Christian Fennesz et Scanner rencontrant le quatuor à cordes de Musiques Nouvelles, la soirée Deco / Burö avec Teamtendo et Transformer Di Roboter, « Push », sont quelques uns des événements marquants et à suivre du dernier festival MIA à Annecy. Compte rendu non exhaustif de l’édition 2004 (3-6 novembre).
Réveillé dans le TGV à l’approche d’Aix les Bains, le paysage a changé comme si je l’avais rêvé : on longe le lac d’Annecy et deux banquiers dans mon carré VIP Alsthom parlent de Yasser Arafat. La haute montagne, le bon air frais et une douceur automnale accueillent le Festival MIA dans la jolie ville d’Annecy. Matthieu Blestel, attachant attaché de presse, est sur le quai pour nous souhaiter la bienvenue et nous mener à l’hôtel des Allobroges où nous attend une chambre avec TPS. Affaires posées, nous partons pour Bonlieu, la scène Nationale d’Annecy trônant au dessus d’un mini centre commercial (café, librairie et Quick où s’affale la jeunesse locale, quand le lac tout beau est à deux pas de là) où nous rencontrons Romaric Daurier, assistant de la direction et coordinateur, qui nous offre une bière et nous présente le festival. Le Festival MIA, rendez-vous dédié aux nouvelles formes musicales et scéniques, propose concerts (le laptop de Christian Fennesz et les machines de Scanner rencontrent le quatuor à cordes Musiques Nouvelles), performances (Push, une lecture performance de l’actrice Alexia Monduit sur un texte brûlot de Sapphire) et installations sonores (Erratum tribute, une installation dirigée par Joachim Montessuis, entre poésie sonore, bruitisme et musique électronique)… « Né en 2003 du concours de Bonlieu Scène nationale d’Annecy, de l’association des Musiques Inventives et de l’ENMDAD, MIA est un nouveau rendez-vous pour les nouvelles formes musicales et scéniques. Une semaine pour découvrir des itinéraires singuliers à la croisée du son, du geste et de l’image. Au delà du simple constat d’interdisciplinarité, MIA est une tribune aux auteurs, artistes, rencontres… qui redéfinissent leurs héritages esthétiques, les redistribuent, et posent la question de l’invention des formes d’aujourd’hui. S’affranchissant des genres, assumant le dérèglement des cadres, le Festival prend le parti-pris de l’inclassable et parcourt un territoire sans repères où la désorientation est assumée ». Cool, nous découvrons la programmation et la musique comme véritable fil conducteur de cette deuxième édition (et raison de notre présence incongrue dans un festival de moins de 30 000 spectateurs), avec notamment les rencontres attendues entre Fennesz et Scanner et le quatuor à cordes de Musiques Nouvelles, la soirée Deco / Burö avec Teamtendo et Transformer Di Roboter, ou la rencontre entre la danseuse Julie Nioche et la musicienne Alice Daquet (également connue sous le pseudo Sir Alice, amie de Marc Collin et Avril, auteur de disques electro-pop chez Tigersushi).
« La musique, dans son récent désir d’intégrer l’objet, d’absorber l’espace, de rêver de textes, de planches, de théâtre donc, côtoie les mêmes rives que les plasticiens à la recherche de nouveaux langages. Entre les gestes et les mouvements de l’acteur, du musicien et du danseur se profilent d’incontestables affinités qui proviennent de l’impulsion physique. Le théâtre musical, selon Georges Aperghis, c’est la possibilité de raconter en même temps plusieurs histoires ».
