The Young Gods sortent Second nature, un album limpide qui dessine de nouvelles perspectives sidérales. Invitation à fouler des territoires inédits. Destination lumière avec Franz Treichler et son band.
Chronic’art : Après les étendues célestes de Only heaven, quelle est la dominante de Second nature ?
Franz Treichler : D’une manière générale, Second nature a des sonorités de base plus électroniques que ce que nous avons fait par le passé. Certains morceaux sont du pur Gods, comme Lucidogen, Supersonic, The Sound in your eyes, alors que d’autres s’aventurent dans des atmosphères plus abstraites (Stick around ou Attends…).
Comment composez-vous ?
Le travail commence d’une manière individuelle : nous faisons des esquisses de morceaux chacun dans notre coin ainsi qu’une recherche sonore. Ensuite nous nous voyons quelques jours pour mettre ces esquisses en commun et jammer sur des loops ou autres sons. Bernard essaie des rythmiques diverses, Alain joue des sons qu’il a développés et je cherche des idées vocales derrière le micro.
Comment avez-vous abordé votre recherche de sons pour cet album ?
Alain Monod (claviers, samples) : Dans un premier temps en enregistrant des sons concrets, quotidiens, qui me paraissaient intéressants (une cocotte minute, des pas dans la glace…).
Franz de son côté s’intéresse aux sons de synthèse. Nous avons tous deux des programmes de synthèse assistés par ordinateur et bricolons avec ceux-ci. Le but était de collecter une nouvelle banque de sons, en utilisant d’autres méthodes que le sampling.
Quelle est votre approche des rythmes dans un groupe à dominante électronique ?
Bernard Trontin (batterie) : La précision dans le jeu est très importante pour arriver à jouer AVEC la machine et ne pas courir derrière ou l’attendre au prochain feu ! C’est particulièrement vrai sur scène, où je me sentirais très gêné de devoir utiliser un casque. La connexion visuelle avec Alain est également très importante : il se comporte sur scène bien plus comme un guitariste que comme un ingénieur du son. Son tempo s’entend, mais il se voit aussi ! Sur le plan créatif, la plupart des rythmiques viennent de jams où chacun s’exprime sur la question. Nous ne nous cantonnons pas à nos rôles d’instrumentistes, mais intervenons à tous les niveaux, exception faite des textes qui sont l’apport exclusif de Franz. Je trouve le mélange batterie acoustique-sonorités électroniques passionnant. On m’a parfois dit qu’on ne dissociait pas clairement ce que je jouais de ce qui venait des machines ; cette distinction n’a pas de sens pour moi : seul compte le résultat musical. Je pense que dans l’avenir la confusion ira en s’amplifiant…
Quels sont vos buts en tant que producteurs ?
Franz Treichler : Lorsque je produis des groupes, j’essaie dans un premier temps d’aller dans le sens du groupe, faire en sorte que le groupe se sente bien dans ce nouvel environnement qu’est le studio afin qu’il soit au maximum de leurs possibilités. Ca ne m’intéresse pas outre mesure de le faire sonner comme du Young Gods si ça ne leur est pas naturel ; j’essaie de comprendre où le groupe veut aller, je le pousse dans cette direction, et à prendre lui-même des décisions par rapport aux différents choix que je peux proposer en cours de route. Bien entendu, ma manière de faire tendra à un son qui m’est personnel et je pense que c’est pour cette raison qu’en général les gens veulent bosser avec moi, mais je ne rendrai pas un groupe tel qu’il n’est pas à la base. Produire mon propre groupe est une affaire toute différente. C’est en quelque sorte une prolongation du travail créatif ou même de composition. L’idée pour Second nature était d’aller au bout de mes idées sans l’usage d’un producteur ou d’une oreille externe.
Vous traitez les sons à la manière d’un sculpteur. Quel est votre rapport avec cette « matière » ?
Le rapport est assez abstrait, les sons te disent eux-mêmes ce qui va avec ou pas. C’est un processus très instinctif. Peut-être est-ce non seulement une approche similaire à l’architecture, mais également proche du rapport qu’un peintre pourrait avoir avec les couleurs.
En studio, vous travaillez sur quel matériel?
Logiciels Macintosh (Pro tools, Cubase…), Akai S-3200, Nord lead, Korg MS-20, batterie Gretsh.
On peut rapprocher la tonalité de vos textes de poètes comme Michaux ou Lautréamont… Qu’est-ce qui justifie le choix de vos mots ?
