Forteresse aux recoins inquiétants mais protecteurs, Les Frigos se posent comme un lieu digne d’être classé patrimoine culturel vivant du 13e arrondissement de Paris. Sur ces cinq étages colossaux loge une floraison des peintres, photographes, sculpteurs, décorateurs et musiciens.
Le bâtiment se compose de deux ailes. La première, de taille humaine, s’apparente à un manoir dont la toiture ciselée rappelle les maisons étranges de nos chers contes de fées ; quelques artistes y logent mais ils ne composent pas la plus grande partie des occupants. C’est dans la seconde aile que nous entrons à proprement parler dans le frigo, ce bâtiment à taille pantagruélique. Les murs extérieurs de l’enceinte sont décorés. On peut y lire des mots volés, y observer des dessins et des graffitis qui contrastent, dans leur tracé, avec la rigidité de la bâtisse. A l’intérieur, des systèmes de tuyauteries impressionnants, rappelant la vocation initiale de ce lieu, sont peints en multiples couleurs et variations. Au bout d’un long couloir chargé de témoignages et d’expériences graphiques, nous pénétrons dans une tourelle par laquelle nous accédons aux différents étages (il y en a 5) sur lesquels s’aligne une série d’ateliers. Des portes lourdes aux verrouillages efficaces s’étalent le long des murs qui atteignent parfois trois mètres d’épaisseur. Ces entrées témoignent également de cet ancien frigo dans lequel étaient conservées des denrées alimentaires… remplacées aujourd’hui par des nourritures spirituelles et plastiques…
Au rez-de-chaussée, une entrée d’immeuble aux graffitis démesurés et libérés, des boîtes aux lettres décorées, un distributeur de boissons orné de bombes aérosol colorées ainsi qu’une ancienne locomotive, encastrée entre les murs de la bâtisse, veille sur les créateurs. On peut l’apercevoir au travers de petites lucarnes aux aspects de hublots et imaginer le ronflement du moteur qui semble se réveiller à tout instant… Source inspiratrice ou simple caprice ? Rien de tout cela. Cette locomotive n’a pas bougé depuis l’époque où ce lieu servait à conserver les denrées périssables transportées jusque-là par chemin de fer…
C’est en 1921 que la Compagnie des Chemins de fer d’Orléans entreprend la construction des Entrepôts frigorifiques de Paris-Ivry. Les trains s’engouffraient à l’intérieur du bâtiment pour stocker les marchandises dans ce réfrigérateur géant. Avec la disparition des halles de Paris et la construction de Rungis, la gare frigorifique cesse son activité en 1971. Une première vague d’artistes s’installe alors dans ce lieu déserté ; on peut déjà y rencontrer, par exemple, le groupe de jazz Urban Sax. Dès 1985, une seconde vague apparaît. La SNCF -propriétaire depuis 1945- s’en remet à une agence immobilière qui lui propose de gérer ce patrimoine. Une première génération de peintures murales sont anéanties en l’espace d’un instant : des œuvres de Ben et d’autres artistes sont subtilisées par une couche de peinture fraîche et rafraîchissante ! La digne et respectable institution loue ce bâtiment à une centaine d’artistes qui aménagent les chambres froides en ateliers et parsèment les murs de fenêtres. Longues et laborieuses entreprises : il faut installer l’électricité, l’eau, le chauffage et les équipements sanitaires. Tout ceci représente un travail titanesque, mais si l’on considère qu’un mètre carré de plancher peut supporter une charge de 7 tonnes, qui souhaiterait s’aventurer à la destruction de la bâtisse ?
Nombreuses polémiques et rebondissements ont quelque peu « glacé » les habitants des Frigos depuis quelques années. En 1999, le Réseau ferré de France (RFF) fait part, en effet, de son intention de vendre le bâtiment. Dès le lancement des travaux d’aménagement du quartier Paris Rive Gauche, la décision avait été prise de conserver Les Frigos. Pourtant, pendant trois années, de 1988 à 1991, on envisage de déplacer les artistes à 50 mètres de là, dans les Grands Moulins de Paris, autre bâtisse historique et colossale. En 1992, on apprend que la conservation du bâtiment est possible. Depuis, de nombreux pourparlers entre la ville et les locataires ont eu lieu : sous quelle forme peut-on conserver les ateliers ? Certains occupants désirent devenir propriétaires, d’autres souhaitent garder le statut de locataires… Il semblerait -et ceci est rassurant- que l’avenir des Frigos n’est plus remis en question. La capitale a décidé de conserver ce « nid » pour qu’il soit un lieu de production à vocation culturelle… mais il y a toujours un quidam inquiet pour vous dire devant l’entrée de cette forteresse : « Pour signer la pétition contre la démolition des Frigos, c’est derrière la barrière, en face ! » Vieille rengaine aux allures de ritournelle… sauvons Les Frigos !
Ceux-là rassemblent une large production d’œuvres d’artistes et d’artisans qui proposent régulièrement l’ouverture de leurs ateliers. On y croise par exemple celui de Jean-Paul Réti, ancien élève de César, on peut également faire un tour aux Ateliers Stéphane Gérard, dont le local est situé dans la première aile du bâtiment. Stéphane Gérard, designer-fabricant, est obsédé par la forme, le volume et les nouveaux matériaux. Il compose notamment des objets et des sculptures à partir de résine. L’une de ses œuvres est ce petit bonhomme costaud aux allures de « gros bras » soulevant sur son épaule Les Frigos. Cette figurine mesurant moins de 20 centimètres est en quelque sorte un symbole, une représentation d’un Atlas moderne qui porte sur son épaule un des joyaux culturels du XIIIe arrondissement, un protecteur d’un château urbain longtemps prisé par les bulldozers…
Un site retraçant l’historique de ce lieu sera mis en ligne prochainement (prévu courant février 2001). On pourra entrer dans les ateliers des différents artistes, voir certaines de leurs œuvres et les commander par le biais d’internet. L’actualité des Frigos sera également mise en ligne (portes ouvertes, expositions, etc.). Mais pour les impatients, il existe déjà quelques sites plus spécifiques créés à l’initiative de certains artistes, notamment holott.org réalisé par Antonin Borgeaud.
Les Frigos s’affirment comme l’un des pôles actifs et culturels de la partie sud du XIIIe arrondissement, actuellement en totale reconstruction. Espérons que ce lieu, encore marqué par son originalité et sa singularité, ne devienne pas une institution trop « maîtrisée » ni un lieu trop « ménagé » par la politique de notre chère ville. La rénovation actuelle du quartier pourrait endommager le caractère brut et entier de ce bâtiment singulier.
Le 91 quai de la Gare – Les Frigos de Paris
91, quai Panhard et Levassor
Paris 13e