Something wicked this way comes marque le retour d’un des groupes phares du label anglais Ninja Tune : le duo The Herbaliser. Sur ce quatrième album, Jake Wherry et Ollie Teeba reconduisent une musique toujours à la lisière du hip-hop, du jazz, de la soul et des musiques de films. Explications avec les intéressés.
Chronic’art : Que doit-on entendre par ce titre, Something wicked this way comes ?
Jack : C’est un nom parfait pour un album de Herbaliser. Déjà, on doit ces mots à Shakespeare, ce qui est classe (sourire). Ensuite, « wicked » est un terme ambigu, il a plusieurs sens : il peut vouloir dire « parfait », mais aussi « mauvais », « méchant » ou encore « malicieux ».. C’est ce que nous avons voulu faire avec cet album : mettre en avant l’ambiguïté, entre le côté sombre ou plus léger et ironique d’Herbaliser.
Ollie : On a trouvé ce titre comme ça, par hasard, avant même de débuter l’album. L’ambiguïté représente bien The Herbaliser, groupe ambigu : fait-on du jazz, du hip-hop, du funk ? C’est difficiles à définir et on aime ça.
Vous recherchez cette ambiguïté ?
Ollie : Non, elle est en réalité dangereuse pour nous. Ne pas être facilement identifiable, c’est déconseillé si tu veux vendre des disques (rires). Les gens ne te reconnaissent pas par rapport aux genres qu’ils apprécient et donc par rapport aux disques qu’ils sont susceptibles d’acheter. Du coup, nous ne gagnons pas beaucoup d’argent, mais tout de même assez pour poursuivre. Et surtout, dieu merci, nous n’avons pas de patron : avoir un patron, c’est très mauvais pour la santé (rires). Bon, je suis certain que tu en as un et je suis désolé pour toi.
Ce disque semble animé par un fort souci de cohérence, c’était un objectif lors de la composition ?
Jake : On a toujours une vision très globale d’un album. On veut que les titres soient liés dans un univers homogène, un peu comme dans les musiques de films où la même mélodie réapparaît sans cesse sous des formes différentes. Quand nous avons fait notre premier album, Remedies, c’était l’inverse : on a compilé des morceaux réalisés les uns indépendamment des autres. Procéder ainsi ne nous convient pas. On préfère réfléchir à l’univers que nous voulons créer avant de composer. Nous n’allons pas en studio comme ça, histoire d’enregistrer les humeurs du moment.
L’utilisation d’instruments classiques a pris une part très importante sur ce nouvel album.
Ollie : Lors de nos dernières tournées, on a joué avec sept musiciens sur scène. Ca nous a beaucoup marqué et on a voulu recréer cet univers sur ce disque. Nous sommes désormais un vrai groupe, et non pas simplement deux gars qui font de la musique avec un sampler.
Jake : Pour ce nouvel album, nous serons dix sur scène, ça sonnera très funk, très organique, avec des sons électroniques un peu fous autour.
L’utilisation de ces instruments traditionnels, le violon et les cuivres notamment, accentue l’univers cinématographique de votre musique.
Jake : Nous travaillons ainsi, avec des références visuelles très fortes. On imagine des scènes, celles d’un film, et on essaye de les raconter en musique, ce qui explique en effet cette présence de violons. Mais on a eu beaucoup de mal à trouver un son correct, c’est Chris Bowden, notre ingénieur du son, qui nous a aidé. Il a permis d’éviter des arrangements niais ou ridicules.
Ollie : Il nous a aidé à dépasser les limites que l’on pouvait rencontrer avec le sampler. On adore le sampler, on adore utiliser ces vieux sons que l’on ne saurait recréer nous-mêmes, cette chaleur des disques des 60’s ou des 50’s… En fait, nous ne sommes pas tellement intéressés par les musiques électroniques actuelles, notre seul vrai lien avec ce mouvement est l’utilisation du sampler. Mais sur ce disque, on l’a moins utilisé, on en a un peu fait le tour.
