Entrevues, le Festival du film de Belfort, c’est le rendez-vous des cinématographies audacieuses alliant une programmation d’oeuvres qui ont forgé l’histoire du cinéma, à une compétition de premiers, deuxièmes et troisièmes films qui en écrivent le présent. Compte-rendu de l’édition 2006.
Quelques nouveautés à Belfort, après le vingtième anniversaire célébré l’an dernier. D’abord le départ du délégué général Bernard Bénoliel, qui se consacre désormais uniquement à la cinémathèque, et son remplacement par Catherine Bizern, Bernard B., conservant une fonction de conseiller artistique. Ensuite, une modification d’apparence anodine, mais qui ne l’est pas : la suppression (temporaire ?) du Grand Prix décerné à un film français. Il n’y avait qu’un prix pour les longs métrages de fiction, quelque soit leur nationalité. Pourquoi ? Parce qu’ils manquent, vraiment, les 1er, 2e et 3e films français valant le coup d’oeil. Seulement deux ont trouvé leur place dans la sélection conçue par Jean-Sébastien Chauvin (le nôtre, oui) et Bertrand Loutte, qui, c’est promis, ont cherché partout : Tête d’or de Gilles Blanchard et Le Dernier des fous de Laurent Achard. Il y en avait six l’an dernier. Mauvaise année ? Possible. Ou alors le jeune cinéma français est nul ? Ce serait un peu léger de la cuisse de dire cela, mais bon, la question mérite d’être posée. D’ailleurs, pour n’avoir vu que l’un d’eux, Le Dernier des fous, on y sent bien quelque chose qui ressemble à un malaise, ou une impuissance. Laurent Achard ne manque pas de talent, loin s’en faut. Sa mise en scène impressionne souvent. Il est doué, l’un des plus doués de sa génération, oui mais voilà : on ne voit pas bien où il veut en venir, si tant est qu’il le sache lui-même.
Le palmarès a récompensé L’Honneur de la cavalerie du Catalan Albert Serra, qui devrait sortir en février 2007. Logique, cette variation bucolique sur le Quichotte avait déjà beaucoup impressionné à Cannes 2006, à la Quinzaine des réalisateurs, où il avait failli recevoir la Caméra d’Or. Mais la star du festival, bien sûr, c’était Substitute, déjà célèbre bien avant d’être visible, ce fameux film tourné en super-8 par le musicien Fred Poulet et le footballeur Vikash Dhorasoo pendant la coupe du monde en Allemagne, où ce dernier était sélectionné en équipe de France. Poulet avait confié une caméra au milieu du PSG, l’enfant maudit du foot français, pour qu’il filme sa coupe du monde, telle qu’il la voit, et qui s’est résumée au final à 16 minutes de jeu, et des heures passées à bouiner à l’hôtel. Substitute, ce n’est pas la suite des Yeux dans les bleus (à noter que la Fédération française de foot se réserve le droit d’intenter une action judiciaire contre le film mais refuse de le voir, sachant peut-être qu’il n’y a rien du tout qui puisse justifier un procès). C’est plutôt les yeux dans le vague, la chronique d’une déprime footeuse, un film mélancolique et assez émouvant qui se tient au plus près de ce sentiment universel qui vous fait regretter de ne pas profiter pleinement de quelque chose, alors même que vous l’avez follement désiré. Le film est vraiment beau, très réussi.
Autre curiosité, 20 minutes de bonheur d’Isabelle Friedmann et Oren Nataf. Cela ressemble à un reportage de Canal +, mais c’est un long-métrage. Un doc, sur une émission de télé aussi débile qu’immonde diffusée sur TF1, Y a que la vérité qui compte, sorte de Perdu de vue trash-teubé présentée par le neuneu duo Bataille et Fontaine. Pas de grosse surprise (les gens qui fabriquent ces trucs ne sont ni des poètes, ni des philanthropes, mais on n’imaginait pas le contraire), mais ce qui frappe c’est surtout la fabrication de l’émission. Fabrication qui confine à une forme d’amateurisme : reportage live sur les témoins filmés au caméscope par un cadreur aux allures de réalisateur de pornos gonzos, et visiblement défoncé ; nuée de jeunes stagiaires au féminin qui, tels de jeunes perdreaux virevoltant dans les prairies, s’agitent les escarpins pour remettre la main sur la soeur fâchée, l’ex furax, l’ami perdu. Bataille et Fontaine sont bien sûr de drôles de bougres. Saperlipopette, on ne sait plus lequel est Bataille, lequel est Fontaine, mais sachez que c’est le petit gros à lunettes qui visiblement possède le cerveau qu’ils partagent et qui mène les débriefings en caleçon -débriefings durant lesquels l’autre, le grand dadais, balance des mandarines en recommandant de ne pas jouer avec la nourriture. Le personnage le plus atroce demeurant quand même le rédacteur en chef de l’émission, qui se comporte vraiment comme une crapule (sa manière de manipuler les témoins en les couvrant d’éloges), mais explique à son stagiaire ce que c’est que la ligne claire avec un CD de Nouvelle Vague de Godard, qu’il a sur son bureau par on ne sait quel mystère. Et ça, c’est respect, man.
