Si Control réussit là où tous les biopics rock ont l’habitude de se casser le nez, c’est essentiellement grâce à lui. Sam Riley, 27 ans, belle gueule de « lad » et cœur de rocker, est plus qu’épatant dans la peau de Ian Curtis. À mi-chemin de la projection cannoise triomphante du film de Corbijn, et de sa sortie en salles la semaine dernière, nous l’avions rencontré cet été.
Chronic’art : Dans 24 hour party people, tu jouais Mark E. Smith, le leader de The Fall. Ici, dans Control, tu es Ian Curtis. Ton grand projet, c’est d’incarner toutes les icônes post punk ?
Sam Riley : Oui voilà, c’est ça. D’ailleurs je vais bientôt faire David Byrne, là. Non, en fait c’est une drôle de coïncidence. A l’origine, j’avais passé l’audition de 24 hour party people pour jouer Stephen Morris, le batteur de Joy Division, mais j’étais un trop piètre batteur. Et comme je m’étais retrouvé dans une baston quelques jours auparavant, j’avais un oeil au beurre noir et un pansement sur le visage, ce qui leur a semblé parfait pour le rôle de Mark E Smith. Mais le tournage n’a duré qu’une poignée d’heures pour moi, c’était un tout petit rôle. Ce qui est amusant, en revanche, c’est qu’en attendant mon tour sur le plateau, je regardais se tourner la scène où Joy Division joue « Transmission ». En tout cas, je crois que je ne vais pas jouer à nouveau un musicien avant un bon moment.
Tu es toi-même leadsinger d’un groupe, 10 000 Things. Est-ce que le fait d’avoir joué Ian Curtis a changé quelque chose à ton approche de la musique et de la scène ?
Pour jouer le rôle de Curtis, c’était un avantage d’être musicien, parce que je savais ce que ça fait d’être sur scène. Mais en même temps, il m’a fallu tout oublier de mon rapport à la scène, qui est à l’origine très différent de celui qu’avait Curtis. Quant à la musique, je n’ai pas prévu de monter un cover band de Joy Division. Rien n’a changé dans les morceaux que j’ai écrits depuis le tournage.
Qu’est-ce qui a été le plus dur à jouer ?
Les séquences sur scène ont demandé beaucoup de préparation. L’idée était de lui ressembler le plus possible, mais sans tomber dans le simulacre. De manière plus générale, le simple fait de jouer me collait la frousse, vu que j’avais très peu d’expérience et que tous mes partenaires étaient des acteurs chevronnés : Samantha Morton a été deux fois nommée aux Oscars, et Alexandra Maria Lara avait déjà fait une quarantaine de films. Disons qu’avant le tournage, j’ai essayé de me faire une idée de la façon dont Curtis pouvait parler, ou bouger. Mais le gros de la préparation a consisté dans les parties musicales.
Justement, il paraît que quand vous avez tourné les scènes de concert, une bonne partie du public était constitué de fans hardcore de Joy Division, dont l’un te narguait avec un énorme tatouage de Curtis qui lui barrait la poitrine…
On tournait depuis une semaine, c’était la première scène de concert, et j’étais vraiment effrayé. D’autant que c’était la journée où il y avait le plus de monde, la partie américaine de la production était venue voir comment les choses se passaient. Pendant que je faisais mes recherches, je me suis baladé un peu sur les forums et j’ai réalisé combien les fans de Joy Division attendaient le projet. J’ai dû vite arrêté de les lire, ils passaient leur temps à se demander si je lui ressemblais assez, et à parier que j’allais me planter. Donc ce matin-là, j’étais franchement flippé, et pendant que je buvais mon thé, un type débarque, me tape sur l’épaule et me dit : « Tu es Ian, alors ? ». Ce qui, en soi, est déjà une question bizarre. Je lui réponds que oui, et il me fait : « J’ai vu Joy Division 10 fois, alors t’as intérêt à être foutrement bon ». Après ça, il a fallu que j’aille me cacher dans ma caravane une bonne demi-heure. De toute façon, je suis toujours nerveux à l’idée de monter sur scène. Et là, oui, en plus, il y avait ce type avec ce tatouage hallucinant qui me fixait pendant toute la prise. À la fin, je le croise et je lui fais : « Alors si je comprends bien, tu es fan de Joy Division ? ». Le gars a remonté son t-shirt pour me montrer l’intégralité du tatouage. C’était dingue, il y avait les dates, et tout. Harry, notre batteur, lui a dit : « Tu as assez de place en haut pour en rajouter un de Sam, maintenant ». Ça ne l’a pas spécialement fait rire. Mais la réaction des gens, dans l’ensemble, a été plutôt bonne. Il y avait même Nathalie Curtis, la fille de Ian, parmi la foule.
