Le dernier Festival d’Angoulême en a révélé de belles sur la BD nippone : après les menaces de calvitie masculine, le manga rendrait les filles accros aux travaux d’aiguilles ? De quoi faire flamber Chantal Montellier, invitée du débat « Le manga par et pour les femmes : ghetto ou espace de liberté ? »
J’apprécie les BD de Chantal Montellier, surtout les Julie Bristol, son oeuvre la plus… girly (comprenez fille-fille, ou fille qui assume son côté fille). Sorcières mes soeurs n’est pas mal non plus, dans le registre girly trash (fille-fille qu’on fait cramer parce que les girls font peur aux boys). J’étais donc toute excitée à la perspective de débattre avec Chantal -je l’appelle par son prénom, même si elle a fait mine, après deux semaines de conversation par mails, d’oublier le mien une fois sur scène, ouh la vilaine !-, femme-femme admirable qui sait si bien raconter en image la persécution dont est victime le sexe dit faible (vilain ça aussi, comme expression). Et apprenant qu’elle ne connaissait rien à la BD japonaise, je lui apporte quelques titres triés sur le volet, afin de potasser au mieux le sujet (une démarche non pas condescendante, mais visant à partager, peut-être, avec une nouvelle connaissance, l’une de mes passions). C’est mon côté girly, une certaine naïveté, doublée d’une foi en l’homme -et surtout en la femme !- inébranlable. Parmi lesdits mangas, je citerai In the clothes named fat de Moyoco Anno, oeuvre inaboutie (comme beaucoup de jôsei ou manga pour femmes, ça se termine en eau de boudin) sur l’anorexie (beau sujet donc), et Mlle Ôishi, 28 ans, célibataire de Qta Minami, dont le titre laisse présager une Bridget Jones nippone alors qu’on est plus proche de La Meilleure du monde, de Pauline Martin. Deux titres que j’apprécie, parce qu’ils parlent de la femme japonaise, de son statut dans la société (peu enviable), de ses petits problèmes de la vie de tous les jours (comment je me suis disputée (ma vie sexuelle), etc.). Bref, une BD intimiste, où psychologie et sentiments sont dépeints à la première personne, et surtout relève d’un registre très peu présent en BD franco-belge, même s’il sent la redite lorsqu’on commence à en lire régulièrement (les plus mauvais titres sont assimilables à la chiken literature, dérivée de… Bridget Jones, encore elle).
Armée donc de ces deux titres ambitieux de « mangas par et pour les femmes », je ne m’attendais pas, certes, de la part de Chantal, révolutionnaire et féministe formée aux années 70, à une affection débordante pour cette BD nippone très girly, mais pas non plus à ses foudres absolues. Or, Chantal avoue ne pas avoir franchi la première page de Mlle Ôishi -quant à In the clothes…, elle ne l’a même pas évoqué- parce que son héroïne fait du tricot. Et d’expliquer que le tricot, aujourd’hui, est une abdication face au diktat d’une société machiste. Certes, Mlle Ôishi, à première vue, ne brille pas par sa flamboyance intellectuelle. Et c’est vrai, quand les femmes tricotent, elles ne font pas de politique. Et moi qui me croyais féministe, à essayer, déjà, de faire rentrer dans la tête des autres êtres humains que je croise sur ma route qu’on vit dans un monde d’homme, avec des références masculines, des modes de pensées masculins, etc. Tel un coup de massue sur ma pauvre tête de stupid girl, l’illumination m’a alors frappé : une fille qui fait du tricot, c’est une pauvre nunuche aliénée. Dire que quand j’étais enfant, j’avais tricoté un pull (rose ! argl ! la couleur des filles !) à mon ours en peluche… je l’ai échappée belle ! Mais pas pour longtemps, puisque j’ai été rattrapée par les mangas pour femmes, destinés à me vider la tête ou pire, à me la remplir de points de croix.
Quant à savoir ce que gagnent les dessinatrices japonaises en terme de liberté en s’assumant en tant qu’auteur, sans doute pas grand-chose… En comparant avec leurs consoeurs françaises, on se demande néanmoins quelle position est la plus enviable. Etre enfermée dans le ghetto de la littérature jeunesse et du « colorisme » (eh oui, en Franco-belgie, on trouve plein de femmes coloristes, souvent épouse de leur auteur de mari, quel progrès !) ou dans celui des histoires d’amour et de fesses, et de boulot qui prend la tête ? Il me semble que la seconde option permet au moins aux femmes d’exister en tant que telles, et non pas seulement en tant que mère ou épouse. Et puis j’avais demandé à Chantal, en off, si elle connaissait et appréciait Jane Austen, mémère non apprivoisée dont j’adore la prose et l’esprit, la réponse fut négative sur toute la ligne. Je n’ai pas osé lui poser de questions à propos du film La Revanche d’une blonde, où Reese Witherspoon concilie la girly attitude la plus pink avec l’intelligence la plus vive, le tout emballé dans un sourire éclatant. Je crois être définitivement perdue pour la Cause.
Lire la chronique précédente de Nathalie Bougon : le manga rend-il chauve ?.
Lire aussi notre compte-rendu d’Angoulême 2007
(Photo : Hervé Brient, avec son aimable aurotisation)