Le Festival Nouvelles images du Japon, qui s’est déroulé du 15 au 22 décembre 1999 à Paris, a fait office d’événement dans le monde de l’animation japonaise. Certes, pareille manifestation avait été organisée en 1992 à l’UGC Ciné Cité, mais la programmation fut bien médiocre et n’avait d’autre objectif que de satisfaire des ados mal remis de la mort du dessin animé nippon sur le PAF.
Préfigurant la fracassante arrivée de Princesse Mononoké et de Totoro, -qui suivent les sorties nationales de Jin-Roh et Perfect Blue), le Festival Nouvelles images du Japon est bien la preuve d’un réel regain d’intérêt pour l’animation japonaise en France. Entre Dragon ball et les Pokemons, nous voici enfin arrivés face à l’âge adulte de l’animation nippone dont on nous a souvent parlé sans que nous n’en ayons jamais vu le bout. Car reconnaissons que, à part les mythiques Akira et Ghost in the shell (les deux références ultimes chez nous), nous n’avions pas eu l’occasion de côtoyer le côté adulte de l’anime (comme disent les amateurs) au cinéma.
Si la programmation ne comportait que peu de surprises pour les experts, elle constituait sans aucun doute une sélection intéressante pour les novices ou amateurs avertis. Une dizaine de longs métrages, une trentaine de courts, des épisodes de série, des OAV (Original Animated Video, format bâtard entre la série et le long métrage) et une pléiade de clips, bandes-annonce, essais, pubs. On retiendra surtout les quatre programmes consacrés à Osamu Tezuka, père de l’animation japonaise, dont quelques-uns des courts métrages les plus inventifs étaient présentés (spécialement Jump et Pellicule abandonnée). Une mini-rétrospective était consacrée à Isao Takahata, réalisateur du Tombeau des lucioles, également cofondateur de Ghibli avec Miyazaki. Quatre films étaient diffusés, dont le Tombeau des lucioles justement. Il ne fallait surtout pas manquer Mes voisins les Yamada, sa dernière production sortie en juin au Japon. Mes voisins les Yamada démontre une nouvelle fois la singularité d’Isao Takahata dans le cinéma d’animation. Loin d’adopter les traits manga communs à la quasi-totalité de la production, il met en scène des personnages caricaturaux qui sont les archétypes de la famille japonaise et tous ses travers. Véritables Bidochons japonais (bien que beaucoup moins sordides), les Yamada passent leurs journées à se décharger de leurs responsabilités sur les autres. Ainsi la moindre corvée prend des airs d’épopée. Ponctuant son film de haïkus de Basho, Takahata parle autant de la condition générale de la famille japonaise que de son existence au jour le jour. Il est rare de voir une comédie atteignant si bien ses objectifs. Regrettable en revanche que la morale du film soit si souvent clairement exprimée alors qu’elle est si évidente (il faut faire des concessions pour vivre en famille, etc.).
Parmi les avant-premières, étaient présentés Love and pop et Gamera 3. Le premier n’a a priori aucun rapport avec l’animation, si ce n’est que son réalisateur est Hideaki Anno, créateur de séries mythiques telles que Nadia ou le secret de l’eau bleue ou Neo Genesis Evangelion, la série qui a sans doute suscité autant de débats que 2001 chez les spectateurs. En outre, Hideaki Anno est également le cofondateur du studio Gainax reconnu pour l’intelligence générale de ses productions (Les Ailes d’Honeamise, Gunbuster, Otaku no video…).
Love and pop n’est pas un film d’animation, et en quelque sorte il s’intègre parfaitement dans la logique d’Anno qui consiste à faire l’exact contraire de ce que l’on attend de lui. Le film est entièrement créé en vidéo numérique – utilisation de la désormais célèbre mini-caméra de Sony. Le film narre l’histoire d’un groupe de lycéennes japonaises qui cèdent aux étranges avances d’hommes plus ou moins mûrs. Loin de reprendre la mise en scène sobre qui faisait la particularité d’Evangelion, Anno a du bien du mal ici à créer une image réelle. Ainsi, il se cherche un style sans jamais réellement y parvenir. Le film est complètement déconstruit et nombreux sont les plans qui ne veulent strictement rien dire. Anno utilise en vain les possibilités offertes par la petite taille de sa caméra en l’accrochant dans les endroits les plus inattendus (four à micro-ondes, train électrique, pédale de vélo…). Néanmoins, notons quelques bonnes idées comme cette adolescente qui sacrifie son innocence à la satisfaction de son désir aveugle de consommation, sa descente aux enfers étant rythmée par un countdown annonçant le nombre d’heures restant avant la fermeture des magasins, la somme à réunir et la somme amassée. Reste que Love and pop finit par devenir pratiquement aussi vain que ses héroïnes malgré quelques scènes mémorables. Hideaki Anno a également participé à Gamera 3, ultime séquelle de la série Gamera, grand concurrent de Godzilla au panthéon des monstres géants. Gamera est une tortue aux défenses de sanglier qui protège le Japon des Gyaos, sortes de ptérodactyles maléfiques. Véritable réaction au Godzilla américain, Gamera se veut le dernier représentant de la tradition japonaise du monstre géant. S’il y a dans Gamera 3 des effets numériques, ceux-ci sont employés plus à l’actualisation du genre qu’à sa transformation radicale. On retrouve ici Tokyo une fois de plus détruite.
Parmi les productions plus ancrées dans l’industrie, on pouvait voir deux des dernières séries à succès : Serial experiment Lain (SEL) et Cowboy bebop. Surprise de l’année dernière au Japon, SEL narre la quête d’identité d’une écolière japonaise entre le réel et le Wired, monde dans lequel on peut plus ou moins matérialiser son esprit. Cette courte série (13 épisodes) emprunte la voie ouverte par Evangelion, dans tout ce qu’elle a de métaphysique. SEL s’assemble comme un puzzle au fil des épisodes qui permettent de découvrir la véritable nature de Lain. On pense à Cronenberg ou au Todd Haynes de Safe en raison d’un traitement particulièrement clinique et oppressant. Cowboy bebop est une série beaucoup plus classique mais néanmoins très efficace. Mélange de Cobra et de Lupin III (Edgar le gentleman cambrioleur chez nous), Cowboy bebop narre les aventures de Spike et Jet Black chasseurs de primes qui naviguent dans l’espace à la recherche de nouveaux contrats. Baignant dans une ambiance résolument 70’s, Cowboy bebop fait preuve d’un grand dynamisme et prouve une fois de plus la supériorité japonaise dans l’animation de genre. Les héros sont plus classes que jamais, les scènes d’action à couper le souffle et les scénarios prenants, le tout dans le groove de la musique de Yoko Kano, une des plus grandes compositrices du monde de l’animation.
Enfin, le festival proposait également une présentation du système de cinéma numérique développé par NTT, la présence de la JAA (Japan Animation Association) et la projection des dernières productions en matière d’images numériques (en particulier le génial Noiseman sound insect). Evidemment, on ne peut que saluer l’initiative du Forum des images, partenaire d’une manifestation aussi complète que nécessaire après les nombreuses années de silence parisien à propos du dessin animé japonais. Expérience à réitérer au plus vite, assurément.