Loin du calme de la forêt d’Old joy, c’est dans l’agitation d’une grande ville et plus précisément d’un hôtel place de la Bastille que nous avons pu rencontrer Kelly Reichardt. De court passage à Paris, la réalisatrice américaine, venue présenter Wendy and Lucy, revient sur les thèmes qui parcourent sa filmographie, mais aussi sur sa vision de l’Amérique et de son cinéma.
Chronic’art : Après Old joy, comment vous est venue l’idée de ce nouveau film ?
Kelly Reichardt : Après l’ouragan Katerina, je me suis questionnée sur l’idée du rêve et surtout l’importance, pour vivre ce rêve, d’avoir une éducation, une couverture sociale ou financière, une assurance. Je me suis aussi demandé si l’on pouvait vraiment améliorer sa vie juste en ayant la volonté de partir et de faire quelque chose de nouveau, juste en ayant l’ambition d’avoir une vie meilleure. C’est avec cette idée de départ que nous avons décidé de commencer à travailler avec Jon Raymond, mon coscénariste. Nous nous sommes documentés, nous avons revu des films ayant pour thèmes les classes ou la position sociale, des films du néoréalisme italiens ou encore le nouveau cinéma allemand. C’est avec tous ces éléments de base que Jon a écrit une nouvelle et qu’ensuite nous l’avons adaptée pour le cinéma.
Pourquoi avez-vous pris le parti de travailler avec une grande star comme Michelle Williams ?
C’est une très bonne actrice, et par-dessus tout j’admire son travail. Elle avait déjà travaillé avec Todd Haynes (I’m not there, 2007, ndlr) qui est aussi le producteur de mon film. Il a pensé qu’elle serait intéressée par les thèmes abordés dans ce film. On lui a donné le scénario et elle a été tout de suite emballée. J’avais besoin de quelqu’un qui avait les épaules pour porter ce film, le personnage de Wendy apparaît quasiment dans tous les plans. Et en même temps c’est un rôle très en retenue, j’avais vraiment besoin de quelqu’un capable de transposer ça à l’écran.
Vos personnages semblent toujours en quête de quelque chose, ils semblent perdus, pourquoi ?
Ces deux films ont été faits à une période où aux Etats-Unis, il y avait un grand sentiment d’incertitude, d’une perte de quelque chose. Même les journaux participaient à ce sentiment pendant les années Bush, avec la question du contrôle des médias et de la manipulation de l’information. Nous ressentions un sentiment d’abandon, ces films (Old joy, Wendy and Lucy) sont nés de ce sentiment. Peut-être que chaque être humain recherche les fondements de base de toute société… Dans Old joy, mais peut être aussi dans les deux films, je pense que les gens sont à la recherche de quelque chose qui a disparu, les relations par exemple, ou l’amitié dans Old joy.
Pensez-vous que se soit un sentiment plus général lié à ce qui se passe aux Etats-Unis ?
Vous savez les Américains ne se demande pas ce qu’ils peuvent faire pour les autres, ils sont déconnectés, désintéressés des uns et des autres. La majeure partie des Américains est devenue contre la guerre en Irak à cause d’ennuis financiers qui leur sont arrivés pour payer la guerre, mais ils n’ont jamais eut d’empathie pour les Irakiens eux-mêmes. C’est la même chose avec les crédits immobiliers, les gens vivaient selon leur bon vouloir sans prêter attention à ce qui pouvait arriver à côté de chez eux, aux sans abris. Aujourd’hui, une grande partie des gens étant touchés par la crise, ils y prêtent peut-être plus attention. Ils semblent qu’aux Etats-Unis, il n’y ait pas beaucoup d’empathie jusqu’à ce que cela touche la majeure partie de la population. Je pense que ces deux films relèvent de la question du rêve américain, qu’est-ce-que cette idée ? Que doit-elle être ? Est-ce que le pays doit être un grand centre commercial d’entreprises américaines ou est-ce un endroit pour découvrir les individus qui font attention à leurs voisins. Est-ce-que tu peux vivre ce rêve avec tout un confort alors que la personne a côté de toi est dépourvue de tout. Dans Wendy and Lucy, nous avons tenté de répondre à la question : avons-nous une responsabilité les uns envers les autres, ou est-ce chacun pour soi ?
Dans vos films, vos personnages semblent revenir à un état naturel comme chez Capra. Pensez vous que les hommes ne se découvrent que dans la nature ?
Je pense que Capra aurait dit que l’environnement naturel d’une femme aurait été la cuisine. Pour moi le retour à la nature est quelque chose d’encourageant, cela nous rappelle notre vulnérabilité. Je ne suis pas une personne religieuse, mais c’est comme si les choses essayaient de prendre soin de nous, qu’elles préservaient l’environnement. Cela donne l’idée de quelque chose de sécurisant. Mais il ne faut pas trop en abuser…
Dans vos films, on remarque que vos personnages évoluent toujours par rapport à des rencontres, des individus. Le cinéma est-il un art de la rencontre selon vous ?
