Compte-rendu de l’édition 2004 du plus grand salon international du jeu vidéo, à Los Angelès, qui nous permet, pour une fois, de cerner à peu près la politique des éditeurs / constructeurs…
On peut dire qu’on aura attendu longtemps un E3 comme celui là. Le plus grand salon annuel du jeu vidéo se révèle en effet souvent décevant car vide de sens et dénué de parti pris forts. Habituellement, un simple étalage marchand des éditeurs aux airs de concours de celui qui pisse le plus loin. Au-delà des éternelles préoccupations de l’inflation de polygones et de la vaine quête au photo-réalisme, la cuvée 2004 a enfin permis de cerner une certaine politique des auteurs. L’ironie de la chose veut que la guerre d’ « eux trois » (Microsoft, Sony et Nintendo) ait eu lieu quelques heures avant l’ouverture des portes du salon, dans l’atmosphère sélect de leur conférence respective.
A MA GAUCHE, MICROSOFT…
Big show convenu et gros baillements à la conférence Microsoft, l’avant vieille du salon. Les jeux stars de la conférence de l’année dernière n’étant toujours pas disponibles, le public accueille mollement des killer apps (Fable, Halo 2, Full spectrum warrior…) depuis trop longtemps annoncées pour provoquer une quelconque excitation. Puis, la stratégie de Microsoft s’annonce clairement : la fusion des marchés PC et Xbox par la compatibilité online des titres et la facilité de portage d’une plate-forme à l’autre. Un calcul simple : avec un monopole tel que celui de Microsoft sur le PC, la Xbox amène ses utilisateurs sur le terrain où la firme de Redmond dispose du plus grand pouvoir financier, ainsi que sur celui du contrôle des informations transitant sur le réseau. La plate-forme XNA permettant ce « meilleur des deux mondes » met en valeur un aspect inattendu et louable de la politique de Microsoft : le soutien au développeurs par la réduction des coûts de productions dont l’inflation peuvent sur un seul titre, mal marqueté, s’avérer fatal. Malgré tout, cette politique de fusion apparaît comme autant de munitions en plus pour tous ceux qui ne voyaient dans la Xbox qu’un ersatz de PC.
A MA DROITE, SONY…
A la fusion des formats pour Microsoft, Sony répond par la fusion des médias, lors de sa conférence, le lendemain matin. Après la présentation tiède des suites des hits à venir sur la PS2 (Gran turismo 4, Metal gear solid 3, Jak 3, GTA 3…) et l’assommante démonstration de domination du marché des consoles de salon à coup de slide Powerpoint, Sony présente sa console portable et déjà hype, la PSP. Les vidéos montrent une qualité graphique 3D à situer entre la Playstation et la PS2 et un design sexy. Mais très vite, le discours se déplace. Le plus important dans la stratégie de Sony n’est pas de vendre du jeu – politique de Nintendo -, mais d’imposer un nouveau format média : l’UMD (grosso modo du DVD en plus petit). Sony va devoir convaincre tous les acteurs de l’industrie musicale et cinématographique pour consacrer l’UMD. Pari risqué, la firme nippone étant à ce jour l’unique acteur de l’industrie musicale et cinématographique à soutenir sa technologie. Fusion des médias donc, l’avenir du jeu selon Sony : le métissage du jeu vidéo et du cinéma sur SON format, fabriqué sur SA plate-forme d’usinage d’image active / passive (jeu / ciné), le Cell.
On suppose bien entendu que pour Sony, les enjeux artistiques des deux formats abandonnent toutes singularités. Les esthètes apprécieront. PS2, PSP, UMD, Cell et PS3 ; le tableau de famille est complet et qu’importe l’ivresse tant que vous utilisez leur flacon. Une belle leçon de mépris du bétail consommateur d’image auquel Sony fera payer cher son bel enclos.
AU CENTRE, NINTENDO…
A croire qu’il fallait se résoudre à ne plus entendre parler de jeu et seulement de jeu. At last but not at least, la conférence de Nintendo démarrait deux heures après celle de Sony. Un show nietzschéen en forme de direct au foie. Un Nintendo plus agressif que jamais. Des fans aux bords des larmes. Après une présentation convenue mais efficace des nouveaux étendards Gamecube (Metroid prime 2, Resident evil 4, Star fox), l’habituel démonstration de santé financière Powerpoint (la vraie star de l’E3 ?) et un cassage en règle de la concurrence, tous les yeux se braquent sur la Nintendo DS. L’ambiance s’échauffe et pour cause : la Nintendo DS proposera des jeux au gameplay basé sur le toucher (écran tactile), sur la voix (reconnaissance vocale) et sur la communication (online et multijoueur). En quelques minutes d’explication et d’exemples, ce steack métalisé et franchement laid devient une plate-forme de jeu futuriste, un paradis retrouvé de l’imagination au pouvoir où se construit le futur de l’interactivité. Au grand patron, Iwata, d’enchaîner et d’assurer que le successeur du Gamecube suivra cette voix de l’innovation au service des propositions de jeux inédites. L’émoi dans la salle est palpable. Pour transformer cet enthousiasme en traumatisme irréversible, il aura suffit de deux minutes et du magnétique trailer d’un nouveau Zelda sur Gamecube. Malgré l’hystérie générale, on regrette : terminée l’épure poétique et picturale de The Wind waker. Fini le toon-shading. Nintendo, pour le coup, laisse son courage au porte manteau et donne aux fans nostalgiques d’Ocarina of time de quoi ranimer leur flamme. C’est une foule embrasée qui quitte la salle.
FIGHT !
Quel avenir pour nos consoles ? Celui de Microsoft fait de jeux où prime la qualité graphique, indistinctement PC et console, et qui seront jouables en ligne sur les mêmes serveurs ? Celui de Sony où le contenu n’a plus la moindre importance tant que demeure le contenant sur lequel la firme touche ses royalties et où le jeu vidéo ne sert que de tremplin à la vente de films à visionner dans le train ? Celui de Nintendo, où le jeu, dans son autosuffisance, ose encore la prise de risque et les propositions de jeux débridées et innovantes en dépit de la mode des crossover médias et de la suprématie du DVD sur l’industrie des loisirs ? Au-delà des promesses de confort personnel et du racolage polygonal. Au-delà de ces sympathiques options / services qui nous éloignent du plaisir de jouer plus qu’ils ne le transforment. Au-delà des suites au budget inflationniste et sans saveur. Au delà de l’obsession de dominer des marchés par la forme et la frime plutôt que par le fond et les produits intelligemment torchés. Au-delà de ce questionnement esthétique obligatoire pour qui prétend aimer les jeux vidéo. Au-delà de tout cela, il y a vous. Il y a moi. Nos portefeuilles et nos intentions d’achat comme autant de bulletins de vote pour la direction que prendra le grand art du nouveau siècle. This is fucking political !