Auteur discret mais reconnu, scénographe recherché, Marc-Antoine Mathieu livre avec Le Dessin une oeuvre à la fois complexe et ludique qui confirme les voies expérimentales empruntées depuis plus de 10 ans. Rencontre avec l’intéressé entre les Festivals de Blois et d’Angoulême.
Les débuts
« Ma formation s’est faite en deux voire trois temps. Je suis d’abord un autodidacte qui s’est ensuite lancé dans les Beaux-Arts avant d’atterrir dans la scénographie. J’ai débuté par des publications dans des fanzines, notamment Morsure, un fanzine de Lille assez déjanté avant de publier mon X chez Futuropolis (collection qui publiait des jeunes auteurs et qui a notamment révélé J-C Menu, ndlr).
Le choix du noir et blanc
« Le choix s’est fait naturellement, parce que je dépeints des systèmes plutôt que des personnages. Je prends de la distance avec la couleur, qui est pour moi trop affective. A mon sens, le noir et blanc est le seul moyen d’expression qui autorise une liberté au regard, alors que la couleur le bloque. Et puis le noir et le blanc sont des champs qui ouvrent à l’imaginaire. Ils relèvent de la suggestion plus que de la démonstration. Comme dit Tarkovski, il faut laisser au regardeur le soin d’inventer à chaque fois un monde différent. De ce point de vue là, des oeuvres comme La Nuit du chasseur ou Dead man sont des références. Et en bande dessinée, des gens comme Munoz, Rabaté ou Francis Masse me semblent incontournables. Mais je ne rejette pas forcément la couleur. Des gens comme Mattotti l’utilisent de manière très suggestive car ils ont intégré la problématique liée à son utilisation. Mais bon, je ne sais plus quel surréaliste disait : « On n’entre pas dans la couleur comme dans un moulin ».
Bande dessinée et scénographie
« Je suis gémeau, donc plutôt papillon. La bande dessinée est assez restrictive. Lucie Lom, mon atelier de scénographie, m’aide à sortir d’un format parfois réducteur mais on retrouve dans nos mises en scène l’esprit de mes travaux. Mon obsession est toujours la même : créer des champs, éclater l’espace, et ce avec l’aide principalement du noir et blanc. Je ne suis pas un gros producteur de bandes dessinées. Je travaille à mon rythme et je n’ai pas envie de gaver mon lecteur d’albums.
Nouvelles technologies
« Je suis un conceptuel plus qu’un sensitif et de par mon boulot je suis un gros utilisateur de l’ordinateur. Je connais la bête. Après la série des Julius, j’avais envie de me pencher sur un autre système, celui de la communication. C’est une phrase de Paul Virilio qui m’a inspiré Mémoire morte, « la radioactivité est à la matière ce que l’interactivité est à la société ». Les nouvelles technologies peuvent souder les individus dans un champ fusionnel mais elles peuvent également faire exploser ce champ. J’essaye d’être lucide par rapport à ce qui n’est pour l’instant qu’un outil. Aujourd’hui, personne ne peut savoir comment les choses peuvent évoluer. Mémoire morte est le condensé des questions que je me pose comme n’importe qui.
Le Dessin
« L’histoire était un peu en germe dans le collectif Le Retour de Dieu, publié chez Autrement. J’ai recherché la sobriété. Je suis envieux de David B. parce qu’il n’y a pas un objet de trop chez lui. Il arrive à une véritable écriture. Pour le coup, Le Dessin est une oeuvre plus affective avec un univers plus tangible, plus palpable, où j’ai vraiment insisté sur le graphisme. Ce qui m’a intéressé, c’était le champ discursif du dessin, ce sentiment que le dessin vit et parle. Ce n’est pas vraiment une réflexion sur l’art, même si j’ai glissé quelques astuces. L’irruption de la couleur rejoint l’idée d’une quête, d’une énigme. Pérec m’a beaucoup influencé en ce sens, notamment dans Un Cabinet d’amateur. Et puis c’est aussi une oeuvre du silence. Pour moi, la véritable liberté dans mon travail, c’est d’ailleurs ces plages de silence et d’inconnus visuels. C’est cette liberté qui continue de me surprendre ».
Propos recueillis par
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