : « Ouais, mais on leur parle pas aux mecs comme ça ». Ça atteste de leur existence, mais ça montre aussi qu’ils sont dans une zone d’ombre, dont on ne parle pas.
Les films d’ados, de Gus Van Sant à Supergrave, même s’ils diffèrent par leur ton, sont souvent élégiaques. Les personnages sont très beaux ou très monstrueux. Les vôtres sont gentils, mais un peu merdeux et franchement moches. Vous n’insistez ni sur leur grandeur, ni sur leur misère. Encore une fois, c’est une vision intermédiaire, sans jugement. A la fin, ils ne sont pas devenus subitement resplendissants ou mélancoliques, ils ont simplement grandi…
Ce que je voulais pour la fin, c’est montrer qu’en grandissant ils perdent un truc et en même temps en gagnent un autre. Ils perdent quelque chose qui faisait leur particularité. Cette singularité qui n’a jamais été vraiment acceptée par les autres, et qui pourtant les distinguait d’eux. En grandissant, ils rentrent un peu dans le rang ; pour être acceptés, ils doivent faire comme les autres, c’est un peu triste. Quand on voit le héros du film dans l’épilogue, on ne voit plus ses cheveux parce qu’ils sont cachés sous une casquette, il ressemble à un mec lambda, un peu ridicule. L’autre personnage fan de metal devient gothique. Il me rappelle un gosse que je connaissais au collège, qui était fan de metal, mais complètement à côté de la plaque. Il se faisait remarquer, mais dans le mauvais sens du terme, de façon hyper risquée, courageuse même, parce qu’il assumait totalement.
Le film étrangement fait penser aux années 80, à P.R.O.F.S., par exemple…
… c’est vrai ?
Oui, je trouve, dans l’ambiance, et aussi via certains personnages, comme celui d’Emmanuelle Devos ou celui du prof dépressif…
Le prof dépressif, c’est vrai ! Je n’ai pas du tout pensé à P.R.O.F.S., mais maintenant que vous le dites… pour le prof dépressif, l’idée était de le montrer comme si on partait tout le temps du point de vue des ados, qui ont de lui l’image d’un type menaçant, pervers. Mais son histoire, on ne la connaît pas du tout, et elle n’a sans doute rien à voir. Le personnage d’Emmanuelle Devos ou le prof de français, c’est un peu pareil : on partage la vision qu’ont d’eux les élèves, alors qu’on ne sait rien de leur vie, sinon qu’il peut s’y passer des choses fortes. Mais je n’ai pas voulu faire un film sur les profs.
La musique aussi, que vous avez composée avec Flairs, fait également penser aux années 80, avec ses nappes electro-Bontempi, son côté Jean-Michel Jarre…
Oui. Pour le premier morceau du film, j’ai fait une démo et avec Flairs on a décliné le thème de cette chanson sur tout la B.O.. Quand j’étais ado, c’était un néant culturel dans ma tête, je ne connaissais rien en musique, et la première cassette que j’ai achetée à 14 ans, c’était la B.O. de Top gun, donc c’était la loose. Par contre, je tripais comme un taré sur les musiques de jeux vidéos. Je les enregistrais sur des cassettes et je les écoutais avec mon walkman. J’avais acheté, en cumulant un anniversaire, un Noël et de l’argent de poche, un Amiga 500. C’était le plus beau jour de ma vie. Il y avait des jeux démentiels, avec des musiques incroyables, et j’étais fasciné par l’idée d’une musique robotique, sans êtres humains. Ces musiques sont devenues la B.O. de mon adolescence. Pour la musique des Beaux gosses, j’ai voulu garder la trace de ces musiques qui amènent très doucement de l’émotion, de l’humanité. Je ne voulais pas de musiques positives, joyeuses, je voulais des musiques mystérieuses et mélancoliques, comme celles entendues sur mon Amiga.
Propos recueillis par
Lire notre chroniques des Beaux gosses, de Riad Sattouf (en salles le 10.06.09)