Nouveau venu sur la scène musicale française, le duo Mars propose une musique hors du temps, qui renoue avec les fonctions premières de l’expression musicale, à savoir une véritable communion des sens, que l’on retrouve sur ce premier album organique et chaleureux, totalement atypique sur la scène hexagonale. Rencontre avec Laurent et Rami dans une voiture de l’Orient Express aménagée en restaurant.
Chronic’art : Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Laurent : Nous nous sommes rencontrés en mars 1998. C’est un ami commun qui nous a mis en contact. Nous travaillions alors chacun de notre côté sur les effets de l’écoute musicale sur les gens, tout ce que ça peut générer comme climat et comme affect. On travaillait tous deux de manière similaire, sans le savoir, en combinant des instruments ethniques et du matériel électronique.
Rami : Le point commun était donc du matériel sonore, pas de la musique. On prenait des sons qu’on rassemblait et on essayait de créer, comme une sorte de papier peint sonore. On demandait à nos amis ce à quoi ça leur faisait penser. Le départ de notre travail a ainsi été la mise en scène sonore et non pas un genre musical défini. On créait une ambiance pour nos amis, qui eux, nous disaient ce qu’ils pensaient. On se fichait de la notion de référence, savoir si ça ressemblait à tel ou tel truc. Il fallait se battre contre la référence. Une des bases de notre travail, c’est l’improvisation. Nous travaillons sur le présent. Il s’agit juste d’une pièce avec un micro dans mon appartement. L’idée était de saisir un présent. On enregistrait notre musique, mais il ne fallait pas être dans un studio pour ça.
Vous travaillez donc en enregistrant en prise directe ?
Rami : Complètement. C’est comme ça que peut naître l’improvisation. L’instrument revient ainsi à sa fonction originelle d’instrument. Pour résumer, on cherchait en gros à avoir un produit frais. Arriver le soir à 20 heures, passer 2-3 heures à discuter. A partir de là, on pose un micro chacun dans la salle où l’on retrouve tous nos instruments, des percussions et des instruments à corde en ce qui me concerne et des instruments à vent pour Laurent. Ensuite, on joue une dizaine de minutes, qu’on enregistre. C’est ça la source de nos morceaux. On passe ensuite ce que l’on a enregistré dans l’ordinateur.
Laurent : Après la partie improvisation, on passe à la partie organisation. On extrait ce que l’on a fait ensemble. On l’organise et, à partir de là, on arrive à un nouveau niveau de fonctionnement. C’est-à-dire que l’on rentre dans une autre dynamique relationnelle, que l’on peut contrôler et verbaliser. L’objectif est donc ensuite de finir le morceau dans la soirée. Il faut retrouver notre unité de temps. A la fin de la soirée, généralement, le morceau est fini. On ne le réécoute plus durant un mois ou deux. On remixe et on affine par la suite cette base instrumentale. L’essentiel du matériel brut est donc trouvé et organisé le soir même. Sinon, on passe à autre chose. Quand au bout de dix minutes, on sent que rien ne vient, on laisse tomber.
Rami : Il y a effectivement cette idée de continuité. Parfois sur les dix minutes, il n’y a que trois secondes d’exploitables. Auquel cas, on les répète et ça donne la base du morceau. A partir de là, nous improvisons à nouveau avec les instruments que l’on a autour de nous.
Ca renvoie donc à une musique qui évolue en permanence ?
Laurent : L’idée, c’est que nous ne sommes pas en studio. Nous sommes là pour faire ressortir quelque chose, que l’on ne maîtrise pas et que l’on essaye de capter par des moyens techniques.
Rami : Thomas, l’ami qui nous a réuni, a été le premier à chanter sur notre musique. La musique est autre chose que le simple fait de jouer. Il faut en discuter. Elle a un intérêt social, relationnel et communicationnel.
Vous renouez ainsi avec le caractère premier d’échange de la musique ?
Rami : La musique actuelle n’est malheureusement juste qu’une question d’ego…
Laurent : Dans ce que l’on fait, on retranche le narcissisme pour arriver à l’idée de ce que peut amener la communion musicale. C’est le thème de l’improvisation qui prime.
Rami : Lorsqu’on écoute de la musique tribale africaine, on ne dit pas, « waouh !, le percussionniste fait des roulements incroyables ! » Cet égoïsme n’existe pas chez Mars.