Erratum, Push
Mais entrons dans le vif du sujet, c’est-à-dire dans le hall haut de plafond de Bonlieu et quelques pièces en enfilades qui accueillent les installations sonores de Joachim Montessuis, créateur de la revue sonore Erratum. « Erratum est la première revue CD dédiée aux arts sonores en France, depuis la revue « OU » fondée par Henri Chopin dans les années 60. Apparue en 1997, cette revue rassemble différentes pratiques transversales de la plastique sonore actuelle, au croisement des sphères poétiques et musicales ainsi que des arts plastiques (art audio, installations, performances, poésie sonore, poésie-action, bruitisme, électronique). » Effectivement, à côté d’un étal de quelques livres et CDs, où trône le volume 4 d’Erratum, le hall de Bonlieu est visité par des platines Technics libres d’accès (où se scratchent les disques concrets de Montessuis), des micros branchés sur des amplis, des robinets dont l’écoulement ponctuel est diffusé par de petits postes radios, le tout s’offrant généreusement aux visiteurs comme une invitation à l’expression amplifiée, aux épanchements sonores. Curieusement, on ne verra que peu de monde s’adonner à l’exercice. La frontalité des propositions electro-acoustique s’avérerait peut-être intimidante ? C’est un peu dans le même esprit que Thomas Rannou a créé « l’environnement sonore » de la performance Push, « lecture amplifiée » par Alexia Monduit du texte de la poétesse new-yorkaise Sapphire, racontant Precious Johns, petite fille de Harlem et héroïne de Push : multipliant les petits haut-parleurs dénudés, disséminant micros et fils électriques dépouillés, mis à nus, comme un réseau, un conduit, un flux tangible par lequel s’engouffrerait et filerait le flux invisible, le flow de la voix unique de Precious Johns, le dispositif de diffusion du son acquiert là une valeur à la fois poétique (manière métaphorique de rendre visible l’onde sonore) et politique (diffuser une parole, faire proliférer les écoutes, porter plus haut la parole -« haut-parleurs »). Car la vie de Precious Jones, violée par son père, enfant enceinte à l’école, analphabète à Harlem, séropositive, est ici sauvée par ses mots, les sentiments déchirants et contradictoires qu’ils expriment, la voix qui les porte : Alexia Monduit projette la voix et le corps de Precious Johns comme si elle en était habitée, comme en une transe chamane. Elle fait siens les pleurs (Precious Johns apprend sa séropositivité) et les joies (Precious Johns apprend à lire) du personnage avec une violence épuisante (elle se retrouve plusieurs fois à terre), portant l’interprétation jusqu’à un point de consomption rarement atteint. Impressionnant.
Bénéficiant également du travail de Nadia Lauro (scénographie) et Manuel Coursin (dispositif), Push est une réussite collective pour produire une parole singulière (le salut passe par la maîtrise du langage). Ne manquez pas Push, bientôt présenté à La Villette.
Le studio, Alice Daquet, Fennesz, Scanner
On ne peut pas parler de tout ce qui s’est passé pendant le festival, bien sûr, parce qu’on n’a pas pu tout voir (on a raté les Lendemains qui chantent de Sphota et H2O de Julie Niche et Alice Daquet, deux spectacles dont tout le monde nous a dit du bien…on fait suivre l’info). Et parce qu’on y a vu aussi des choses pas forcément très intéressantes. Mais parmi les choses valables, il y avait les gens. Et parmi les gens, Philippe Moënne-Loccoz, qui s’occupe avec enthousiasme du Studio : « Centre de musique contemporaine à Annecy depuis 1982 (la structure existe depuis 1972), le MIA dispose d’un studio de création électroacoustique, un studio mobile pour les concerts et pour la pédagogie, un dispositif pour la diffusion des œuvres électroacoustiques et mixtes. Sur la durée du festival, le studio a ouvert ses portes pour présenter le travail des compositeurs en résidence et permettre de découvrir les outils et les sensibilités à l’œuvre dans différentes créations ». Philippe Moënne-Loccoz a participé à la programmation du festival et à sa couleur particulièrement musicale. Le label Musiques Inventives d’Annecy a produit une collection passionnante, « Musiques tracées », qui explore sur CDs les géographies sonores locales (dernièrement, Mille vingt-quatre, de David Jisse : une sorte de documentaire audio sur les habitants de la côte des Chavants, un hameau de la commune des Houches, à 1024 mètres d’altitudes, pour 1024 secondes de sons). Dans le Studio, avec huit enceintes entourant quelques chaises posées dans l’obscurité, on a pu entendre cette semaine des oeuvres musicales de Bernard Parmégiani, Alain Savouret, Robin Minard, Thierry Blondeau, Jean Favory, Eric La Casa, Scott Gibbons, Christophe Ruetch, David Jisse ou Alice Daquet. Notons ici qu’Alice Daquet est un phénomène de survoltage et une personne tout à fait sympathique. Elle trempe ses Speculoos dans son verre de vin, fait des sculptures avec des poires et des allumettes, appelle son ordinateur « Louis XIV ». Elle sort des disques electro-pop chez Tigersushi et fait des recherches sur la perception cognitive de la musique à l’Ircam. On vous encourage bien sûr à découvrir sa musique et le personnage, le 25 novembre 2004 sur la scène du Point Ephémère. Après ce quart d’heure pub, parlons sérieusement de Christian Fennesz, superstar de la musique électronique européenne, amateur de guitares électriques et de cols roulés, et rebaptisé par certains « Christian Punaise » en raison de sa légendaire et franche camaraderie. Une réputation réfrigérante qui nous a incité à ne pas tenter de l’importuner avec nos questions de journalistes.