Ayant déjà dit, au moment de Cannes, tout le bien -le mot est faible, en fait on en est fou- que l’on pense du court-métrage portugais Rapace de João Nicolau (sacré meilleur court-métrage étranger en Franche-Comté), égrenons quelques moments forts des compétitions. A commencer par Old Joy de Kelly Reichardt, qui attirait l’oeil et l’oreille autant qu’il faisait redouter un étalage indy-branchouille, mais ça va : Will Oldham fait son retour à l’écran dans ce deuxième long, mais laisse à Yo La Tengo le soin de composer la musique originale de cette sorte de Gerry forestier où deux amis ne se perdent pas, du moins topographiquement parlant, mais font l’expérience d’une séparation muette et mélancolique, comme lorsque quelque chose se casse entre deux amis, et qu’il n’y a rien à faire à ça. Pas mal. Pas mal non plus, Cinnamon de Kevin Jerome Everson, un doc sur des courses de dragster et la belle relation entre une fille pilote et son mentor et mécano. Everson joue brillamment avec la course elle-même, réalisant un film calme et réfléchi là où il ne s’agit d’ordinaire que de fast et de furious. Plus fort : Neighborhood d’Alain Della Negra et Kaori Kinoshita. Des gens parlent à la caméra, racontent ce qu’ils font, leur vie, ce qu’il leur arrive.
L’une est une ancienne prostituée qui fait un ménage à trois avec un garçon et une fille qui appelle toujours les pompiers. Un autre a laissé à l’abandon les problèmes matériels de la vie jusqu’au jour où il a accepté d’entrer dans la pègre et a pu alors entamer une vie sentimentale. Untel a des problèmes avec ses voisins parce qu’il fait toujours la fête mais ne range rien après. Un couple avait eu un enfant, mais ne s’en est pas occupé, alors il est mort et il faut en refaire un autre. Un type voulait la femme de son voisin, alors il a tué son voisin et il a pris sa femme. Ils habitent en France, aux Etats-Unis ou au Japon. Ils jouent des Sims. Plus fort encore : A Short film about the indio nacional (or the prolonged sorrow of Filipinos) du Philippin Raya Martin, 22 ans. Le film est déjà célèbre, sa beauté puissante et primitive, qui renoue directement avec le muet des origines a fait beaucoup parler, à Belfort, Nantes ou Marseille. On compare son auteur à Apichatpong (Tropical malady), mais il n’a pas besoin de ça. On a simplement envie d’en profiter pour saluer l’extrême vitalité du jeune cinéma d’Asie du Sud-Est (Philippines, Malaisie, Thaïlande, Indonésie), qui propose aujourd’hui les projets les plus libres et les plus singuliers, comme l’a montré aussi le tout récent Festival des Trois Continents de Nantes. Envie aussi de voir la suite du travail de Raya Martin, évidemment.
Autour de ces compétitions tourne aussi un festival qui propose des programmations belles et ambitieuses. Le menu de cette année regroupait l’intégral des productions Diagonale (Vecchiali, Biette, Guiguet, Treilhou, Frot-Coutaz), un hommage aux Gianikian, une sélection transversale autour de la figure de l’héroïne. Il y avait aussi la première présentation de My new picture de Bertrand Bonnello, un film de 40 minutes conçu autour de son dernier album. Et puis une rétrospective Bellocchio, qu’il ne fallait pas louper, au moins pour la projection du sublime et mythique Le Prince de Hombourg, le chef-d’oeuvre maudit du cinéaste italien. Le film était compétition à Cannes en 1997, il n’a jamais été distribué et, incroyable mais vrai, la copie cannoise sous-titrée a disparu (Cannes conserve des copies sous-titrées de tous les films en compétition), seule une (mauvaise) copie italienne circule. Pas de DVD, ni en France ni ailleurs, seule une préhistorique VHS italienne circule, quasi introuvable cependant. Comment est-il possible qu’un film pareil, vieux de dix ans, soit ainsi invisible ? Mystère… En tout cas, deux ans après un week-end Bellocchio à Pantin, c’était seulement la deuxième projection en France depuis dix ans de cette admirable adaptation de Kleist revisitée par le baroque. Alors on dit merci Belfort.
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