Cette idée de partage, avec pléthore d’instruments, se retrouve sur cet album très chaleureux et organique…
Laurent : Ce que tu dis nous touche beaucoup car l’instrument est l’élément qui va nous apprendre quelque chose en dernier ressort. Le son que l’on va émettre va être une surprise pour l’oreille. Ca va générer un comportement musical que l’on n’a jamais connu. C’est cette boucle qui est novatrice. Elle va nous faire inventer la manière de jouer. Ca peut se passer de la même manière avec les effets car ce n’est pas l’électronique qui compte mais la nouveauté qu’elle suggère à notre oreille, qui va nous rendre créatif d’une certaine manière. C’est ça qui nous ouvre des portes. C’est pour ça qu’on est collectionneur. Chaque instrument est une composition à part entière. Il comporte en lui-même une dizaine de compositions naturelles pour un novice.
Comment choisissez-vous vos instruments ?
Rami : Ca se fait naturellement, en fonction de la discussion. Si elle était animée, on va prendre une flûte qui permettra d’être rapide. Si on veut un truc doux, on va prendre une percussion grave ou un saxophone. Le choix se fait en fonction de nos humeurs. Nous prenons souvent des instruments qui reflètent nos états d’âme de la journée. Mais ça n’a généralement aucun intérêt. Il faut que l’on se recale. On doit pouvoir nous retrouver. C’est l’origine de nos morceaux. Notre technique est d’abord à base de percussion/flûte. Je m’occupe de la basse, que ce soit avec un oud ou un balafon. Ce sont des percussions mélodiques. Très souvent, je mets une base percussion/flûte ou percussion/sanza.
Laurent : Mon instrument de prédilection reste la flûte, le low whistle en particulier. C’est l’instrument qui permet le lier le saxophone à la flûte. Parfois, les sonorités vont donc être très basiques.
Rami : Moi, mon instrument de prédilection, c’est le djembé. Je n’ai rien fait sans djembé. Il possède des méga-graves et des méga-aigües, grâce à sa combinaison d’argile et de peau. Le djembé possède un son super chaud, d’autant plus quand la peau est légèrement détendue.
Laurent : Le djembé possède une peau et une finesse parfois incomparable. La tessiture est très intime. Je le prends entre les jambes. Et les vibrations sont très bonnes. Les bongos sont loin de toi, pareil pour les congas, le vase à percussion aussi, mais le djembé est en étroite relation avec ton corps.
Laurent : L’idéal, c’est d’arriver à faire avec la flûte en acoustique pure des effets à la fois présents sur la flûte et sur la percussion. Dans des situations extrêmes, on se demande comment on pourrait utiliser la musique.
Quelle orientation allez-vous donner vos nouveaux morceaux ?
Rami : Le thème de l’acoustique pure nous a permis de nous éduquer. Je préfère prendre un djembé et une flûte et les faire répéter trois fois sur l’ordinateur plutôt que de prendre une flûte et d’appuyer sur la touche delay. La chaleur de notre musique est subliminale. Si nous nous étions laissées aller aux effets, la chaleur aurait manqué. Le fait de jouer en acoustique demande plus d’exigences. On se cache moins derrière un écran d’effet. Ils amènent le flou et ajoutent une certaine puissance à une réalité qui n’est pas la leur. L’acoustique représente cette réalité et ces valeurs essentielles.
Concernant les voix que l’on entend sur cet album, ce sont des amis à vous qui chantent ?
Rami : Tout à fait, ce ne sont pas des pros. C’est génial de demander à des gens d’improviser, de chanter ou d’écrire des paroles. On y retrouve une fraîcheur évidente, comme lorsque l’on vient d’acheter un nouvel instrument, on compose naturellement.
Laurent : C’est le principe de l’éternel premier album. Steve Lewis qui chante sur l’album est le seul musicien professionnel qui ait participé, comme les autres, à cet album. Deux filles et un garçon chantent ici.
Quels sont vos projets futurs ?
Laurent : Concernant les projets futurs, on procédera un peu de la même manière.
Rami : On réécoute ce que l’on a fait depuis trois ans. Nous allons peut-être ressortir des mini-discs d’il y a deux ans, enregistrés avec des casseroles et des flûtes.
Laurent : On a compris qu’à chaque fois que nous essayions d’avancer sans revenir vers le passé, nous arrivions à un niveau de pauvreté musicale qui nous faisait douter. Ainsi, la seule façon de nous ré-enrichir est de revenir vers le passé pour aller dans l’avenir, tout en enregistrant notre présent.
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