Jake : On a préféré faire appel aux musiciens qui nous accompagnent sur scène. Moi je me suis même remis à jouer de la basse, j’en ai joué pendant dix ans quand j’étais gamin. Mais jusqu’à ce disque, on pensait sampler les basses, car on n’arrivait pas à obtenir un son satisfaisant avec les instruments traditionnels.
Comment se présente The Herbaliser en live ?
Jack : Il y a un batteur, un claviste, un saxo ténor et un flûtiste qui forment aussi le groupe Easy Access Orchestra. Puis un saxo alto, un Dj pour les scratches, deux Mcs. Enfin, Ollie aux machines et moi à la basse.
Ollie : On veut plus se concentrer sur cet aspect concert. Ras le bol des shows Dj dans des clubs pourris. On en a tellement fait, on préfère tourner moins souvent mais le faire dans de meilleures conditions. Même si aujourd’hui, puisqu’il est difficile de réunir tous nos musiciens, nous ne jouons qu’à deux. Avec quatre platines et tout de même Wildflower en accompagnement.
Vous considérez-vous toujours comme un groupe de hip-hop ?
Jake : Le hip-hop, c’est une culture générale, il y a le break dance, les grapheurs… ce n’est pas juste la musique, et personne ne peut dire ce qui relève du hip-hop. Je pense que notre manière de composer s’inscrit dans les habitudes du genre, avec le sampler, les platines et les vinyles. Bien sûr nous ne sommes pas des rappeurs, mais nous appartenons au village hip-hop.
Ollie : On baigne dans le hip-hop, mais toujours à la frontière du genre, et nos concerts le montrent. En fait, tout ça s’est un peu fait par accident. Lors de la réalisation de notre premier album, nous voulions vraiment faire du rap, mais nous ne connaissions à l’époque aucun Mc. C’est donc devenu instrumental, et petit à petit, de plus en plus cinématographique et orchestral.
Qui est le « Mr Holmes » de l’album ?
Jake : Sur Very mercenary, notre précédent album, nous avions fait un morceau assez long et sensuel (The Sensual wooman) qui a connu pas mal de succès. Nous voulions poursuivre ces aventures sensuelles, genre easy listening, musique de films porno des 70’s, et ça a donné Mr Holmes. Mr Holmes, c’est en fait John Holmes, un acteur porno américain assez connu pour la taille impressionnante de son sexe.
Ollie : Ouais, tu as du entendre parler de lui, je pense que le film Boogie nights est en fait basé sur son histoire. Bon, c’est ridicule mais tu dois absolument voir un de ses films. On adore tous ces pornos des 70’s, les musiques sont supers funky, on voulait absolument suivre cette voie.
Jake : C’est une nouvelle tradition chez Herbaliser, on la poursuivra avec nos prochains albums (rires).
Vous avez travaillé en tant que producteurs sur le dernier album de Princess Superstar (Princess Superstar is).
Elle nous avait envoyé une démo, et on a aimé. Elle est cool, quand elle sera super connue on lui demandera à son tour de nous rendre un service. Mais là on attend, on mise complètement sur sa future notoriété (rires). L’an dernier on a également remixé Push Button Objects. Et on travaille aujourd’hui avec une Mc de Los Angeles : T Love. Les américains nous aiment bien, on apporte ce son européen un peu vieux et exotique à ceux qui ne peuvent pas se payer des samples de Gainsbourg (rires).
La scène hip-hop anglaise semble se développer depuis quelques années…
Ollie : Oui, elle devient de plus en plus intéressantes, et indépendantes, avec des gens comme Mark B & Blade, London Posse… Pendant longtemps, trop de rappeurs anglais chantaient en imitant l’accent américain. C’était assez pathétique. Heureusement, la nouvelle génération s’est débarrassée de ses complexes avec les USA, on va pouvoir en finir avec Dr Dre (sourire).
Propos recueillis par
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