Karin Dreijer est ce personnage surprenant qui, a t-on entendu ici et là, ne donne des interviews que derrière un masque. Pour Chronic’art, nul apparat : le court échange aura lieu par mail. Toutefois ses réponses, opaques ou évasives, échappent rarement au mystère dans lequel est plongée sa musique, qu’elle évoque avec un enthousiasme bien réel le « Miami Vice » de Michael Mann ou même le « Dead man » de Jim Jarmusch, ses influences les plus évidentes pour Fever Ray…
Chronic’art : Lors du « Silent shout tour », vous évoquiez déjà une pause d’au moins trois ans avec The Knife. On vous re-découvre aujourd’hui avec Fever Ray, dont la réalisation musicale sonne très cohérente, comme écrite avant d’être composée. Aviez-vous dès le départ une vision en tête que vous auriez peinte à travers plusieurs morceaux ?
Karin Dreijer : Pas vraiment, je n’avais rien en tête en allant au studio. Je voulais juste voir ce qui allait se passer, sans nécessairement évoluer dans l’idée de sortir un album à l’issue des sessions… En fait, comme je travaille sur ordinateur, l’enregistrement et l’écriture vont de pair dans ma façon de composer. J’écris une première ligne, je construis à loisir autour, puis je supprime les parties jusqu’à ce que le morceau parvienne au résultat que je souhaitais obtenir au tout-début. Ceci dit, cette même idée peut mûrir à mesure que le morceau progresse. Le temps et la patience sont des composantes bien plus essentielles dans mon travail qu’un concept au départ – qui serait trop sclérosant.
On croise des humeurs très diverses sur ce disque (du souffle baléarique d’un Jan Hammer à des plages plus nocturnes type Tangerine Dream), pouvez-vous nous en dire un peu sur votre état d’esprit -personnel et musical- alors que vous composiez l’album ?
J’étais très fatiguée. Je venais tout juste d’avoir mon deuxième enfant et je n’avais pas dormi depuis des lustres. J’avais aussi besoin de prendre quelques distances avec mon domicile, ça me paraissait vraiment important de développer quelque chose en marge de tout ça. Sinon, j’ai effectivement beaucoup regardé Miami Vice sur la période -j’aime beaucoup la sensation que dégagent ces bateaux naviguant à toute allure dans la chaleur d’une nuit d’été. J’ai pas mal écouté aussi Paul Wall’s screwed and chopped People’s Champ. Et l’album Anonymous, de Tomahawk.
Vous faites souvent référence au théâtre quand vous vous représentez (à travers les masques ou le maquillage). De même, on a l’impression quand on vous écoute d’entendre plusieurs personnages dans votre chant (selon le pitch ou les after-effects) : quels pourraient être les personnages de Fever Ray et leur histoire (s’il en est une) ?
Il s’agit très certainement plus de portraits mentaux ou émotionnels que d’enveloppes physiques à proprement parler. Des émotions, je dirais.
L’imaginaire développé, qu’il s’agisse des clips ou de l’artwork, convoque aussi bien des éléments naturels (ces peintures primitives, la forêt omniprésente) que des artefacts très modernes (la piscine en résidence pavillonnaire, les raybans), comme si Fever Ray échappait à toute temporalité. D’où vous vient cette identité visuelle ?
Je voulais juste développer quelque chose qui soit proche de mon état d’esprit pendant l’écriture. Je regardais alors pas mal de films – ceux de Park Chan-Wook et de Kim Ki-Duk par exemple, ça me changeait des traditionnels occidentaux, j’aimais bien. Pour ce qui est de la vidéo de If I had a heart, Andreas Nilsson – le réalisateur avec lequel je travaille – et moi évoquions beaucoup Dead Man, de Jim Jarmusch. Sinon, l’univers de Hayao Miyazaki revu sous les traits de Charles Burns me convenait totalement pour la pochette.
The Knife a vu son identité visuelle complètement réinventée lors des concerts, peut-on s’attendre à la même chose avec Fever Ray ?
Pour moi, les concerts s’inscrivent dans une continuité naturelle du projet musical, dont le développement suit son propre cours et où tout peut arriver…
Un dernier mot sur vos projets futurs ?
Olof et moi travaillons depuis près d’un an, à la demande d’une troupe danoise (Hotel Pro Forma), une pièce sur Charles Darwin. Ce sera un opéra au sens classique du terme, la première aura lieu au Royal Danish Theatre le 2 septembre 2009.
Propos recueillis par
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