A nouveau, ce sont les sons qui me suggèrent les mots. Je n’écris pas, ou alors très rarement, des textes pour autre chose que de la musique. Les sonorités appellent des images qui se transforment en mots et une fois que j’ai un leitmotiv dans un morceau, je développe.
Parlez-nous des nouveaux titres…
Lucidogen est le nom d’une drogue fictive qui rendrait les gens plus clairvoyants au lieu de les endormir, comme la plupart des drogues actuelles, du moins celles utilisées dans notre société occidentale. L’idée m’est venue en lisant le livre d’un anthropologue (Labat), qui faisait une comparaison de l’usage des hallucinogènes dans les sociétés dites primitives et la nôtre : dans les sociétés primitives, les gens prennent des drogues quand ils sont confrontés à un problème spécifique (chasse peu fructueuse, nouveau chef à élire…). Ils se réunissent, absorbent des hallucinogènes pour demander des réponses ou des conseils aux esprits qui évoluent dans ce qu’ils appellent la réalité. Dans notre société, l’usage des drogues est essentiellement lié à une fuite de la réalité et non à une recherche de savoir ou de sagesse. C’est toute la différence. En 1998, je me trouvais au milieu des émeutes anti-OMC (Organisation mondiale du commerce) à Genève, lorsqu’à un moment donné, tout a très vite dérapé et dégénéré en violence et répression policière. Au milieu de ce chaos urbain, je me suis souvenu de Labat et me suis dit : « Si seulement il existait un gaz lucidogen à la place de lacrimogen, tous ces gens se rendraient compte immédiatement de l’absurdité de la situation… »
Supersonic s’adresse à un ami qui disparaît dans la déprime sans donner de nouvelles. A quel moment doit-on intervenir ? Laisser couler (le son) est une réflexion brumeuse sur la nature humaine. Astronomic, un garde-fou pour ne pas oublier l’incommensurable qui nous entoure. Attends est une chanson d’amour faite de jeux de mots ; déclaration par la tendresse à la personne désirée qui s’éloigne… In the otherland : croyance en l’existence de mondes inconnus plus proches que l’on pense. Stick around, plus politique, une demande de prise de conscience des responsabilités quotidiennes de tous nos actes, du plus petit au plus grand, dans un monde où l’auto-déresponsabilisation entraîne une acceptation passive et malsaine de la situation. The Sound in your eyes, fascination en plongeant dans le regard de la personne aimée. Toi du monde, un hommage indirect au Dalaï-lama et à tous les gens en exil, sous forme de ballade house hypnotique. Et pour finir : Love 2.7, acceptation avec humour de l’éternel recommencement des mêmes questions dans l’implication d’une relation de couple. Voilà, bien sûr, tout ça reste approximatif et offre une interprétation libre à l’auditeur…
The Young Gods, bientôt sur la route ?…
Des concerts dès que l’album se trouvera dans les bacs et une tournée plus conséquente en février-mars 2001.
Votre musique en trois mots ?…
Rock / électronique / psychédélique.
Qu’est-ce qui a motivé le projet Heaven deconstruction ?
Les chutes de studio d’Only heaven. Pour présenter une facette différente des Young Gods, que personne n’imaginait vraiment.
Sur la liste de remerciements de TV Sky, on trouve Marylin Monroe et La Muerte ???…
Marylin Monroe est remerciée en tant que muse et La Muerte (groupe belge malheureusement dissous) pour avoir partagé un certain nombre de scènes avec nous pendant cette période.
Dans Longue route, il y a cette phrase superbe : « Nous ne savons pas où aller alors on vient / Nous n’avons rien à perdre alors on donne… » Que pourriez-vous ajouter ?
« Il y a cette fille du soir et la nuit est d’accord… » of course !
Le mouvement, le voyage, la dérive sont-ils des points cruciaux ?
Le mouvement et le voyage oui, la dérive pas spécialement. Si les êtres humains ne bougent pas, ils reculent ou alors ils s’enlisent.
En ce moment, vous écoutez… ?
Amon Tobin, Steward Walker, Ghost Dog (original soundtrack), Super Collider, Doctor L, Mr Bungle…
Vos lectures ?
Le Serpent cosmique de Jeremy Narby ; L’Os est pointe de James Upfield.
Propos recueillis par
(remerciements à Patrick Jammes)
Lire notre critique de Second nature