Avant 1986 et Le Syndicat du crime, la filmographie de John Woo demeurait assez mystérieuse. Pourtant, pas moins de quinze œuvres étaient déjà à l’actif du cinéaste. Heureuse initiative donc, que cette rétrospective de douze films qui, outre quelques classiques (The Killer, Une Balle dans la tête, A toute épreuve…), propose quatre « travaux de jeunesse » et une poignée d’inédits plus récents. Compte-rendu de trois raretés…
Comment reconnaître le futur John Woo au vu de Princesse Chang Ping (1976), film qui tente de réinvestir un genre traditionnel, le film d’opéra cantonais ? La trame, déjà, est celle d’un mélodrame ordinaire. Alors qu’elle vient de se fiancer, la Princesse Chang Ping doit déjà mourir : son royaume est envahi par des rebelles, et son père ordonne à toutes les femmes de la famille de se suicider. Miraculeusement, la princesse survit, mais doit se réfugier dans un couvent pour cacher son identité. Son fiancé, pourtant, ne tardera pas à la retrouver…
Contre toute attente, Princesse Chang-Ping réussit à conjuguer classicisme et modernité. Si le respect des codes de l’opéra chinois est effectif (musique incessante, fiancé de la princesse interprétée par une jeune fille, gestuelle très prononcée…), la mise en scène et les choix narratifs de Woo surprennent. On retiendra donc un sens de l’ellipse particulièrement audacieux (toute vraisemblance est sacrifiée au profit de l’essentiel, c’est-à-dire le lyrisme) et un découpage technique à la fois sobre et ample (plans longs mais très structurés). Si Princesse Chang Ping ne convainc pas toujours dans sa dimension poétique plastiquement trop naïve (ah ! la dernière scène édénique…), il parvient à séduire par sa radicalité puriste.
Plus qu’à un film de John Woo, La Dernière chevalerie (1979) ressemble à une œuvre du maître Chang Cheh (réalisateur mythique de La Rage du tigre) dont Woo a longtemps été l’assistant. Même facticité des décors (tournages en studio) et mêmes tendances figuratives nées de l’amour d’un même genre (le « wu xia pian », film de sabre qui a traversé toute l’histoire du cinéma asiatique, de Raining in the mountain de King Hu aux Cendres du temps de Wong Kar-waï). Afin de se venger de Pak Chung-tong, chef d’un clan ennemi, Kao Pun, un riche seigneur, s’associe au chevalier Chang et au sabreur Tsing-yi…
A travers un scénario qui fait se succéder des combats souvent magnifiques (notamment contre un adversaire somnambulique qui manie l’épée dans son sommeil), Woo traite, quelques années avant Une Balle dans la tête ou Le Syndicat du crime, des mille et une affres de l’amitié. Dans La Dernière chevalerie, il est déjà question de trahison, d’appât du gain et d’arrivisme venant entacher une profonde croyance en la pureté des sentiments… et en une complicité alcoolique. Si ces propos donnent au film une belle tonalité désabusée, l’ensemble n’en demeure pas moins jubilatoire et efficace dans tout ce qui touche à l’action pure et dure.
Réalisé quelques mois après The Killer, Just heroes (1989) est un film assez faible et bâtard. La raison de cet échec semble être due au fait que l’œuvre ait été signée collectivement par quatre disciples de Chang Cheh (dont Woo) soucieux de perpétuer une vieille tradition consistant à réaliser un film dont les bénéfices aideraient un cinéaste vétéran à passer une retraite agréable. En quelques mots, Just heroes raconte le meurtre d’un chef de gang, assassinat dont sont soupçonnés ses collaborateurs, qui étaient tous susceptibles de prendre sa succession… Hormis un brillantissime gunfight final, le film ne nous laissera pas un souvenir impérissable : amitié partagée sur fond d’esthétique « pub Heineken », personnages féminins ridicules et insupportables, mauvais suspense (on trouve très vite qui est le coupable) et fadeur de l’image. La maestria permanente à l’œuvre dans The Killer et, surtout, A toute épreuve, semble bien loin.
En résumé, un échantillon qui donne plus envie de découvrir le reste des inédits primitifs de Woo (qui, sans ressembler à ce qu’on connaît de lui, excellent dans leurs parti-pris) que de se plonger dans les entr’actes contemporains mais récréatifs du cinéaste.
La rétrospective a lieu à partir du 21 juillet à l’UGC Ciné Cité les Halles et présentera les films suivants :
Hand of death (1976),
Princesse Chang Ping (1976),
La Dernière chevalerie (1979),
Les Larmes d’un héros (1983),
Le Syndicat du crime (1986),
Le Syndicat du crime 2 (1987),
The Killer (1988),
Just heroes (1989),
Une Balle dans la tête (1990),
Les Associés (1991),
A toute épreuve (1992)
Le Syndicat du crime 3 (réalisé par Tsui Hark en 1990)