On est toujours un peu déçu quand un groupe qu’on a vu briller dans un genre musical décide de changer. C’est un peu une partie de nous qui s’en va, qui nous pousse à grandir et voir si l’herbe est plus verte ailleurs, ce qui n’est jamais sûr. Alors voilà, après trois albums forgés dans le sillon de Sonic Youth et Radiohead, le moins connus des groupes belges qui compte arrête le pop-rock. Ce chant du cygne s’appelle Ryunosuke, un quatrième album plus lumineux et bigarré que le spleen modèle de son prédécesseur, le très beau « A Life on standby ». On a retrouvé Vincent Liben, leader du quatuor pour parler de tout ça, et bien plus encore.
Chronic’art : Bonjour Vincent. Tu as maintenant plus de 30 ans et Ryunosuke est le quatrième album de Mud Flow. A ce stade de la carrière du groupe, peut-on dire que vous faites du « rock adulte » ?
Vincent Liben : Un peu, oui. D’ailleurs on est déjà en train de travailler sur notre prochain album et il sera certainement beaucoup plus folk. Pour moi, la pop c’est terminé.
Vraiment ?
Oui, je ne peux plus, les refrains, les violons, les accords mineurs… C’est une question d’âge. A un moment tu ne te sens plus à l’aise avec ces morceaux, tu ne te sens plus dedans quand tu es sur scène, tu te dis : « Ce n’est plus moi ». A Life on standby et Ryunosuke sont un peu des albums frères. Le premier est le côté obscur de la force, le second le côté lumineux. Et voilà, avec ces deux albums, on a fait un peu le tour de ce qu’on pouvait faire en matière de pop-rock. Je pense que c’est quelque chose qu’on ne fera plus. Enfin je dis ça maintenant, mais on ne sait jamais !
Comment ça ?
Je veux dire : si on met trop de temps à faire notre album folk, peut-être qu’on reviendra au rock parce qu’au bout d’un moment on en aura marre de galérer.
A Life on standby parlait déjà pas mal du cap de la trentaine. Sur Ryunosuke, tu remets ça avec In time que tu décris comme « un morceau typique sur la crise de la trentaine », cet âge charnière où, je cites : « Tu quittes l’adolescence et tu es déjà nostalgique des virées folles, des délires des 16-17 ans. Tu deviens adulte et en même temps tu quittes tes complexes d’ado ». Ca veut surtout dire que c’est l’âge où l’on a envie de revivre son adolescence en version améliorée ?
C’est vrai que ce serait chouette ! Si je pouvais redevenir ado tout en étant aussi « cool » que je le suis aujourd’hui, ce serait top. Toi, tu as quel âge ?
28.
Mais tu verras, la trentaine c’est cool une fois que tu franchis ce cap.
Ce n’est pas une période de deuils ?
Non, pas vraiment. Enfin si, il y a un deuil : c’est qu’à ce stade-là tu sais que tu ne seras jamais rock star. Mais ce n’est pas triste ; tu peux continuer à faire de la musique et tu peux même réussir à en vivre.
Penses-tu qu’on puisse sincèrement continuer à faire du rock passé 30 ans ?
Selon moi, si tu continues à faire du vrai rock à 30 ans, c’est que tu as un problème. Parce qu’à 30 ans, normalement il y a un truc que tu n’as plus. Donc la seule chose qui va nous intéresser maintenant c’est le fait d’expérimenter la musique. Cet album, c’est aussi ça : de l’expérimentation. C’est d’ailleurs pour ça que ce n’est pas tout le temps abouti. Les fanfares sur Trampoline, on m’a souvent dit que c’était une mauvaise idée, mais j’avais vraiment envie d’essayer un morceau avec deux fanfares indépendantes l’une de l’autre. Voilà, on a tenté des choses, au niveau des accords majeurs, au niveau des claviers, pour faire une musique qui ne puisse pas être définie comme « pop-rock ». Et on savait que certaines personnes n’allaient pas apprécier.
Pas mal de gens sont effectivement déçus par Ryunosuke. Par rapport au précédent, qu’ils adoraient, certains ont même dit que celui-ci était un navet…
Oui, j’ai lu ça sur un webzine belge : Tox. Le type a été injustement dur par rapport à Ryunosuke. Il ne l’a pas vu pour ce qu’il est, c’est-à-dire un album de transition, avec toutes les imperfections que ça implique. Et puis si on avait fait la même chose que sur A Life on standby, on se serait fait tout autant descendre. Mais il n’a pas eu tort pour ce qui est de la scène : on a fait certains live catastrophiques, notamment notre concert aux Nuits Botaniques, pour cause de problèmes avec l’ingé-son. J’ai mis un mois à m’en remettre, alors quand j’ai vu ce qu’en disait ce webzine, ça m’a achevé. Mais bon, il ne me serait jamais venu à l’esprit de traiter ce mec de connard. Nous, on propose un album, et il a tout à fait le droit de dire que c’est un navet, je respecte son avis. C’est des mecs comme ça qui te font réfléchir… Maintenant je crois qu’on s’est réconcilié. Depuis, il nous a vu deux fois en version trio acoustique et ça lui a plu. Il ne s’est d’ailleurs pas privé pour le dire. Il a bien senti que c’est vers ça qu’on voulait se diriger. Après, ce n’est pas étonnant que ça lui plaise plus : en acoustique, notre musique se fait plus mélancolique et c’est sans doute ce qui plait le plus aux fans de pop-rock.