Fennesz, guitare en bandoulière, était invité par Musiques Nouvelles pour co-interpréter avec le quatuor à cordes local une création de Jean-Paul Dessy. Mais autant on trouve fascinante ses relectures laptop de la pop (Endless summer) qui tirent vers les musiques « savantes » la culture populaire, autant ces incursions de l’électronique vers la musique contemporaine sonnent souvent un peu vaines : là, le grésil électronique et les quelques accords de guitare électrique de Fennesz semblaient simplement juxtaposés à la pièce pour quatuor, elle-même virtuose et extrêmement nuancée. Sans rencontre possible, mais l’un et les autres comme posés chacun à côté. Même impression juste après avec Scanner, qui commence par « buzzer », avant de poser une simple pulsation et quelques effets de mains sur les entrelacs de cordes de Dessy. Une vidéo de Regis Cotentin, heureusement, multiplie les sensations : métamorphoses monstrueuses, érotisme étrange, montages et transparences apportent un grain de mystère à l’exercice appliqué et dévitalisé qui se joue sur scène.
Deco
De la vie et de la bière, il y en avait au Brise Glace, salle de concert-boîte de nuit locale, pour la soirée de clôture du festival, qui invitait le label Deco et ses dernières références, Teamtendo et Transformer Di Roboter. Teamtendo, duo de peluche y a interprété ses mini-tubes techno en 8 bit, à l’aide de Game Boy, d’une table de mixage et d’un ordinateur, devant un public jeune et pogotant (le 8bit est punk). Puis Transformer a fait son show devant un public plutôt saoul et clairsemé. La Savoie n’est pas encore prête pour le second degré des allemands electro ? Dj Aï a fini la soirée en mixant des vinyls et deux CDRs qui traînaient dans la voiture, enchaînant les tempos comme s’il avait trois bacs de disques sous la main. On s’est endormi devant Braveheart. Dimanche au réveil, on a croisé Alice Daquet et son amoureux dans Annecy désert, on s’est perdu vers l’Eglise de la Visitation, on a longé le bord du lac en se disant que les savoyards ne suivent peut-être pas trop la Culture parce qu’ils ont déjà la Nature, et qu’ils ont peut-être raison. En fin de journée, j’ai eu l’impression que le TGV décollait en lisant ces mots dans L’Invention de Morel, de Bioy Casares : « A présent, je me console en réfléchissant à ma condamnation. Est-elle juste ou non ? Que dois-je en espérer après lui avoir dédié ce jardinet de mauvais goût ? Je crois, en toute équanimité, que l’ouvrage ne devrait pas me perdre, puisque je puis le critiquer. Au regard d’un être omniscient, je ne suis pas l’homme que ce jardin fait craindre. Et pourtant, je l’ai créé. J’allais dire que là se manifestaient les dangers de la création, la difficulté qu’il y a de porter en soi, avec équilibre, et simultanément, plusieurs consciences. Mais à quoi bon ? Ces consolations sont futiles. Tout est perdu : l’existence avec la femme, la solitude passée. Désemparé, je m’obstine dans ce monologue qui, dès maintenant, est injustifiable ». Cheers (for fears).