Liquid Liquid est le groupe qui incarne la quintessence même du punk funk responsable (malgré lui) et entre autres choses de l’émergence, au début du troisième millénaire, de la galaxie DFA et de Lcd Sound System mais référence également incontournable pour les Foals, Hot chip et autres Animal Collective. L’année 1980 voit la création du label 99 Records dont les premières signatures ne sont autres qu’ESG et Liquid Liquid qui poseront les bases toujours inégalées de ce que l’on qualifiera de minimal funk. Ou comment travestir le funk et le jazz sur des bases rythmiques proches de secousses telluriques, produire des lignes de basse ultimes (celles de « Cavern », a fait le bonheur du White Lines (« Don’t do it ») de Grandmaster Flash) et des concerts (encore aujourd’hui) reçus comme des uppercuts. Interview de Salvatore Principato, avant son concert à Villette Sonique vendredi 29 mai 2009.
Chronic’art : Vous êtes une personnalité discrète, mais néanmoins hyperactive. Vous êtes à la fois Dj, chanteur, poète, percussionniste, producteur, performer, photographe, designer… Pouvez-vous nous parler de toutes ces activités que vous menez parallèlement à Liquid Liquid ? Le groupe Fist Of Facts, vos collaborations avec Ectomorph, Dj Kaos, Brennan Green, etc.
Salvatore Principato : Je suis « discret mais hyperactif ». En règle générale, mon approche consiste à mélanger des thématiques artistiques, sociales et personnelles d’une manière cohérente et je l’espère efficace. La plupart des projets auxquels je participe sont simples et vont droit au but, avec pour directive de ne pas succomber à un style déjà établi. Les personnes avec lesquelles je collabore sont très directes et m’obligent à être rigoureux à tous les niveaux. Je m’intéresse à l’esthétique au sens le plus large que ce soit la musique, la littérature, les arts visuels, la gastronomie ou la promotion d’événements organisés par diverses communautés. Je m’efforce d’intégrer les divers éléments sociaux et politiques que l’on trouve dans une ville comme New York de manière à élargir la définition de la culture et aussi ma propre identité.
Quel souvenir gardez-vous du mode de vie à New York au début des années 1980 ?
Je ne me suis installé à New York qu’à la fin de années 1970. Avant cela, j’ai passé deux ans à San Francisco et j’ai grandi dans le New Jersey à quarante minutes de Manhattan. Une chose que je peux affirmer sur cette période, c’est qu’il était possible pour un artiste d’être underground et d’avoir de l’influence. Des loyers pas chers peuvent faire toute la différence. La culture de la consommation, la spéculation économique et la surcharge d’information ont complètement changé la dynamique, passant de ce qui valorise la démarche à l’exigence d’un résultat prémédité. Je ne préconise pas le danger et l’écroulement, mais dans chaque désastre semble résider une opportunité, la chance d’une réinvention.
Pensez-vous que Liquid Liquid soit le fruit d’un contexte spécifiquement new yorkais ? Croyez-vous que le groupe aurait pu exister dans n’importe quelle autre ville ?
Difficile à dire. Il y a de toute évidence certaines caractéristiques propres à la musique qui reflète une sensibilité new yorkaise mais j’ose espérer que le son possède une universalité qui transcende l’époque et le lieu desquels il émane.
Quel effet cela vous fait-il d’être redécouvert près de trente ans après ? Aviez-vous conscience à l’époque d’être un groupe « influent »
J’imagine que quiconque essaierait à tout prix de faire de l’art qui ait une influence trente ans plus tard aurait toutes les chances de réunir les ingrédients pour produire un travail vénal et pompeux qui aurait probablement l’effet opposé. Tu ne peux faire ce que tu fais à ce moment précis, toute considération extérieure ne fait que nuire au résultat.
Vous pensez qu’il subsiste un esprit similaire dans la scène artistique et musicale actuelle, en particulier à Brooklyn ?
Je suis un type de Manhattan, mais oui il semblerait, pour des raisons pratiques (un coût de vie inférieur), que certains quartiers de Brooklyn ressemblent au Lower East Side en terme de vitalité artistique et sociale.
Que pensez-vous de tous ces groupes qui se disent influencé par Liquid Liquid ? DFA, Tussle, Optimo…
J’ai du respect pour ces groupes-là que tu mentionnes. Il semble qu’ils aient réussis leurs devoirs et c’est quelque chose que je n’ai pas toujours été capable de faire. Néanmoins, j’apprends beaucoup d’eux et nous entretenons d’excellentes relations de travail.
La Beat Generation semble avoir eu un fort impact sur vous. Ecriviez-vous de la poésie à cette époque ?
Absolument. Etre poète était mon aspiration de jeunesse et l’écriture m’a amené à faire de la musique. Par essence, je suis une personne littéraire, qui essaye de ne pas être trop littérale.
