Dylan Horrocks est un auteur unique. Néo-zélandais vivant près d’Auckland, amateur depuis sa plus tendre enfance de bande dessinée du monde entier, il a frappé un grand coup cette année avec la publication d' »Hicksville » (L’Association), ovni venu de nulle part et qui dépeint une ville imaginaire où tous les habitants seraient amateurs de bandes dessinées. S’exprimant dans un anglais limpide et passionné, il répond à Chronic’art.
Dylan Horrocks : Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire de la bande dessinée. Le premier mot que j’ai prononcé a été « Donald Duck », je crois. Mon père était un passionné et j’ai grandi avec les vieux comics Marvel et les bandes dessinées de Robert Crumb. Quelques temps après, je me suis mis à Sergent Rock. Encore plus tard, j’ai découvert toutes ces choses fabuleuses des années 50 comme ce que faisait Harvey Kurtzman. Mais la bande dessinée européenne ne m’était pas inconnue puisque je lisais Tintin ou Pilote. Je me souviens que nous avions une édition française de On a marché sur la lune que mon père nous traduisait à ma soeur et à moi. Nous n’avons d’ailleurs jamais acheté l’album traduit. Tout cela participe d’une certaine nostalgie que j’ai cherché à retranscrire dans Hicksville.
Chronic’art : Ca ne devait pas être évident de se procurer de telles bandes dessinées en Nouvelle-Zélande.
Je faisais appel à un libraire spécialisé en Australie, à Melbourne, qui me faisait parvenir mes commandes. C’est d’ailleurs en Australie que j’ai envoyé mes premiers travaux à des fanzines. Puis je suis parti à la fin des années 80 en Grande-Bretagne. C’était à Fast Fiction and Escape. Les gens de Black Eye au Canada m’ont alors contacté et j’ai produit ainsi mes premiers comics, qu’on appelle des « Xerox Comics » parce qu’on les photocopiait nous-mêmes. Ce qui est important, c’est que j’ai découvert en Grande-Bretagne l’autre face des comics américains, comme Frank Miller. Quand Alan Moore a recrée Swamp thing, je le connaissais déjà par ses premiers travaux anglais. Et puis bien sûr la nouvelle vague des auteurs underground américains dans la lignée de Crumb et Gilbert Shelton, comme les frères Hernandez ou Dan Clowes. Et puis dans la perspective d’Hicksville, je me suis alors intéressé à l’histoire de la bande dessinée américaine et à ce qui était publié au début du siècle dans les journaux. Winsor Mc Kay et Georges Herriman par exemple. Tout ça m’a ouvert l’esprit. Et aujourd’hui, ce sont les mangas qui m’intéressent plus précisément comme Garo, une bande dessinée alternative japonaise.
On sent également l’influence de bande dessinée européenne dans Hicksville…
La bande dessinée européenne représentait pour moi une sorte d’utopie où elle serait prise au sérieux tout en étant elle-même sérieuse. Lorsque j’étais à l’école, c’était la ligne claire, celle de Jacobs, et même la nouvelle ligne claire avec des gens comme Serge Clerc ou Yves Chaland qui m’impressionnaient vraiment. Chantal Montellier était aussi un auteur particulièrement importante pour moi.
C’est une source étonnante puisque Chantal Montellier est un auteur très confidentielle en France !
En fait je l’ai découverte dans un gros livre édité chez Futuropolis. L’action se déroulait dans un hôpital psychiatrique. C’était très impressionnant et ça m’a beaucoup marqué. Elle avait été publiée en anglais dans Heavy Metal. Jusqu’aux milieux des années 80, son travail m’a beaucoup influencé. Edmond Baudouin fut également un gros choc pour moi. Lorsque je suis venu à Angoulême aux débuts des années 90, c’était comme un pèlerinage. Je suis tombé sur le stand de L’Association et j’ai découvert Baudouin. Ce n’est que 10 ans plus tard que je réalise son impact sur moi. Son approche du noir et blanc est décisive tout comme celle de Blutch ou de François Ayroles.
Hicksville est une oeuvre très ambitieuse, où le mode de narration peut déconcerter le lecteur.
Hicksville m’a pris 8 ans. Je faisais un comic en parallèle qui s’intitulait Pickle, composé d’histoires plus ou moins courtes. J’ai commencé Hicksville sans avoir dans la tête un plan d’ensemble. Et progressivement, l’histoire a commencé à prendre une forme plus précise et mes différents travaux se sont superposés comme des « super histoires ». Une fois terminé, je l’ai réorganisée, j’ai changé le début de l’histoire et c’est ce qui peut donner le caractère fragmentaire de mon récit.
C’est aussi une oeuvre très auto-référentielle, qui renvoie à la création en bande dessinée et au rapport entre le lecteur et l’oeuvre.
Il ne faudrait pas l’exagérer. Bien sûr, tout cela est vrai mais c’est aussi un livre sur la Nouvelle-Zélande. Je voulais restituer le sentiment de se retrouver toujours en marge. La Nouvelle-Zélande est en marge du monde, il suffit de regarder un planisphère pour s’en rendre compte. Et la bande dessinée en Nouvelle-Zélande est également en marge de la culture officielle. Il faut se reconstituer comme le centre d’un univers. Hicksville, c’est pour moi le compte-rendu d’une exploration, lorsque vous devez chercher un centre alors que vous n’avez aucune références autour de vous. Ca explique tout ce jeu dans l’album avec la terre qui bouge et le jeu avec les cartes. Mais je ne pourrais jamais vivre ailleurs. Je suis très heureux de me rendre dans des conventions aux Etats-Unis ou ici à Angoulême, mais très vite, il me faut retrouver ce bout du monde.
Propos recueillis par et