Jeu de combat polymorphe, « Super smash bros. brawl » arrive sur Wii. Sa principale innovation : un mode aventure en forme d’épopée chorale. Epique, improbable et réflexive, elle ouvre la voie et inaugure un genre hybride, l’ « action figure hero adventure game ».

Super smash bros. brawl (SSBB) n’est pas un jeu comme les autres. Musée interactif où s’affrontent guest stars et vieilles gloires Nintendo, il s’apparente plutôt à un coffre à jouets géant, où le joueur pioche à souhait les héros de son coeur. Ce côté distributeur automatique de choix, SSBB l’assume totalement. Ses menus abondent et de pages et d’options, et aux trente-sept combattants iconiques, il ajoute plusieurs centaines de personnages secondaires, de challenges, de costumes, d’images, de musiques, de fiches, de démos, de modes, de clins d’yeux – dont chacun, oui chacun, correspond enfin à un trophée à collectionner. Véritable groom dégoulinant de serviabilité, SSBB anesthésie par sa gentillesse autant qu’il viole à coups de petites attentions.

Mais pourquoi est-il si gentil ?

Derrière cette injonction à jouir, se cache un gamedesigner aussi perfectionniste que mésestimé : Masahiro Sakurai, vénérable créateur de Kirby et initiateur têtu de la série des Smash bros., dont Nintendo ne voulait pas. A la tête de la plus « NintendoSex » de toutes les séries « NintendoSex », le jeune homme a réussi des miracles de popularité. En trois épisodes seulement, sa série est devenue aussi bankable que Mario Kart le rentier ! C’est qu’en bon stakhanoviste du fanservice, Sakurai a le démon du professionnalisme, le culte du joueur, et l’obsession de sa satisfaction. A l’occasion de ce troisième épisode, qu’il a conçu « comme s’il s’agissait du dernier », il s’est d’ailleurs lancé un défi supplémentaire : implémenter dans son jeu-coffre à jouets une partie scénarisée. On connaissait déjà le mode « Arcade classique », bête et jouissive succession d’une dizaine de combats ; voilà « L’émissaire subspatial » – c’est son titre -, une aventure chorale, où les cinématiques répondent aux gnons, et les gnons aux cinématiques. Miracle de SSBB, les trente-sept icônes qui servent de gladiateurs, de Pikachu à Solid Snake, en passant par Wario et Iké le chevalier moyenâgeux de Fire emblem, s’y découvrent un objectif obscur et commun à remplir, motif d’une alliance improbable et d’une narration fractionnée en épisodes décousus, aussi haletante qu’incongrue. « Avec des personnages aussi différents que ceux que l’on retrouve dans Smash bros., il n’était pas possible de créer un scénario classique », minaude aujourd’hui Masahiro Sakurai. L’ensemble a la grandiloquence d’un Final fantasy – le scénariste de FF VII a d’ailleurs pris part à son écriture – et dans un jeu Nintendo, ça jure !

La peur du pitch

Historiquement, la firme japonaise a toujours été plus préoccupée de divertir les mimines de ses joueurs que de leur raconter des histoires. Qui d’autre a inventé le Power Glove, cet accessoire obscur dont le design wanabee futuriste faisait passer le moindre gant de vaisselle pour l’œuvre d’un maître flamand ? Qui d’autre a révolutionné le marché des consoles avec le stylet et la Wiimote, accessoires gentils et câlins pour notre amie la main ? Qui d’autre enfin, dans le premier Smash bros., opposait ses plus célèbres mascottes à un boss final en forme de gant de Michey géant, Master Hand, par défaut de scénario ? Nintendo, Nintendo, Nintendo. Et comble de l’obsession : dans le premier Smash bros., si Mario, Donkey Kong, Kirby, Pikachu et consorts se battent entre eux, ce que Nintendo avait si longtemps refusé, c’est qu’une main d’enfant avait sorti de leur coffre leurs figurines virtuelles pour les faire s’affronter. Mais confronté à la demande des fans, ces fans qui l’obsèdent, Sakurai voulait et devait aller plus loin que l’astuce scénaristique un peu facile de la main, et créer une vraie histoire autour de cette accumulation de mascottes. Et, à sa manière, il a réussi. La problématique est vieille comme Captain Action : si les héros deviennent des jouets, comment raconter des histoires à partir de figurines en plastiques ? Pour s’en sortir, « L’émissaire subspatial » emprunte tout d’abord un ton unique, à la fois épique, pressé et mystérieux, où le rythme des cinématiques, la multiplication des cliffhangers et le flou sur l’identité et la nature des événements tiennent lieu de principal tissu narratif. « J’imaginais pour cette histoire un ton un peu grave, confirme Sakurai. Par exemple, une mésaventure s’abat sur le groupe et seul l’un des personnages échappe au désastre. Il doit alors lutter de toutes ses forces pour faire rassembler ses amis autour de lui… ». Résultat : les personnages, qui se méfient les uns des autres, finissent par faire alliance contre un mystérieux adversaire qui les transforme en trophées de pierre et les kidnappe.

Le méchant qui fait louche

Cet émissaire subspatial, le joueur le découvrira au fur et à mesure de l’aventure principale, n’est pas un héros connu. C’est une ficelle scénaristique. Et par ficelle scénaristique, Nintendo ne joue pas sur les mots : figure spatiale et aérienne, l’émissaire subspatial dirige la fameuse main géante, Master Hand, encore elle, avec des chaînes de lumière. Dans un jeu entièrement dédié aux mimines des joueurs, le grand salaud en chef ne dépareille donc pas : c’est un « puppet master » ! « Smash bros. est un jeu composé de beaucoup trop de personnages et auquel il manquait une figure principale », s’excuse Sakurai. L’astuce est certes similaire à la main de l’enfant dans l’introduction du premier Smash Bros. : un intervenant extérieur, qui donne vie à la rencontre entre ces héros. Mais parce qu’elle met ce gant en abyme, elle ouvre soudain une étonnante brèche réflexive dans le monde si lisse de Nintendo. Manipulations, manipulateurs, manipulés, tout se mêle, et le fil des épisodes n’est qu’alliances, trahisons et révélations. Enfin, cet émissaire subspatial aura pour principal attrait son mystère. Ses motivations sont d’ailleurs exactement les mêmes que les vôtres : amasser tous les trophées, en obéissant au dogme local de la collectionnite. Sakurai ne poussera pas le vice jusqu’à vous faire affronter votre propre Mii : l’émissaire spatial restera « tabou » (et c’est d’ailleurs son nom). Sakurai, au prix d’un scénario baroque et muet, construit comme une haletante succession de poupées russe. Il est parvenu à créer un improbable suspense sur plus d’une demi-douzaine d’heures. C’est court et beaucoup à la fois : tous les coffres à jouets ont beaucoup à raconter, rares sont ceux qui le font avec tous les jouets en même temps.

Super smash bros. brawl – Wii
(Nintendo)