C’est le moment de dire les choses, même si vous l’avez sans doute déjà deviné : Chronic’art #46, actuellement en kiosque, est un fake intégral.
G.O.M.S.K., le renouveau apocalyptique du jeu vidéo en Russie ; William G. Saxter, l’homme qui avait prédit Internet dès 1958 ; le réalisateur Tom Friedkin (« l’autre » Friedkin), chaînon manquant du cinéma américain des trente dernières années ; l’arrivée imminente en France de SexChange, réseau social type Facebook mais dédié aux rencontres sexuelles sans lendemain ; Vivien Arthur-Kerl, écrivain punk converti ; et même Gunnar Andresen, philosophe écolo dadaïste et révolutionnaire venu de Norvège… De la première à la dernière page, tous les sujets, tous les personnages, tous les disques, livres, jeux, films sont faux.
Oeuvre d’art conceptuelle, geste littéraire expérimental et gratuit, jeu, « fantasme journalistique » concrétisé : c’est un peu dans cette optique que nous avons conçu ce numéro exceptionnel. Exceptionnel et inédit dans l’histoire de la presse, à ce qu’il semble. Mais comme toujours, nous avons voulu faire les choses sérieusement, et bâtir un numéro de Chronic’art aussi crédible que possible, entièrement conforme au rubriquage, à la maquette et au ton habituels.
Notre intention n’est pas de tirer des conclusions, de fournir une grille de lecture toute faite, ni de piéger qui que ce soit – en particulier pas nos lecteurs et nos abonnés, que nous supposons capables de comprendre et même d’apprécier l’exercice (Chronic’art #46, numéro collector ?). Pour autant, sans donner un (faux) sens à cette entreprise, il est assez intéressant d’observer les réactions et les conséquences de ce bidonnage pour en tirer quelques enseignements sur l’époque, manifestement prise au dépourvu par les NTIC (nouvelles technologie de l’information et de la communication). Selon une opinion très répandue aujourd’hui, Internet, qui a bon dos, serait la cause des difficultés des relais d’informations traditionnels, le responsable indirect de tous les écueils journalistiques. N’est-il pas plutôt un bouc-émissaire facile pour justifier la perte de contrôle ou la mauvaise appréhension du nouveau monde connecté par des gens dépassés ? Question à laquelle nous tenterons d’apporter quelques éléments de réponse dans le petit dossier débriefing de notre prochain numéro, en juillet.
En attendant, quatre réponses pour les lecteurs qui ont formulé des interrogations à l’endroit de ce fake intégral (hormis les pages de publicité) :
1- « Chronic’art #46 trompe ses lecteurs puisque le magazine ne délivre aucune information véridique ».
Evidemment, mais en même temps… Chronic’art #46, dans sa globalité fictionnelle, ne reflète-t-il finalement pas plus réellement et plus profondément l’état de la « société de l’information » qu’un vrai numéro ? Surtout, il offre plusieurs niveaux de lecture, au-delà des deux interprétations évidentes, avant et après la découverte du fake. Et puis à seulement 4 euros le « collector », ce n’est pas une si mauvaise affaire, non ?
2- « Chronic’art #46, c’est tout sauf du journalisme ».
Vrai, à moins de considérer que le fait d’inviter à s’interroger sur la réalité et sur les frontières qui distinguent la fiction plausible du réel incroyable, à débattre de la difficulté de se fier à nos médias (cf. l’annonce de la mort prématurée de Pascal Sevran, les fausses photos des victimes d’Hiroshima dans Le Monde, etc.), qu’ils soient historiques ou émergents sur Internet, est journalistiquement plus valable que, disons, le fait de savoir si Sarkozy a oui ou non envoyé un SMS-ultimatum à Cécilia avant de se remarier avec Carla.
3- « Chronic’art #46 n’est qu’une énième critique des médias ».
Critiquer les médias n’était pas l’ambition de ce fake intégral. Cela étant dit, il est tout à fait envisageable de voir les choses de cette manière et d’en tirer des enseignements. Chronic’art, bi-média par excellence (né en 1997 sur Internet, papier depuis 2001 en plus du site), révèle la supercherie du support papier via son support électronique : voilà qui va à l’encontre des idées reçues selon lesquelles Internet est la source de tous les maux. D’ailleurs, n’est-ce pas un média traditionnel (France Info, dans la chronique de David Abiker) qui, le premier, est tombé dans le panneau, en rapportant et en s’appropriant (c’est le drame) l’une des informations vraisemblables mais fictives de notre numéro ?
4- « Chronic’art #46 est un gros coup de buzz pour faire parler de vous ».
C’est vrai. Et on est ravi de l’assumer, si l’on peut admettre qu’il n’y a pas de mal à vouloir faire parler de soi.
Au final, Chronic’art #46, au vu des commentaires qu’il suscite, et bien au-delà de nos intentions, illustre une tendance lourde : le vrai et le faux, décidément, n’ont jamais autant fait bon ménage. On peut en rester là, apprécier ou non le geste, disserter sur ce que révèle l’entreprise… A vous de voir.
Bonne(s) lecture(s).
Lire aussi vrai journal de bord d’un faux, récit au jour le jour au des effets collatéraux provoqués par « Chronic’art #46 »