De Greenaway à Schlöndorff en passant par Winterbottom et Scorcese : la musique de film est l’un des territoires les plus accessibles aux minimalistes, à commencer par Michael Nyman et Philip Glass, dont on publie les anthologies cinématographiques respectives.
On en a souvent lu ou entendu dire qu’il était commercial, pesant, parfois même assommant ; que l’écoute de ses Quatuors à cordes était l’une des expériences les plus douloureuses qui se puisse concevoir ; que le remarquable succès de sa Leçon de piano, composée pour le film de Jane Campion en 1992, marquait son retrait définitif hors des sphères prestigieuses de la musique contemporaine et son irrémédiable chute vers les affres grotesques d’une pseudo-érudition clinquante et de la course aux cachets. Bref, le nom de Michael Nyman n’a plus vraiment -si tant est qu’il l’ait eu un jour- la cote auprès des intégristes, lesquels, malgré tout, ne sont pas encore parvenus à décrédibiliser tout à fait le compositeur britannique, en particulier auprès d’un grand public gourmand de ses nombreuses partitions pour le cinéma. On en oublierait de fait presque son rôle majeur dans l’histoire de ce courant minimaliste dont, reconnaissons le lui tout de même, il a signé en personne l’acte de baptême.
Jeune étudiant au Royal College of Music puis au King’s College, Nyman reste réticent à céder complètement à l’orthodoxie de son temps, celle qu’incarnent alors les tout-puissants barons d’un sérialisme hégémonique -Karlheinz Stockhausen et, surtout, le parisien Pierre Boulez. Ses échecs aux concours le conduisent à se diriger vers une carrière de critique musical, tâche qu’il remplit avec passion et discernement aux tribunes que lui offrent successivement The Listener, The Spectator et The New statesman ; le jeune homme ne s’y interdit rien, pas même l’écoute attentive et le commentaire des dernières bandes enregistrées à Abbey Road ou des albums des Fugs. Sa position privilégiée au sein du monde musical lui offre la possibilité de cultiver de nombreux contacts et liens d’amitié, tout particulièrement avec Steve Reich, Morton Feldman, Harrison Birtwhistle ou Karlheinz Stockhausen (du moins jusqu’à ce que ce dernier ne rompe brutalement ses rapports avec lui après un article consacré à son Stimmung) ; c’est en 1968 que Nyman inaugure la naissance médiatique officielle du courant « minimaliste » en employant pour la première fois cette notion empruntée au vocabulaire artistique à propos d’un concert de Cornelius Cardew (au « Scratch Orchestra » duquel il participe par ailleurs). L’idée n’est pour l’heure que subjective et purement journalistique mais connaîtra rapidement une certaine fortune : le courant minimaliste, en se voyant octroyer un nom, acquiert bientôt une identité, autour de laquelle graviteront Steve Reich, le précurseur LaMonte Young, Philip Glass, John Adams et, finalement, Nyman lui-même.
Le britannique revient en effet à la composition à partir de 1976, à l’initiative de Harrison Birtwistle, qui lui propose un arrangement du Il Campiello de Goldoni. Le résultat, surprenant (un ensemble hétéroclite d’instruments anciens et modernes, prié de jouer au plus fort volume possible, sur une partition mêlant musique ancienne et tentations modernes, première mouture du Michael Nyman Band), inaugure une carrière qui trouvera rapidement dans le cinéma l’un de ses champs d’action les plus fertiles. Le réalisateur Peter Greenaway fait appel à lui dès l’année suivante pour ses oeuvres A Walk through H et 1-100, établissant un mode de travail où sont en quelque sorte sinon renversés, en tous cas atténués les rapports classiques de l’image au son : le découpage visuel perd chez lui son privilège et subit un formatage tenant compte des partitions offertes par Nyman. Leur collaboration se poursuit par la suite avec les fameux The Draughtsman’s contract (pour lequel le londonien s’inspire de Purcell) en 1982, The Cook, The Thief, His wife and her lover (1989), Prospero’s book (1991, avec Marie Angel, Deborah Conway et Ute Lemper, qui enregistre également avec lui des textes de Paul Celan) et, bien sûr, le célébrissime Drowning by Numbers (1986), inoubliable déstructuration mozartienne au rythme obsédant et à la droiture pareille aux jardins tracés au cordeau filmés par le réalisateur.
Le plus grand succès de Nyman reste toutefois la bande originale de la Leçon de piano (1992) de Jane Campion, carton mondial couronné d’un Oscar qui lui apporte une notoriété non négligeable. On en retrouve bien sûr une version dans cette anthologie rassemblant en deux albums trente-neuf thèmes composés pour le cinéma entre 1980 et 2001, des plus (« An Eye for an Optical Theory ») aux moins (A la folie, pour un film réalisé par Diane Kurys en 1994) connus, où l’on regrettera nénamoins de ne pas retrouver certaines pièces majeures mais peu fameuses, à l’exemple du thème principal de Monsieur Hire, composé pour le film de Patrice Leconte en 1989.
Si ses travaux pour le cinéma tiennent dans son oeuvre une part moins importante que son confrère londonien, Philip Glass dispose lui aussi d’une filmographie à rallonges dont les meilleurs moments fournissent aujourd’hui la matière d’un imposant coffret intitulé, comme il se doit, Philip On Film. Compilation plus qu’intégrale, il réunit deux bandes originales écrites pour les longs-métrages new age muets de Godfrey Reggio, quelques morceaux inédits commandés notamment par Atom Egoyan ou les sus-cité Peter Greenaway et Godfrey Reggio, ainsi que les musiques inspirées par le Dracula de Tod Browning et La Belle et la bête de Jean Cocteau. Autant de pièces magistrales quoique inégales, les oeuvres de la décennie quatre-vingts restant probablement parmi les plus marquantes du compositeur, tout au moins au regard des langueurs moins convaincantes du célébrissime Kundun de Martin Scorcese, auquel il s’attaquera quelques années plus tard.
Michael Nyman : The Very best of Michael Nyman, film music 1980 – 2001 (Virgin)
Philip Glass : Philip on film (Nonesuch / Warner)