Marie-Hélène Bourcier est sociologue, activiste queer et maître de conférences chargée de recherches à l’université de Lille 3 et à l’EHESS (Cadis). Elle enseigne également à Paris 1 et Paris 8 et anime le séminaire Fuck my brain à l’EHESS et au Palais de Tokyo. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages et articles sur la théorie queer, les subcultures sexuelles et les minorités en France et à l’étranger, en particulier de « Queer zones » (éditions Amsterdam) dont le troisième tome paraîtra en 2009. Elle organise du 9 au 12 octobre 2008, avec Maxime Cervulle et Marco Dell’Omodarme, le premier Paris Porn Festival, à la suite des festivals porno « alternatifs » (pas du Marc Dorcel quoi) de Berlin, Athènes, Madrid et Tokyo. Interview à l’occasion de l’ouverture du festival.

Chronic’art : Pourquoi un festival de porno en salles alors qu’il est plus que facile de se procurer du porno sur Internet ?

Marie-Hélène Bourcier : Un festival, c’est tout un programme, tout un agencement, un flux d’images que l’on mixe. Ça, on ne le trouve pas sur Internet, en tout cas pas sous cette forme. Par ailleurs, il y a des films que nous présentons que vous ne trouverez jamais sur le Net, même en peer to peer. Je pense au film de Morty Diamond par exemple, Transentités, qui occupe une place à part dans le porno trans-queer. On ne déniche pas tout sur Internet, comme par exemple le cinéma minoritaire indépendant non commercial. Par contre, le réseau joue un rôle évident en ce qui concerne le porno alternatif, qu’il s’agisse de Johanna Angel, qui a commencé avec son site, ou même Buck Angel avec sss.spread.com et puis transexual man en donnant de la visibilité à des projets qui ne seraient jamais pris par les studios ou les labels pornos grand public ou installés. Parce que leur souci n’est pas, mais alors absolument pas, de faire du porno différent ou tout simplement de niche ; de ce point de vue, l’industrie du porno est terriblement normative et conservatrice. Les décalages que l’on trouve dans le post porn ou le porno indie (l’introduction d’un regard féminin ou féministe pro-sexe, l’absence d’exotisation des trans ou d’autres minorités de sexe et de genre, la revendication de corps, d’organes différents ou de pratiques sexuelles nouvelles), le porno mainstream n’en veut pas ! Même à Los Angeles. Enfin, et c’est peut-être le plus décisif, la recomposition actuelle du public du porno annonce, je crois, la démultiplication du Porno avec son gros Q. Un nouveau public pour le porno en salles est né. A la différence de celui du cinéma porno de papa, honteux, le public des films pornos projetés en salle est pluriel : des hétéros, des gays, des lesbiennes, des trans, des queers, des BDSM, des activistes, des artistes et des artivistes et… des féministes. Le renouvellement des images porno est indissociable du changement de public et d’une nouvelle attitude par rapport à la culture porno. On a acquis une distance qui fait que l’on est aussi en mesure maintenant de refuser le porno grand public et d’en faire du différent. C’est aussi pour cela que nous tenions absolument à organiser ce festival à Paris à la suite de celui de Berlin qui a initié le mouvement. Nous avons d’ailleurs constitué un réseau européen avec Berlin, Athènes et Madrid.

Le Paris Porn Fest n’a pas été simple à mettre en place. Les dates ont été reportées, les salles changées… pour quelles raisons ? Pouvez-vous revenir sur les pressions que vous avez subies ?

