Certains affirment ne pas croire au hasard. Dans toute démarche artistique cohérente, la continuité d’un geste, d’une personnalité, supplante l’approximation. Georges Pascal Ricordeau l’a bien compris. Portrait d’un artiste accompli.
A 20 ans, Georges Pascal Ricordeau qui dessine au stylo-bille tout ce qui l’émeut et qui porte un sens, commence par faire les Beaux-Arts à Beaune, puis Dijon. Il n’y trouve pas son compte, s’interrogeant sans cesse sur le statut de l’artiste et sa capacité à exister dans une société formaliste, parfois sclérosée. Les traits se précisent, s’affinent, excellent sur le papier, mais le support répond à un schéma trop formel. Se définissant lui-même comme peintre avant tout, il cherche à se dépasser, à franchir ses propres limites. Dès 1995, il s’intéresse à l’impact de l’image et aux liens qui nous unissent, choisit d’abord pour cible la pornographie commerciale, le sexe perçu comme affiche de supermarché. Il réalise alors 90 pièces numérotées, sorte de petits tableaux de la taille d’une main, baptisés In around, et composés d’un châssis, d’une image pornographique travaillée sur Photoshop, suggérée sous un tissu de couleur grise. L’ensemble devient une oeuvre établissant la genèse des comportements. Présentée à la FIAC la même année et à la galerie parisienne Patricia Dorfmann, le « tableau » connaît un franc succès. Une pièce achetée formant un vide symbolise paradoxalement l’existence de l’acheteur. C’est ce qu’il appelle « le jour de la mise en dissolution ». L’artiste muni d’un dossier se chargeait dans les premiers temps de référencer les échanges passant donc par son intermédiaire. Mais il ne conçoit pas son oeuvre pour l’exposer : « C’est dans l’échange que l’œuvre devient vivante, par-delà les institutions. » Le processus de réseau s’est activé, le fil d’Ariane allait naître avec pour suite de sa démarche artistique, la conception des tresses.
Au même moment, vers 1996, il a l’idée d’inventer une sculpture qu’il voudrait légère et monumentale, une œuvre qui marque une nouvelle fois l’idée de créer des ponts entre les gens et de laisser libre cours à l’imagination, avec pour quête une totale liberté d’action. La notion d’identité rejaillit à l’aide d’un matériau contemporain et accessible. Georges Pascal se met à tresser des sacs poubelle blancs, s’en servant « comme de la terre pour un modelage ». Cette activité l’occupe, l’habite nuit et jour, prend finalement sa raison d’être : rendre compte du lien par la revendication des tresses en tant que sculptures. Celles-ci engendreront le fil d’Ariane, symbolisant les règles d’un jeu social.
Il déniche un buste de patron et entame son travail : une robe de mariée faite de milliers de tresses et jointures « papillon ». Le résultat est époustouflant et sa rencontre avec Christian Lacroix sera déterminante. Le couturier lui propose d’inaugurer l’an 2000, par un défilé aux Beaux-arts de Paris, présentant douze de ses oeuvres portées. Ces « robes » ont un côté très virginal, très sensuel, donneront lieu par la suite à d’autres sculptures en couleur. Les noeuds emmêlés les uns dans les autres font appel au recyclage, mais aussi à la notion de nomadisme.
L’événement fait fureur et la presse s’en empare. Claudia Schiffer pose habillée de tresses dans Libération.
Quelques semaines plus tard, à la demande du Salon de la Maroquinerie, à la porte de Versailles, Ricordeau expose ses Bottes de sept lieux. Deux graphistes indépendants, Pascal Oriol et Bruno Moretti (BMPO), lui font honneur en créant un abécédaire comprenant les photos numériques de ses oeuvres. A lui seul, ce travail d’équipe est un petit bijou. Sur chaque plan, la page de gauche illustre leur vision de l’artiste, celle de droite présente le tableau tressé ou l’installation sculpture : on remarque par exemple l’image retouchée d’une série de cartes postales que l’artiste reçoit depuis ses débuts en 1995. Provenant du monde entier, Corée, Brésil, Etats-Unis… elle établit le parcours d’un de ses collectionneurs qui, à sa manière, l’informe de ses voyages. Grâce au concept « In Around », le réseau s’est développé et cette démarche anonyme en témoigne. Seul indice pour Ricordeau : au dos de chaque carte postale, l’homme a marqué au tampon, un tableau de pièces numérotées dont il manque précisément une pièce, celle achetée par le collectionneur. L’artiste affirme que cette idée de réseau finit par le dépasser et l’enchante, autre phénomène du nomadisme que les graphistes voulaient mettre en lumière. Finalement, chaque lettre de l’alphabet nous ramène à une anecdote, un moment clé.
Ces derniers mois, les sacs plastique Tati s’offraient une nouvelle jeunesse. 700 000 exemplaires arborant une table d’arithmétique constituant le clin d’œil de l’artiste au marché de l’art. Ces nœuds roses le conduiront à reproduire le sac Hermès Grace Kelly, entièrement tressé, qu’il décline en rouge, inaugurant la dernière exposition de Valérie Cueto. Georges Pascal Ricordeau, néophyte, ascète à ses heures, n’en finit pas de nous surprendre. On entend dire qu’une Vanité, superbe crâne blanc tressé, serait exposée en avril chez la même galeriste parisienne. « L’art pour moi, tout en se devant d’être cohérent, c’est garder une très grande liberté. » A 40 ans, Georges Pascal Ricordeau reste un artiste passionné pour qui tout est à réinventer. Qu’elle soit contestée ou admirée, son œuvre est intemporelle, parce qu’avant tout humaine.
Les travaux de Pascal Ricordeau seront exposés à la galerie Patricia Dorfmann, rue de la Verrerie, Paris 4e, à partir du 13 mai.
En mars, la revue View on Colours présente 4 pages sur Pascal Ricordeau avec des textes d’Elizabeth Thomas.
Parution en avril du Livre blanc de Stéphanie Busutil aux éditions Pierre Assouline, présentant une double page des oeuvres de l’artiste.