En complément de notre dossier « Netocrates » (Chronic’art #42, en kiosque), nous publions sur Chronicart.com de nouveaux points de vue (à venir aussi, les versions intégrales des interviews publiées dans le magazine) de spécialistes, ou netocrates potentiels, sur l’essai d’Alexander Bard et Jan Söderqvist qui vient de paraître en France.
« Internet est le fils naturel de Proudhon et de Bakounine » : c’est ce que soutient le businessman milliardaire marxo-anarchiste Thierry Ehrmann, créateur de la « Demeure du Chaos ». Pour lui, la révolution Internet n’est ni économique ni technologique, mais « philosophique ».
Chronic’art : Que pensez-vous de la théorie « netocrate » d’Alexander Bard et Jan Söderqvist ?
Thierry Ehrmann : C’est à mon sens la première démarche philosophique qui pose comme postulat la société de l’information. En ce sens, elle diffère totalement des autres modèles de civilisation. Elle donne une nouvelle conception de la lutte des classes, après la fin du marxisme.
Vous considérez-vous comme un « netocrate » ?
Oui, mais de manière bicéphale. Pour reprendre les propos de Bard et Söderqvist, mon engagement professionnel me classe en « curateur » du fait de mon obsession à produire et à éditer des banques de données informatives, en « nexialiste » par mon travail de plasticien, et indiscutablement en « éternaliste » par l’écriture de dé-légendage de mes oeuvres et de mes concepts, à travers la « Demeure du Chaos ».
Dans votre entourage, connaissez-vous des personnes que vous pourriez qualifier de « netocrates » et pourquoi ?
Je pense entre autres à Jacques Attali et à Laurent Courau (La Spirale).
Dans un contexte de trop-plein informationnel comme le nôtre, quelles sont les manières de faire un tri efficace et quels sont les nouveaux médias crédibles et dignes d’intérêt ?
Des expériences comme celle lancée par Edwy Plenel avec MediaPart, ou celle des anciens de Libération avec Rue89, constituent une troisième voie intéressante. Un média mixte où le lectorat confronte ses idées avec le journalisme d’investigation.
Au-delà des clichés, quelles sont les mutations fondamentales qu’Internet et la société en réseau ont engendré ou vont engendrer, par rapport à l’ère capitaliste ?
Nous entrons dans une nouvelle époque du capitalisme, plus cérébrale, dont l’objet est l’accès au temps et à l’activité de l’esprit. Il est fait de formes platoniciennes, d’idées, d’images et d’archétypes, de concepts et de scénarios. Dans un monde gouverné par la logique de l’accès au savoir et du réseau Internet, ce sont les idées qui deviennent la matière première de l’activité économique, et le but suprême est la connaissance universelle à travers les serveurs d’information. Etre capable d’étendre à l’infini sa présence mentale, être universellement connecté afin de pouvoir affecter et façonner peu à peu la conscience des êtres humains par la distribution du savoir organisé, telle est l’ambition des industries du troisième millénaire. Si l’ère industrielle a nourri notre être physique, l’âge du savoir s’adresse essentiellement à notre être mental, émotionnel et spirituel.
Comment réveiller la France, qui paraît être à la traîne en qui concerne l’ère netocratique annoncée par Bard et Söderqvist ?
Il faut que le législateur modifie les ordonnances de presse de 1881 et donne un nouveau cadre à la France. De même, les têtes d’affiches manquent. L’arrivée de néo-réacs au pouvoir en France peut accélérer le mouvement cyberpunk qui porte en lui les germes de l’ère netocratique.
Dans dix ans, qui serez-vous, où serez-vous, que ferez-vous ?
Dans dix ans, mon corps sera divisé, dilué pour devenir une forme d’ubiquité dans l’Internet profond. Il ne restera alors de cet amas de chair, de sang et de matières immondes que la substance, l’auteur que je suis, qui produit l’impulsion première du néant dans la « Demeure du Chaos », cet état dans l’état, ce kernel du système républicain. La « Demeure du Chaos », où je resterai emmuré dans mon Grand Oeuvre, deviendra pour moi un Global Internet eXchange (GIX), noeud modal d’un savoir en grid où se diffusera la connaissance à travers le réseau.
Propos recueillis par
Voir le blog de Thierry Ehrmann et le site de la Demeure du Chaos
Lire également nos interviews de Tristan Nitot, Geert Lovink, Laurent Courau, Adam Greenfield et Thierry Théolier.
Ainsi que notre entretien fleuve avec Alexander Bard et Jan Söderqvist, les auteurs des Netocrates (février 2008).