Dans la bio de Ryunosuke, tu livres un petit speech expliquant de quoi parle chaque morceau et j’ai été assez frappé de voir que la plupart semblent moins inspirés par ta vie que par des oeuvres artistiques, des photos, des films, des livres…
En fait, tout part un peu d’une discussion houleuse que j’ai eue avec un ami photographe. Il met beaucoup de sa vie privée dans ses photos et je lui disais qu’à mon sens, il y a toujours moyen de créer sans exposer crûment les gens qui t’aiment aux yeux de tout le monde. Et c’est ce que je voulais faire sur cet album : trouver le moyen subtil de ne pas impliquer directement mes proches.
Du coup tu as utilisé des filtres…
Oui et pour le morceau Ryunosuke, par exemple, tout s’est fait au hasard. Je voulais une voix japonaise pour ce morceau, j’en ai donc piqué une sur le Net pour faire un test, et au départ je ne savais pas du tout de quoi elle parlait. C’est lorsque j’ai demandé à une copine japonaise de faire des essais de voix que j’ai compris ce qu’elle disait, parce qu’elle s’est mise à me traduire le texte. J’ai donc appris qu’elle narrait l’histoire d’une femme se faisant violer devant son mari. J’ai décidé de garder ce texte et le principe de la voix japonaise, mais de réécrire en même temps la chanson en fonction de la vie de l’auteur, Ryunosuke Akutagawa. Après coup, j’ai lu Rashômon, la nouvelle d’où ce texte est tiré, histoire de savoir de quoi je parlais, ainsi que d’autres nouvelles de lui. Ses textes sont très durs et sombres sur la nature humaine.
Tu dis passer par ces biais détournés pour ne pas faire de tort à tes proches, mais n’est-ce pas aussi le moyen pour toi de trouver là l’inspiration que ta vie ne te donne plus ?
C’est sûr que j’ai envie de parler d’autre chose que des tourments adolescents. Aujourd’hui, je ne suis plus dans l’état d’esprit de mes 18 ans et j’en suis bien content. C’est pour ça, comme tu dis, qu’on peut désormais parler de « rock adulte » à propos de Mud Flow. Maintenant on va plus s’inscrire dans une lignée de groupes comme Wilco que comme les BB Brunes !
C’est une direction souhaitée par tout le groupe ?
Tu sais, je n’essaie pas de convaincre les autres de suivre une ligne précise. On discute, mais ça n’empêche pas les désaccords. C’est pour ça que depuis le début le groupe a changé plusieurs fois de line-up. Mais il est aussi arrivé que des musiciens partent parce qu’ils considéraient tout simplement qu’ils avaient mieux à faire, ce qu’a fait notre dernier batteur, parce que ça faisait longtemps qu’il voulait monter son propre groupe. De l’extérieur, ces changements peuvent paraître bizarres mais en fait ce sont des évolutions naturelles. C’est pour ça que finalement je considère plus Mud Flow comme un collectif que comme un groupe.
C’est aussi ça le côté « adulte ». A 30 ans, on n’est plus dans le fantasme du gang uni à la vie à la mort. On accepte que chacun ait une vie en dehors, d’autres envies. Le groupe devient alors une sorte d’ « union libre »…
C’est ça !
D’ailleurs, toi aussi tu vas voir ailleurs…
Oui, j’ai fait des arrangements pour d’autres artistes. Actuellement je suis même en train de préparer un album solo.
Sérieux ?
Oui, je suis même en train de finaliser le mixage. En Belgique, le single tourne déjà sur les ondes.
A quoi ça ressemble ?
Je te laisse deviner… (rires)
Tu écoutes quoi en ce moment ?
Euh… Berry.
Berry ?!
Mais oui ! (Rires)
On dirait du Carla Bruni, non ?
Moi je ne trouve pas. C’est plus enlevé. Il y a des belles parties de guitare.
Berry, quand même, c’est super bobo !
Je suis désolé, c’est vrai que ça fait bobo, mais j’aime bien. (Rires)
A part ça ?
J’écoute Martha Wainwright, Phosphorescent aussi. Ce mec a une voix magnifique. A part ça, rien de violent. En vieux trucs, je continue d’écouter ce que fait Greg Dully. J’étais un grand fan de The Afghan Whigs. Et j’aime aussi beaucoup ce qu’il fait avec The Twilight Singers. Cette voix super soul… Il est énorme maintenant ; mais il a encore un sacré charisme.
En voilà un qui peut se permettre de rester rock à plus de 30 ans passés…
Oui et passés depuis longtemps !
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Ryunosuke