Créature en évolution permanente du chantre Glen Johnson, Piano Magic aura un temps été le fer de lance d’un réjouissant revival indie, onirique, sale, éthique, fauché et fier de l’être. Signe des temps, cette entité instable atterrit aujourd’hui sur 4AD, et concrétise avec Writers without home le rêve de toujours d’un éternel adolescent. Rencontre.
Glen Johnson : Ca a été un disque long et pénible à faire. Tous nos disques précédent ont été enregistrés en cinq jours, celui-ci nous a pris dix mois. On a eu plein d’ennuis. Alors la première chose que l’on a ressentie après l’avoir terminé, c’est du soulagement. C’est assez négatif, comparé à de la joie. Mais plus on tourne, plus on rencontre des gens qui l’ont entendu, plus on réalise à quel point on en est en fait content. C’est l’album que j’ai toujours voulu faire, le disque définitif de Piano Magic. Je ne suis même pas stressé, alors que le disque sort dans une semaine…
Alasdair Steer : Le fait que ce soit le premier vrai disque de Piano Magic sur 4AD complique tout de même un peu les choses, comme une pression supplémentaire implicite.
Glen Johnson : Rien n’a changé pour moi. On a enregistré de la même manière que d’habitude, on a travaillé de la même façon.
Chronic’art : Comment avez-vous atterri sur 4AD d’ailleurs ?
Oh, ça n’a rien à voir avec Rocket Girl. On n’a jamais eu de contrat avec Rocket Girl ! Vinita (Joshi, boss du petit label anglais, ndlr) est une très très bonne amie. Elle nous a toujours fait confiance. Mais on a voulu évoluer vers un label plus… important. 4AD a toujours été un choix logique pour le groupe… Presque trop. « Oh vous êtes des fans de This Mortal Coil, ce serait une véritable consécration que vous soyez signés sur 4AD, blah blah blah… » alors oui, on a toujours été fans. Mais aller sur ce label, c’est avant tout un choix de business, ou presque. On voulait que plus de gens entendent notre musique, voient notre nom. Autant aller sur 4AD. C’est toujours mieux que… Poptones (rires).
Vous vous seriez peut être plus distingués sur un autre label, justement…
Je pense qu’il reste suffisamment de différences entre nous et nos influences pour que l’on arrive à nous distinguer des autres groupes 4AD. Le rapprochement entre Piano Magic et This Mortal Coil est facile. Mais le fait est qu’on ne ressemble pas tant que ça à This Mortal Coil. Le vrai rapprochement vient plutôt du fait que This Mortal Coil est le projet d’un noyau dur de deux personnes, qui invitent sans cesse des nouvelles personnes. Ou que Dead Can Dance utilisent parfois deux batteries, et que j’avoue qu’on leur a piqué l’idée… Mais notre musique est unique. Et au final, nous sommes sur un très bon label qui nous finance et nous laisse faire tout ce qu’on veut.
Jusqu’à quel point est-ce que Writers without home est un disque conceptuel ?
En fait, Writers without homes n’est pas plus conceptuel que ne l’était Artists’ rifles… Mais tout le monde pensait qu’Artists’ rifles était un disque conceptuel, alors… (rires) En fait, le problème vient probablement de la pochette, qui s’inspirait du dernier morceau. Il n’y avait que cette chanson qui parlait de poètes de guerre, les autres parlaient de séparation, de coeur brisé… En ce qui concerne le nouvel album, il est encore plus délié, musicalement et au niveau des thèmes des chansons…
A nouveau, le visuel de Vaughan Oliver qui orne la pochette, et qui représente des gros plans d’une machine à écrire, semble directement illustrer le titre.
Oui, Vaughan aurait tout à fait pu prendre le contre-pied du titre et mettre un poulet sur la pochette… Mais bon, j’aime bien la nostalgie que suggère une machine à écrire. Plus personne n’en utilise, plus personne n’en utilisera probablement jamais. Quelque part, il doit y avoir une montagne de vieilles machines à écrire, ça me rend assez mélancolique. Alors, malgré le cliché, ça a fait pencher la balance du bon côté.
