Avec l’album Felk et quelques prestations live étourdissantes, Olivier Lambin aka Red représente un projet singulier dans l’Hexagone, entre Suicide et Hank Williams, Oval et Robert Johnson, pour une musique élémentaire, minimale et sensitive, dont on ne se lasse pas. Interview par e-mail avec Red.
Chronic’art : Peux-tu nous décrire tes méthodes de composition et d’enregistrement ? Car les prises de sons sont assez inhabituelles.
Olivier Lambin : Pour cet album, les méthodes de composition sont celles que j’utilise d’habitude pour mes chansons, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune règle : soit je pars du texte, soit d’une grille d’accords que je fais tourner en improvisant des mots. Certains textes de Felk sont anciens, mais je ne les avais jamais exploités. En quelque sorte, certaines chansons étaient dans le placard. Pour le son, c’est assez simple, je mets un micro pas trop mauvais sur la table, j’ouvre la fenêtre et je laisse toutes les portes ouvertes. Je n’ai aucune envie de m’enfermer dans un studio. Quand je joue à la maison ou dans un bar, mes enfants ou les gens qui vivent autour de moi parlent, rient, etc. Je suis à l’intérieur de ça et ça influe sur ma façon de jouer.
Comment as-tu découvert le blues et quelle relation entretiens-tu avec cette musique ?
Avec les Stones et Tom Waits, puis avec les rééditions CD de R. Johnson, Blind Willie Mc Tell, etc. J’adore cette musique, avec trois accords voire un, tout le temps les mêmes paroles, tu peux faire des centaines de morceaux différents, c’est l’émotion et l’interprétation qui priment. C’est de la pure matière, on te fournit la glaise, à toi de te débrouiller pour la sculpter. Cette musique, j’en écoute et elle m’influence, mais je ne suis pas un puriste du tout.
Tu mélanges de manière inédite une musique « traditionnelle », le blues, et la musique électronique. Quelle était ton ambition en te lançant dans cette entreprise ? S’agit-il d’une volonté revendiquée de mélanger des éléments du passé et du présent ?
Je ne revendique rien en faisant ça, mes chansons sont ainsi, comme moi certainement, j’essaye juste d’être honnête. Si j’essayais de faire du blues ou du folk pur, ça sonnerait faux. Je me sers du blues et du folk inconsciemment, c’est naturel chez moi, j’ai toujours écouté cette musique. Au même titre qu’Alan Vega qui, en 77, mélangeait déjà le rock’n’roll et la musique électronique minimale. Et puis l’ordinateur devient vraiment un instrument à part entière.
Quels musiciens de musique électronique écoutes-tu ?
Aphex Twin, Autechre, Markkus Popp d’Oval, que je trouve vraiment génial. Et Martin Rev évidemment. J’aime également Pan-sonic.
Tu chantes en anglais et tu composes une musique blues. Comment te situes-tu par rapport à tes origines françaises ?
J’adore la langue anglaise car je la trouve très riche en sons. Je suis effectivement influencé par la musique anglo-saxonne, ça ne me pose pas de problème, je ne suis pas un fervent défenseur de la langue française. Il y a des trucs que j’aime bien en français, mais je ne sais pas les faire. Et puis si ça emmerde les gens qui ont ce vieux discours nationaliste sur la défense de notre belle langue, de notre culture, etc., tant pis pour eux, toutes les langues et toutes les cultures disparaissent un jour, l’important, c’est de se comprendre. Ce qui m’intéresse dans une chanson c’est son aspect général, ce que revendique le chanteur dans l’absolu, je m’en contrefiche.
Comment as-tu rencontré Noël Akchoté et le label Rectangle ? Et as-tu d’autres projets sur d’autres labels ?
J’ai rencontré Noël au festival Europa Jazz at Le Mans, il y a trois ans. Il y donnait un concert avec Stock Hausen and Walkman. Je lui ai filé une cassette qu’il a écoutée et un mois plus tard il m’a téléphoné. Ensuite nous avons enregistré un duo de musique improvisée à Rennes. Depuis il y a eu plusieurs concerts, et il y a d’autres disques à venir. C’est quelqu’un dont j’aime la démarche et la prise de position par rapport à ce qui se passe dans la musique actuellement. C’est aussi un musicien qui n’a pas arrêté de se remettre en cause continuellement. Autrement, en ce qui concerne les projets, j’enregistre actuellement un deuxième album pour Rectangle et je viens de finir un 25 cm et un 45 t avec Hang left devil, un groupe de rock’n’roll complètement déjanté avec lequel je chante et je joue de la guitare (label Kalamazoo en vinyle uniquement). Nous allons également, avec Noël Akchoté, enregistrer une face de 25 cm en split avec Costes sur l’autre face pour un label rennais qui s’appelle Premier Sous-sol (pour info : ), plus un second volume de nos aventures improvisées sur Collachien (distr Improjazz et Sugar and Spice), dont la sortie est prévue en février 2001. Il y aura aussi un disque sur Voodoo Rythm, un label suisse-allemand.
Quelle place tient la musique improvisée dans ta création ?
J’ai toujours aimé les musiques les plus spontanées possibles. John Lee Hooker est un très grand improvisateur par exemple, et je rêve de le voir jouer avec Derek Bailey ! Mais encore une fois, je ne suis pas un puriste : j’aime improviser mais ce n’est pas un dogme. La liberté d’improviser c’est aussi savoir parfois ne pas improviser.
Ton disque est très intimiste d’une certaine façon. Est-ce quelque chose de prémédité ?
Oui, ce disque parle de la perte d’un ami à qui je n’avais pas tout dit, c’est donc très intimiste effectivement. C’est très noir dans l’ensemble, à part la petite lueur à la fin. Quand je le réécoute, j’ai un peu l’impression d’être à poil là-dessus. Mais pas autant que Jacques Brel sur Ne me quitte pas. Le fait que le disque ait été enregistré à la maison n’arrange rien à l’affaire. Mais ces chansons avaient besoin d’un son intimiste. Sur scène c’est autre chose.
Que représente l’écriture des textes pour toi ?
Mes textes sont toujours en rapport avec les histoires que j’ai vécues. Souvent, c’est juste un constat, mais il y a cependant une déformation par rapport à la réalité. On appelle ça de la mythomanie, non ? La plupart de mes textes me viennent d’une seule traite, je les retravaille très peu dans l’ensemble. C’est un acte important pour moi, c’est vital d’écrire des chansons. Un peu comme certaines personnes parlent à leur psychiatre. Mais ce ne sont que des chansons.
Propos recueillis pas
Lire notre critique de Felk