Comment gagniez-vous votre vie en dehors de la poésie, des performances et de la musique ?
J’ai commencé par faire toutes sortes de petits boulots : coursier à vélo, ouvrier, vendeur au détail… Jusqu’au jour où j’ai été embauché comme photographe par une maison d’édition. J’ai gardé ce job pendant pas mal de temps car j’avais un emploi du temps très flexible et cela restait dans un domaine créatif.
Comment avez-vous été amené à jouer des percussions et à rejoindre Liquid Liquid ?
Il semble que la percussion était déjà en moi avant d’avoir eu en main le moindre instrument. Cela correspond à la fois à mon besoin d’exprimer le rythme et de déconstruire le son séquencé afin de le comprendre. Ma participation à Liquid Liquid résulte d’amitiés et aussi d’une excroissance d’autres projets avec des membres des groupes dans lesquels j’étais constamment impliqué. Mais c’est lorsque nous avons tous convergé à NYC que la musique et le groupe ont commencé à prendre forme.
Quels étaient vos « héros » à cette époque ? J’ai appris que vous étiez fan de Yma Sumac et de Patti Smith…
Bien sûr, Patti Smith, pourquoi pas ? Elle citait Arthur Rimbaud, venait du New Jersey
et parlait de « prendre ce train qui menait à New York pour devenir quelqu’un ». Yma Sumac était sauvage, elle possédait cette excentricité sensuelle, non-linéaire, à laquelle je peux totalement m’identifier.
Fréquentiez-vous des clubs disco comme le Paradise Garage ? Ou faisiez-vous plutôt partie de la scène punk ?
J’étais davantage impliqué dans la scène punk quand j’habitais à San Francisco. C’était excessif et fun. Tout à fait irrésistible. Même si le groupe se produisait parfois au Paradise Garage, nous sortions plutôt dans des lieux comme le Mudd Club et Danceteria, puis plus tard au Roxy.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à la musique électronique et à la dance ?
Cela nous entourait à l’époque, et quand notre musique a commencé à être appréciée dans le contexte des clubs, j’ai vraiment commencé à aimer la dance music qui était à ce moment-là principalement électronique, depuis que le disco avait vu le jour au début des années 1980. J’adore être Dj pour surprendre les gens, pour créer un sentiment d’élévation grâce à des sons juxtaposés. Je ne sais pas en revanche si je serais très motivé pour animer les mariages ou des concerts de ce type, mais quand j’ai la liberté d’être moi-même devant un public qui est à fond dedans, ça devient vraiment bon.
Vous semblez vous intéresser à la musique « roots » (principalement le dub, le reggae ou l’afrobeat) et au groove primitif / industriel, davantage qu’à la musique dite « indie », régie par des conventions d’« entertainment » et des sonorités typiquement occidentales. Je suppose qu’il y a une éthique spirituelle et politique, une forme d’engagement derrière vos goûts musicaux…
Oui, exactement. Selon moi, la fête doit apporter quelque chose au delà de la fête en elle-même et c’est le cas dans certaines communautés musicales. La simple transcendance, c’est bien, mais c’est trop neutre, l’endroit où cela te mène peut être indifféremment bon ou mauvais. Mais dès que tu ajoutes l’élément d’engagement social, politique et spirituel, là ça devient une vraie fête. C’est pourquoi je considère un génie tel que le regretté Fela Kuti comme étant l’une de mes plus grandes inspirations. Aussi, je considère que la musique qui dérive de cultures où elle fait intrinsèquement partie de la vie est plus vitale et possède plus de résonance qu’une musique créée uniquement à des fins de divertissement.
Quels sont les artistes que vous appréciez le plus aujourd’hui ?
J’apprécie avant toute chose tous mes amis à New York City qui font un travail génial : producteurs, Djs et promoteurs de soirées. Je voudrais saluer aussi Dj Spun & la famille Rong Music, Dennis « citizen » Kane, Brennan Green, Jacques Renault, BMG de Ectomorph à Detroit et Jerome Derradji de still music. En Angleterre, Faze Action, Mudd, Trus’me, Kaos à Berlin, Joakim à Paris.
Des musiciens live?
Panico (Chili / Paris), Los Hermanos à Detroit. Felice Rosser & Faith, Kaleta & Zozoz Afrobeat Foly & Asiko, tous à New York. A n’importe quelle époque donnée, approximativement 10% de la production musicale est intéressante. Peu importe dans quel genre ou quel style, il faut se contenter de cela. Sinon, le dernier bouquin qui m’a retourné : La Brève et merveilleuse Vie d’Oscar Wao, de Junot Diaz. Et dernièrement, j’ai surtout écouté la radio pour les news et la mise en perspective de l’information : la radio publique aux Etats-Unis est devenue vraiment bonne ces derniers temps.
Propos recueillis par
Liquid Liquid est en concert vendredi 29 mai 2009 dans la cadre du festival Villette Sonique (Paris).
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