Cet artwork rend le disque très sérieux, peut être même plus grave encore qu’il ne l’est déjà. Piano Magic semble être un projet de plus en plus sérieux…
Alasdair Steer : Mais c’est un disque très sérieux. Ce n’est absolument pas une plaisanterie.
Glen Johnson : Il est un peu moins sombre qu’Artists’ rifles tout de même. Il y a plus de lumière dans ce disque que dans n’importe quel autre disque de Piano Magic. Il y a des ombres, bien sûr, mais aussi beaucoup de lumière pour les éclairer. C’est un disque moins lourd, moins plombeur d’ambiances. Je me rappelle, il y a quelques années, nous étions au festival de Benicassim, en Espagne. Il faisait chaud, il y avait plein de soleil, les gens étaient heureux. Et puis quelqu’un du festival a mis No closure (extrait d’Artists’ rifles). Tous les regards se sont tournés vers moi, pleins de haine (rires). « Quoi, quoi, qu’est-ce que j’ai fait ? ».
Comment est-ce que tu vois l’évolution du groupe depuis Popular mechanics ?
C’est tellement constant, que j’ai du mal à définir une trajectoire unique. Je pense que mon song-writing est meilleur. Popular mechanics était très électronique, Low birth weght était très éclaté et concentré sur les collaborations, Artists’ rifles était un vrai disque de groupe, celui-ci revient un peu à l’équilibre de Low birth weight…
La route a été très sinueuse, en termes d’évolution. Quand on dit « évolution », on pense à développement, alors que notre mouvement est beaucoup plus hasardeux. On tourne en voiture dans une ville, en quelque sorte, sans jamais s’arrêter, et on va où on veut. Tout ce que je sais du prochain disque, c’est qu’il sera complètement différent.
Pourquoi tous ces collaborateurs ?
L’un des éléments de base du son Piano Magic, c’est que je n’aime pas ma propre voix. Alors je préfère faire chanter mes chansons et mes paroles à d’autres, et si possible varier les plaisirs. Souvent, quand j’écris une chanson, j’imagine le genre de voix que j’aimerais entendre dessus. Des fois je trouve, des fois ça donne un résultat différent… Mais quand j’entends quelqu’un comme John Grant (voix des Czars, ndlr) chanter, je sais que ça collera forcément. Je n’écris pas spécifiquement pour les voix que j’aime, mais je sais que le résultat me plaira. Sauf dans le cas de Vashti Bunyan, une chanteuse de folk des 60’s dont on est tombé amoureux… On a spécifiquement écrit une chanson pour elle, tout simplement parce que sa voix nous faisait rêver… Ou Caroline Potter, une très vieilles amie ; j’entend littéralement sa voix quand je compose. J’ai vécu avec elle pendant deux ans, on a traversé beaucoup d’épreuves ensemble, et elle est devenue comme mon double féminin lorsqu’il s’agit de dire des mots. Elle sais de quoi je parle, elle sait qui je suis. Elle sait d’où viennent mes mots. Et elle les chante mieux que quiconque.
Justement, tu sembles beaucoup t’intéresser aux détails étranges et singuliers de destins communs dans tes paroles. Sur Writers without home, il y a Postal, qui évoque le destin étrange d’une postière, et qui fait beaucoup penser à I am the sub librarian, sur Low birth weight…
C’est juste que j’aime bien magnifier les petites choses de la vie… Je viens d’un milieu working-class modeste, et forcément, je m’intéresse beaucoup à la vie intérieure des gens qui viennent du même milieu que moi. Mon père travaille encore dans la même usine depuis 35 ans, et jamais je ne pourrai parler de la vie des gens de Kensington. Je suis très nostalgique, je parle beaucoup du passé, parce que grâce au recul, j’arrive à porter un regard très romantique sur des événements qui ne l’étaient pas du tout sur le moment. L’inspiration de Postal vient de là. Je relis mes expériences en les rendant romantiques et littéraires, parce que je ne peux pas m’en empêcher, et ça sublime les petites choses dont j’aime parler…
Propos recueillis par
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