L’appellation « festival du cinéma américain » a fréquemment provoqué, par le passé, des réactions incontrôlées. Réputé pour favoriser les grosses productions hollywoodiennes, Deauville s’est cependant peu à peu ouvert au cinéma indépendant et les esprits se sont calmés. Plus de quoi flatter notre anti-américanisme primaire. Mais l’avantage des blockbusters, c’est que c’est pas compliqué. On sait qu’on a affaire à un cinéma commercial, que l’on se retrouvera durant 1h30-2h face à un produit. Produit qui peut parfois susciter un certain intérêt lorsqu’il est un peu moins formaté que les autres. Alors qu’avec les films indépendants, ce qu’il y a d’embêtant, c’est qu’ils donnent une envie de cinéma. L’attente est plus forte… la déception aussi. Cette année, le festival aura eu le triste privilège de réunir sous la même bannière de l’ennui profond ces deux types de cinéma. La sélection 1999 nous a, en effet, réservé très peu de surprises et se distingue avant tout par de nombreux films insipides. Petit tour d’horizon d’une très grande déception.
Evacuons tout de suite un certain nombre de films, ça ira beaucoup mieux après. Avec un peu de chance Kimberly (Frederic Golchan) ne sera pas distribué et nous n’aurons plus à vous parler de ce téléfilm insignifiant qui nous narre les aventures de quatre amis tombant amoureux de la même femme. Même diagnostic pour Deterrence (Rod Lurie), avec tout de même un petit plus : la palme du ridicule. Le président des Etats-Unis se retrouve coincé dans une cafétéria alors qu’éclate une nouvelle Guerre du Golfe provoquée par le fils de Saddam Hussein. Il ne dispose que de deux heures et de quelques téléphones pour sauver le monde. Bien évidemment il y parviendra, mais parfois « il faut faire le mal pour faire le bien », dixit notre sauveur, et donc lâcher une petite bombe atomique sur Bagdad, histoire d’être sûr qu’il n’y ait pas une troisième Guerre du Golfe provoquée par le petit-fils. La seule curiosité de cet Independence Day du pauvre étant la présence-potiche de Clotilde Courau. Les deux films se distinguent aussi par une absence totale de mise en scène ; des téléfilms sur celluloïd. Ce qui est également le cas, à peu de chose près, de Teaching Mrs Tingle (Kevin Williamson). Le réalisateur s’était pourtant fait remarquer avec son scénario de Scream (1997), qui décortiquait avec un malin plaisir les recettes éprouvées du cinéma d’horreur. En passant à la mise en scène, K. Williamson applique à la lettre tout ce qu’il dénonçait dans son scénario. A partir d’une idée intéressante, très mal exploitée (des élèves séquestrent leur prof d’histoire tyrannique qui les accuse injustement d’avoir trichés), il fabrique un film convenu et plus que prévisible.
Recherche comédie désespérément
Dans Bowfinger, roi d’Hollywood (Frank Oz), l’idée de départ est également intéressante mais elle donne lieu, cette fois, à une comédie lourdingue. Un réalisateur minable voit son jour de gloire arriver lorsqu’un producteur accepte enfin de financer son film, la seule condition étant qu’y figure Kit Ramsey (Eddie Murphy), la vedette du moment. Kit refuse mais Bowfinger va réussir à le filmer à son insu. Il est ainsi obligé de provoquer certaines situations pour qu’elles puissent coller au scénario. Le film se réduit à une longue suite de stratagèmes pour intégrer la star au film, et se révèle rapidement répétitif. L’aspect parodique repose quant à lui sur un humour bien trop primaire pour pouvoir nous dérider. On attendait de toute façon pas grand chose d’un film avec Eddie Murphy et Steve Martin. On espérait par contre beaucoup plus de Mafia Blues (Harold Ramis). Avec Un Jour sans fin (1993) Harold Ramis avait réussi une comédie très originale. Son dernier film est beaucoup plus classique et, malgré quelques bonnes idées, assez décevant. L’interprétation tout en cabotinage de Robert de Niro n’arrange rien à l’affaire. Nous y reviendrons au moment de sa sortie en salles le 29 septembre prochain. La comédie américaine se révèle bien plus drôle lorsqu’elle lorgne du côté de l’Amérique profonde, que ce soit avec Happy Texas ou Drop dead gorgeous (Belles à mourir). Dans Happy Texas (Mark Illsley), deux malfrats s’évadent d’un pénitencier et atterrissent dans un patelin où les habitants les prennent pour les organisateurs du concours de beauté local. Obligés d’endosser leur identité, ils vont devoir assumer leur rôle et finiront même par faire qualifier la ville pour la grande finale régionale. Happy Texas (Mark Illsley) n’est qu’une petite comédie, mais dans le bon sens du terme. Elle a de plus le grand mérite de ne pas se prendre au sérieux.
Drop dead gorgeous (Michael Patrick Jann), par contre, est une véritable réussite et l’un des seuls bons films du festival. Le film se présente sous la forme d’un faux reportage réalisé sur un concours de beauté -eh ! oui encore-, dans une petite ville américaine. Candidates arrivistes, conformisme idéologique, dictature d’une esthétique à la poupée Barbie, aucune des valeurs de l’Amérique bien-pensante n’est épargnée. Tous les moyens sont bons pour arriver première ; l’une des candidates (Denise Richards, parfaite en icône de l’Amérique toujours gagnante) n’hésite pas à supprimer physiquement ses rivales pour être sûre de remporter le concours. Car cette présidente du club de tir luthérien, empestant la perfection, sait que : « Jésus aime ceux qui gagnent ». L’ensemble du film est du même acabit, c’est très très méchant, très cruel, et donc particulièrement jouissif.