C’était compliqué, en effet. Au final, d’ailleurs, ce que nous proposons est un peu éloigné de notre projet de départ qui comportait un volet performances, concerts, soirées et clip-shows permettant de véritablement favoriser les rencontres et les échanges, comme c’est habituellement la cas durant un festival. Les soucis de salles, les pressions diverses et aussi beaucoup d’autocensure ou d’auto-pression – il faut bien l’avouer – ont fait qu’il s’est avéré impossible de faire ce festival non seulement aux dates prévues mais aussi dans un cinéma d’art et d’essai. Ce n’était pas une condition en soi pour nous, mais c’est pour le moins révélateur que cela se soit avéré impossible. Vous savez, les propriétaires de salles sont sur la corde raide et dépendent de financements du CNC et de la Mairie de Paris notamment ; ils ont eu peur pour leur subvention. Le problème, c’est que nous partons de très loin en France pour tout ce qui touche à la culture porno qui n’est pas reconnue comme telle. Et il faut du temps pour comprendre que le porno, justement, n’est pas un ensemble uniforme, craspouille et exploitatif, que le porno dominant ne satisfait pas tout le monde, loin de là, que ce porno n’est pas tout le porno. L’ennui, c’est qu’en France et en particulier à Paris, il est impossible de faire un festival de ce type parce que les institutions culturelles ou non (du type mairie, justement) ont une vision de la culture esthétisante, qu’elles n’ont pas compris le potentiel de la culture populaire ou des subcultures. Et leur fonctionnement est très top down, très vertical et très homogène. Pas d’underground possible dans ces conditions. J’ajouterais que l’industrie française du porno est également à la bourre, en ne défendant pas le porno en tant que culture, en restant au placard et en persistant à confondre salon, foire érotique et festival.

Pourquoi, selon vous, avez-vous eu affaire à de telles pressions ?

Le contenu du festival y est pour quelque chose évidemment. Et puis il y a ce décalage que j’oublie souvent : je viens d’une contre-culture sexuelle où le sexe n’a pas du tout le même statut que dans la culture straight, hétérocentrée et où le sexe n’est perçu ni comme naturel, ni comme une affaire privée ou quelque chose de honteux. La France est toujours aussi arriérée à ce sujet. Et elle résiste : il faut que le porno reste une affaire privée. Je pense tout l’inverse : il faut justement publiciser le porno au maximum pour changer les mentalités. Il faut lui reconnaître toutes ses dimensions : culturelle, politique, éducative, économique, son pouvoir d’excitation, d’exploration et lutter contre sa pente normative. C’est toujours difficile et décourageant de devoir faire face à des pressions comme celles que nous avons connu, parce que, bien souvent, personne ne veut les incarner, tout le monde se renvoie la balle. Résultat : les personnes qui aimeraient participer à ce genre de projet se retirent parce qu’ils ont peur.

Pourquoi le porno choque-t-il toujours autant ?

Ca n’est jamais dit comme ça… Quand ça l’est, c’est prévisible de la part des familialistes et des cathos, mais à notre plus grande surprise les obstacles les plus importants ou les opposants les plus farouches sont des gens sexistes et sexophobes qui se disent de gauche ! Des personnes qui ne voient pas d’un très bon oeil que le porno passe du côté des filles : parce que ça les dégoûte absolument. Des gens qui vont baiser des femmes à bite au bois et qui ne tolèrent pas l’idée même que des trans puissent faire un porno trans, qui change de la sexploitation des she-males. Je crois que ce type de porno choque plus ; mais c’est aussi le porno en général qui choque plus qu’avant, durant les années 70 par exemple. Il faut dire que le porno commercial lambda est devenu plus violent, c’est indéniable, et qu’au delà du débat que cela peut susciter, le problème numéro 1 est que ce porno-là n’excite pas les filles et pas tous les garçons. On dit que le porno est partout, or c’est inexact : justement, il est singulièrement absent de l’espace public ou éducatif et c’est problèmatique. Personnellement, je vois cela comme une censure. C’est d’autant plus irresponsable que le porno est l’un des filtres majeurs dans la conception que chacun se fait de sa / la sexualité. Je le vois bien à la fac auprès de mes étudiants et de mes étudiantes qui sont toujours à a la fois très preneurs, très créatifs et très critiques quand on bosse sur le porno. Ils réalisent des perf intéressantes sur ce sujet dont certaines ont fait l’objet de courts-métrages, comme Flashporn, l’un des petits bijoux de la programmation de cette année.

Propos recueillis par

Paris Porn Festival
Le Brady – L’Albatros
39, boulevard de Strasbourg – Paris 10e
Programme complet sur www.parispornfilmfest.com/PornFilmFestProgram.html