Tu avais rencontré les autres membres de Joy Division, avant de tourner ?
Oui, le week-end avant le début du tournage. New Order jouait à Liverpool, et j’y suis allé avec Samantha et les autres. C’était un moment assez bizarre pour tout le monde, chacun des anciens de Joy Division rencontrait son avatar. Seul Peter Hook n’était pas là, et Joe Anderson, qui joue son rôle dans le film, était un peu déçu, il se plaignait : « Où est le mien ? » (rires)… Quand je suis entré, tout le monde s’est mis à chuchoter, c’était franchement intimidant. Mais c’était un chouette moment. La seule chose qu’ils nous aient conseillée, c’était de nous amuser, autant qu’eux s’étaient amusés à l’époque.
Le fait de n’avoir pas connu la période a-t-il plutôt compliqué ou simplifié ton travail?
Je ne crois pas que ça ait changé grand chose. Le fait de ne pas être, a priori, un grand fan de Joy Division, a plutôt été un avantage. J’aurai sûrement eu trop de pression si ç’avait été le cas. Surtout, j’ai fait en sorte d’oublier combien Curtis était une icône, qu’il n’était de toute façon pas à l’âge où le saisit le film. Le fait que je n’aie pas connu la fin des 70’s n’a pas fait une grosse différence, parce que rien d’essentiel, au fond, n’a changé. Surtout dans le nord de l’Angleterre, qui a conservé cette dimension un peu austère, typique des cités industrielles déchues.
Peux-tu nous parler de ton groupe, 10 000 Things ?
Mon frère et moi avons commencé la guitare vers 8 ans. On rêvait de devenir des rock stars, on s’enregistrait sur des cassettes, et puis j’ai fini par me rendre compte que je n’allais pas devenir un grand chanteur rock avant que ma voix ait mué… A partir de 1999, on a commencé à jouer dans différents groupes, chacun de notre côté, dans des pubs et des clubs de Leeds. On a fini par former un groupe à 6, qu’on a appelé 10000 Things. On a eu un joli succès à Leeds, et on a fini par signer chez Domino, qui nous a fait enregistrer un EP. À la suite d’un deal de Domino avec Polydor, nous avons enregistré un album, plutôt chichement produit, et on a tourné pendant deux ans, avec des groupes comme Razorlight ou The Thrills. Et un an plus tard, on a fini par se faire lourder par le label, qui ne savait plus trop quoi faire de nous. Le retour à la vie normale a été un peu brutal, et puisque avant ça j’avais joué quelques petits rôles, j’ai fini par rappeler mon agent. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à auditionner pour Control. En tout, j’ai passé trois auditions. Je n’ai rencontré Anton qu’à la 3e, il m’a demandé de danser et de lui jouer quelques unes des scènes. J’ai reçu un coup de fil un mois après, le jour de mon anniversaire, et appris que j’avais le rôle.
En tant que musicien, tu n’étais pas inquiet à l’idée de jouer la vie de Ian Curtis ? Les biopics rock, en général, c’est quand même franchement très mauvais.
Oui, et c’est vrai que c’est une des choses qui m’ont le plus mis la pression. Mais j’étais dans une position où, de toute façon, je ne pouvais pas ne pas le faire. Et le point de vue d’Anton était plutôt rassurant, il disait sans cesse qu’il n’était pas en train de faire un biopic rock, justement. Au bout de compte, Control en est évidemment un, mais il est fidèle au projet d’Anton, qui a d’abord raconté la (courte) vie d’un jeune type qui, par ailleurs, était un musicien. Il n’a pas filmé une icône, c’est un film qui travaille plutôt sur la réalité humaine masquée par le mythe. Et de ce point de vue, je le trouve très réussi. L’accueil à Cannes a été extraordinaire, on n’osait pas rêver un tel enthousiasme. C’était la première fois que je voyais le film : Anton ne voulait rien me montrer, j’en avais vu à peine dix minutes. Il faut que je le revoie, d’ailleurs : pendant la projection, j’étais beaucoup trop obsédé par ma prestation et surtout par les coupes qu’Anton a dû faire. À l’origine, Control était un film de près de trois heures.
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