Films classiques facilement trouvés
Un certain nombre de films présentés à Deauville cette année ne peuvent être qualifiés de mauvais, ni de bons d’ailleurs, ils sont plutôt sans surprises, à l’image de la majeure partie de la production cinématographique mondiale. C’est le cas, par exemple, de Ride with the devil (Ang Lee), film historique sur les milices pro-sudistes durant la guerre de Sécession aux Etats-Unis. Adopter le point de vue des « méchants » est une démarche assez inhabituelle pour être signalée, et permet, de surcroît, d’éviter tout manichéisme dans le traitement de la guerre civile américaine. L’ensemble du film demeure cependant extrêmement classique et a le défaut d’être « porté » par un interprète principal particulièrement fade, Tobey Maguire.
Cet acteur dépourvu de charisme figure aussi dans un autre film : L’Œuvre de dieu, la part du diable (Lasse Hallström). Les deux adaptations précédentes des romans de John Irving n’étaient pas très convaincantes (Le Monde selon Garp et L’Hôtel New Hampshire). Celle-ci non plus hélas. Le romancier a pourtant, cette fois-ci, collaboré à l’écriture du scénario. Mais du roman dense et passionnant, il ne reste pas grand chose. Le personnage de Mary Agnes est totalement éclipsé, le temps de l’action réduit à la Seconde Guerre mondiale. Avant tout axé sur l’histoire d’amour entre Homer Wells et Candy, le film demeure linéaire. Aucune surprise non plus de la part de l’Affaire Thomas Crown (John Mc Tiernan), remake du film de Norman Jewison. C’est pas désagréable, plutôt plaisant même, mais on ne comprend pas très bien la raison d’être d’un tel remake. Les scénaristes hollywoodiens manqueraient-ils à ce point d’inspiration ?
Films intéressants difficilement rencontrés
Malgré tout, quatre films valaient le déplacement. Ils nous consolent largement du reste de la sélection. Twin falls Idaho (Michael Polish), prix du jury ex-æquo avec Guinevere (Audrey Wells), est un film insolite sur des frères siamois, et qui réussit à s’abstenir de tout voyeurisme -il se montre parfois assez touchant. Un premier film maîtrisé dans lequel affleure, par moments, une certaine poésie, même si celle-ci se complait dans un certain esthétisme branchouille. Une programmation plus rigoureuse et plus riche nous aurait certainement conduit à être moins indulgent envers Twin falls Idaho. Mais la médiocre qualité des films présentés cette année lui permet de se démarquer du lot.
Restent trois films passionnants, chacun pour des raisons bien différentes. Being John Malkovich (Spike Jonze) a largement mérité ses deux prix : le Grand Prix du festival ainsi que le Prix de la Critique Internationale. Le trop fameux « quart d’heure » d’Andy Warhol y est prix au pied de la lettre ; pour être célèbre il suffit de se retrouver dans le corps d’une célébrité. Or Craig, un marionnettiste au chômage, découvre une porte d’accès qui mène tout droit à l’intérieur de John Malkovich. S’en suit un film délirant qui exploite toutes les variations possibles de l’idée ingénieuse du départ. L’acteur, bien involontairement, sera exploité de manière mercantile, mais surtout fera l’objet de toutes les convoitises du marionnettiste et de sa femme. Son corps étant un médium pour assouvir leur fantasme commun, coucher avec la séduisante collègue de Craig. Drôle, surréaliste, Being John Malkovich est un film atypique d’une rare intelligence.
Restent deux derniers films injustement ignorés du palmarès. Tous deux mêlent fiction et documentaire. Le premier, White Boys (Marc Levin), se situe dans une petite ville de l’Iowa où un adolescent blanc ne rêve que d’une chose : être un rappeur noir. Confronter l’Amérique profonde des petits blancs avec la culture noire des ghettos était risqué. Cette juxtaposition de deux univers très différents, permet, pourtant, de représenter de manière très juste un adolescent américain qui se morfond d’ennui dans un trou perdu de l’Iowa. Seul le rap, et toute la part fantasmatique qu’il comporte, lui donne l’illusion de croire qu’il n’a pas un avenir totalement bouché.
Quant au second, Fiona (Amos Kolek), il s’agit sans aucun doute du meilleur film du festival. Ce portrait d’une prostituée new-yorkaise interprétée par la magnifique Anna Thomson prouve qu’un cinéma exigeant et intelligent existe encore. A la fois composé de prises de vues réelles filmées dans les crack house de New York où vivent les prostituées junkies, et de scènes fictionnalisées, Fiona est un film d’une grande noirceur. Sa dureté, son absence de compromissions, son refus d’épargner le spectateur choqueront certainement au moment de la sa sortie (le 24 novembre). Mais le cinéma d’Amos Kolek suscite de véritables émotions, et même si elles sont difficilement supportables, on est en droit de les préférer à la morne indifférence qu’à suscité la quasi totalité des films présentés à Deauville cette année.
Voir le site officiel du festival de Deauville