Rencontre avec Alan, porte-parole, compositeur, guitariste et chanteur de l’un des groupes les plus sublimes de sa génération. Low vient de publier un imposant septième album, Trust, qui, une nouvelle fois, survole la mêlée indie rock américaine.
Chronic’art : Vivez-vous toujours dans le Minnesota ?
Alan : Oui, nous y avons tous grandi, dans des petites villes rurales, avant de déménager à Duluth, sur le lac Supérieur. Cela étant, notre label et notre agent sont à Chicago.
L’influence de cet environnement septentrional se retrouve-t-elle sur votre musique, avec ses longs mois d’hiver… ?
Il me semble que oui, avec le temps qui passe sans que rien n’arrive, avoir le froid et le fait de rester longuement enfermé à l’intérieur. La neige est plate et sans histoire, nous sommes entourés d’eau, une forme d’océan intérieur. On se force à s’habituer à ces longues durées. Une fois que c’est fait, on essaie de repousser encore cela. Nous sommes arrivés au stade où l’on ne peut pas étendre plus notre musique que ce que nous avons déjà fait ; maintenant, on ne fait qu’explorer ces territoires.
Des territoires emprunts d’une certaine mélancolie…
Mélancolie est synonyme de tristesse la plupart du temps. Je pensais que la mélancolie pouvait aussi faire penser à la réflexion, au calme, à la sobriété. Je ne pense pas que ce que nous faisons soit triste. Tom Rapp de Pearls Before Swine évoquait une « mélancolie constructive ». Tous les gens qui restent tristes plus de quelques heures sont égoïstes. C’est ce que j’ai dû me dire assez souvent… Je serai donc égoïste (rires).
Votre musique a toujours possédé un côté atypique, le calme au milieu d’un océan de bruit en ce début des années 90 grunge ?
Effectivement, il existait beaucoup moins de groupes calmes à cette époque, il y en a beaucoup plus actuellement. C’était alors étrange de jouer ainsi. On a peut-être été remarqué à cette époque car on était un des seuls groupes à jouer de la sorte.
Quels sont les groupes qui ont pu vous influencer à vos débuts ?
Joy Division, le Velvet Underground, Galaxie 500, surtout ce dernier groupe. Nous avions envoyé une cassette à Kramer, ce qui démontre leur influence implicite, le fait d’avoir choisi le même producteur que Galaxie 500. Des groupes anglais éthérés pré-gothiques comme les débuts de The Cure, This Mortal Coil, Wire, The Clash, des groupes dont l’influence ne transparaît pas vraiment sur notre musique… Et aussi Nations Of Ulysse pour ce qui concerne notre bassiste Zak.
Comment voyez-vous l’évolution de votre écriture ?
On a beaucoup expérimenté et essayé des choses différentes tout en étant excités par de bonnes chansons, que l’on essaie d’écrire. C’est ce vers quoi nous tendons. Plus on en fait, plus on explore et plus on apprend comment écrire ces morceaux. D’une certaine manière, je pense que nous sommes de meilleurs songwriters aujourd’hui, sans pour autant que notre musique soit meilleure. Aux débuts de Low, nous étions moins préoccupés par les structures des chansons. C’était plutôt du style « Hey, regardez comme nous sommes lents et calmes ! » (rires). Combien de temps peut-on tenir la même note sans se faire tuer ?…
Il est écrit sur le site du groupe que vous avez pris des risques avec ce nouvel album ?
Oui, en ce qui concerne la manière d’enregistrer ces chansons plus rock, plus bruyantes, des chansons auxquelles nous avions beaucoup pensé. On pensait qu’on le regretterait si nous ne les avions pas faite. On a donc pris un risque. Et nous avons aussi expérimenté avec cet ami ingénieur du son qui s’occupait de nous. Tchad Blake était au mixage. On lui faisait confiance. Nous étions familiers avec son travail. Nous l’avons laissé faire. On l’a laissé mixer des morceaux qu’il n’avait jamais entendus auparavant. Il y avait donc un risque à prendre. Trust est un disque plus sombre, Nous avons aussi pris ce risque d’être en groupe et de faire de la musique comme nous la faisions à nos débuts, il y a dix ans. C’est un pari, nous aurions pu changer changer radicalement les choses. Mais on a décidé de continuer à jouer ce type de musique. J’étais confiant dans nos nouvelles chansons. Je savais qu’il s’agissait peut-être des meilleures chansons que nous avions composées. Et puis j’ai été très satisfait du travail de Tchad, j’étais heureux d’entendre ce nouveau son et ces nouvelles textures. Prochaine étape maintenant : jouer ces morceaux sur scène et les confronter à notre public.
Pourquoi avoir choisi ce nom, Trust ?
Zak a suggéré ce nom pour le disque. J’aime ce nom car il revêt plusieurs significations. Notamment cette confiance qu’il peut y avoir au sein d’une relation ou entre deux personnes. Nombre de nos chansons revêtent cette forme, celle d’une personne parlant à d’autres. Trust, c’est un peu comme un compte en banque que l’on confie à quelqu’un, il faut avoir confiance. C’est de la valeur amassée que l’on laisse à d’autres. Il y a bien entendu d’autres significations. Ce mot incarne beaucoup de choses que nous avons vécu avec le disque, des évènements récurrents. J’aime cette idée de pochette avec le bras tendu, elle revêt une signification biblique. C’est un bras fait de chair et ce n’est pas bien de lui faire confiance… (rires)
Vous avez maintenant votre propre label, Chairkickers, sur lequel vous avez publié un album merveilleux, le premier disque des Rivulets de votre ami Nathan Amundson…
Quelques groupes font de la chouette musique, mais personne ne veut les sortir. J’ai un peu d’argent de côté. Nous avons donc lancé ce label afin d’aider des groupes que nous aimions à publier leurs enregistrements. En étant raisonnables, nous ne perdrons peut-être pas d’argent… (rires) On va publier un album de Kid Dakota de Minneapolis dans un registre assez rock, ainsi qu’un autre album des Rivulets en février 2003 et un projet parallèle au groupe, If Thousands, plus ambiant et improvisé, plus proche de l’électronique.
Quelles ont été les réactions les plus flatteuses à l’égard de votre musique ?
De temps en temps quelqu’un vient nous voir et nous dit que notre musique a sauvé sa vie. Certaines chroniques ont été très flatteuses à notre égard. Des personnes qui comptent nous respectent, des critiques, des musiciens comme Michael Gira des Swans pour qui nous sommes un de ses groupes préférés. C’est très flatteur et honorifique d’avoir ce type de réaction de la part de quelqu’un que l’on admire depuis longtemps, et qui prend le temps d’écouter nos disques. Sinon, ce sont des gens que l’on ne connaît pas, des fans. Il me semble que toute personne ayant des activités créatives ou artistiques possède ce désir secret de reconnaissance, de penser que des gens seront touchés par son travail.
Lire notre chronique de Trust