C’est une nouvelle façon de voir les choses. Le cinéma peut aider à faire de nouvelles expériences, de nouvelles rencontres ou tout du moins à le montrer. Cette question rejoint ce que je disais plus tôt sur le fait que les gens sont connectés. Je pense vraiment que c’est ça l’idée, il faut que les gens s’intéressent aux uns et aux autres. Mais pour Old joy, c’est plus des vieux amis qui se retrouvent. Vous savez, cette rencontre qui vous donne une image de vous-même peu- être même celle à laquelle vous essayer d’échapper. Quelqu’un arrive, vous le connaissez depuis toujours, et il n’accepte pas le fait que vous ayez grandi et il veut garder cette vieille image de vous. Dans le film, c’est cette idée que les gens qui vous connaissent le mieux finissent par devenir des étrangers vis-à-vis de vous.
Pourquoi utilisez-vous toujours des personnages en marge de la société ?
Dans les années 70, dans mon enfance, c’était l’émergence des héros solitaires, comme dans les films avec Jack Nicholson. Ce n’est plus le cas de ce genre de personnage, de nos jours, ils n’apparaissent plus de la même manière que ce soit dans le cinéma américain ou dans la vie. Dans les années que nous venons de traverser, les marginaux n’étaient plus appréciés ni très romanesques. Et même avant Bush, avec Clinton, c’était la part belle aux énormes entreprises.
Pensez-vous comme Kerouac que le vagabond solitaire est en voie de disparition, et que ce genre de personnage en marge n’existe plus ?
Vous savez, j’enseigne à des jeunes de 20 ans qui n’ont jamais rien vécu, et qui écoutent leur chanteur préférer faire des pubs pour Nike, sans se poser de questions. La nouvelle génération est moins inquiète que la mienne, elle ne prend pas de recul, ne semble pas réfléchir sur ce qui l’entoure. L’idée de masse est trop acceptée, et je pense que même si de bonnes choses sont apparues avec la révolution Internet, les gens de mon âge ont perdu de nombreuses choses. Aujourd’hui plus rien ne survit, tout est nouveau et c’est très difficile pour quelqu’un de petit de faire quelque chose de créatif, de faire entendre sa voix.
Que pensez vous du cinéma indépendant américain à notre époque ?
En ce moment, il y a une saine recrudescence, de nombreux films sont sortis l’année dernière. Mais je ne sais pas vraiment pourquoi, beaucoup de distributeurs mettent la clé sous la porte. Avec la récession, les films ne sont pas de bons investissements. En même temps, dans mon cas, l’un de mes distributeurs est un membre des Beastie Boys, Adam Yauch, lui et ses partenaires essayent de prendre avantage de ce mauvais état des choses, et de revoir la restructuration sur la conception d’un film.
Comment selon vous dans l’état actuel peut-on concevoir un nouveau moyen de faire des films ?
Vous savez, dans la société américaine, même dans les productions indépendantes, il y a le « star-structure », un peu comme la société de classes où les plus hauts placés prennent tout l’argent. Les distributeurs avec qui je travaille tentent de relancer une nouvelle structure dans le cinéma indépendant, plus démocratique dans la façon de faire des films. C’est sans doute un moment difficile pour le cinéma indépendant américain, mais je pense, pour plusieurs raisons, que ce n’est pas si terrible que ça. Mais c’est sans doute ma propre expérience qui me fait penser ainsi. Moi, pendant les dix ans supposés être les meilleures années pour le cinéma, je n’ai pas pu en faire un seul film, alors que pendant la crise j’en ai fait deux.
Quelles sont vos influences ?
J’enseigne le cinéma depuis plusieurs années et je ne me rends plus compte de qui m’influence vraiment. J’étudie les films depuis trop longtemps. Je dirais que les réalisateurs qui m’influencent le plus sont des gens comme Kiarostami, Satyajit Ray. Je ne regarde plus tellement les films américains fait de nos jours, mais je reviens souvent à des oeuvres comme celles de Nicolas Ray, Mike Leigh, Ken Loach. Avant de devenir enseignante, j’étais surtout intéressée par les classiques, comme Sirk ou Fassbinder. Si vous me demandez si le cinéma influence ma manière de concevoir un film, je ne sais pas si c’est vraiment le cas, mais comme je n’ai pas fait d’école de cinéma, ma seule façon d’apprendre a été de décortiquer les films des autres réalisateurs, et encore aujourd’hui, je me dis que cela m’a fortement influencée. D’ailleurs, lorsque je regarde mon premier film, je me dis qu’à l’époque, j’étais vraiment obsédée par Terence Malick… (rires)
Propos recueillis par
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