Silence dans la presse sur les deux procès que le journal Le Monde a engagés et perdus contre Jean-Paul Gouteux, auteur de deux ouvrages sur le rôle de la France dans le génocide rwandais et le traitement de ce génocide dans les médias français. Explications (Voir aussi notre interview).
Dans la discrétion qui sied au bavardage et à l’agitation mondaine, deux livres, à valeur d’exemple, hantent en ce moment les nuits de nos grands hommes. Pouvoirs politiques et médiatiques se mêlent et s’entremêlent pour leur plus grands désespoirs dans deux ouvrages de l’entomologiste médical Jean-Paul Gouteux, Un Génocide secret d’Etat, La France et le Rwanda 1990-1997 paru aux Editions sociales (mars 1998) et Le Monde, un contre pouvoir ? aux Editions Esprit Frappeur (octobre 1999). Ancien coopérant au Kivu dans l’ex-Zaïre, les efforts de ce chercheur pour faire la lumière sur les responsabilités du drame survenu au Rwanda en 1994 et mettre en évidence les funestes tentatives de camouflage du génocide des Tutsi sont restés plongés dans un silence assourdissant mais fort opportun.
Les massacres méthodiques s’étaient alors soldés par la mort d’au moins 800 000 personnes. Pourquoi l’opinion publique française fut-elle si peu informée de la situation ? Qui tue qui ? Et avec l’aide de qui ? L’impressionnante bibliographie de ses livres donne un début de réponse et semble mettre en évidence le soutien discret, mais actif, de la France au Hutu Power dans le méthodique déchiquetage des populations tutsi comme des opposants hutu. Pourtant, de l’assassinat d’Habyarimana (1) -étrangement suivi du « suicide » de Grossouvre (2) à la tentative de diabolisation du FPR (Front Patriotique Rwandais), aucun responsable français n’a jusqu’ici rendu de compte.
La lecture de son premier livre, Un Génocide secret d’Etat, plonge tout lecteur, au travers de l’exemple du Rwanda, dans un milieux nauséabond où la politique africaine de la France est décortiquée pour en livrer les dessous poisseux. Souvent agissant sous couvert de défense de la Francophonie, les « réseaux Foccart », « la ligne Pasqua », jusqu’au tréfonds de la « Mitterrandie » sont analysés, donnant méthodiquement l’impression d’une lignée héréditaire perpétuant les turpitudes, les coups bas, les massacres et les trafics, bras armé ou manipulateur, pour le plus grand intérêt de la Françafrique (3) en décrépitude aujourd’hui. Explicite dans ses propos ; « Le génocide rwandais à été largement financé par le contribuable français » explique Gouteux. En tête des généreux donateurs de fonds qui serviront à équiper « les milices génocidaires », la France, dont, en 1992, le « Crédit Lyonnais ira jusqu’à garantir 35 millions d’achats d’armes à »… l’Egypte. Au travers du Rwanda, Gouteux exprime un refus du silence devant le constat d’une Afrique transformée en terrains de safari et de luttes de pouvoir ne donnant jamais mieux toute sa symbolique au paravent fleuri de l’intitulé « domaine réservé ». Construit comme une enquête, l’ouvrage de Gouteux donne des noms, relate des témoignages, expose les citations les plus précises de multiples témoins actifs ou d’observateurs, mentionne les livraisons d’armes, propose des pistes d’enquête, offre une chronologie accablante de l’implication de la France et s’étonne de l’étouffoir et de la désinformation dont sont victimes les faits jusque dans le rôle trouble des médias. Leur attitude durant les événements du Rwanda les fait apparaître comme une simple courroie de transmission de la communication des « services secrets français », cellule élyséenne et DGSE (4) en tête. La vision ethniste de l’Afrique que Jean-Paul Gouteux assimile aux visions racistes pourtant communément dénoncées est associée à la dérive mafieuse de la politique africaine et va de pair avec les manipulations de l’information voire le silence. A ce titre, après avoir exposé la curieuse désinformation du journal Libération sous la plume de Stephen Smith, dans Le Monde, un contre-pouvoir ?, Gouteux pointe le rôle du journal Le Monde, étonnamment aveugle jusqu’au plus près des massacres, incapable de qualifier l’évidence et qui se réfugia, derrière une présentation « ethniste » des événements du Rwanda. Le Monde n’aurait rien fait de moins que de mettre un bémol sur les turpitudes et la participation de l’hexagone aux calvaire des Tutsi. Le Monde, Jean-Marie Colombani, directeur de la publication et Jacques Isnard, journaliste, se plaignant d’avoir été mis en cause pour être « d’honorables correspondants » (5) « relais complaisants de la DGSE pour diffuser le message de désinformation des services secrets français » ce qui constitue « un manquement grave aux obligations et à la déontologie professionnelle des journalistes » avouent-ils, ont assigné en justice Jean-Paul Gouteux et les Editions sociales, réclamant 600 000 F de dommages et intérêts (6). Mal leur en a pris. Une fois n’est pas coutume, la justice condamne le quotidien du soir aux dépens en première instance et en appel, mettant ainsi gravement en cause son indépendance tout en reconnaissant la bonne foi du chercheur et le sérieux de son enquête difficilement réfutables. Pouvait-il en être autrement devant la somme considérable de recoupements démontrant la similitude des messages distillés entre les articles du journal et les opérations de communication des « Services français » ? L’aveu forcé de l’ONU qui reconnaît aujourd’hui (15 avril 2000), après une mission d’enquête, que « ses membres n’avaient pas eu la volonté politique de faire cesser le massacre » accrédite ainsi la thèse de Jean Paul Gouteux. Cette non-affaire médiatique deviendra-t-elle une vraie affaire judiciaire ? Apparemment oui, puisque Jean-Paul Gouteux vient, une nouvelle fois, d’être assigné devant les tribunaux par les mêmes protagonistes pour son second livre. Alors que cette affaire disqualifie les auteurs de ces turpitudes journalistiques et leur employeur, le récit du procès et des attendus du jugement condamnant Le Monde bénéficie d’une publicité proche du néant. Cherchez l’erreur.
Le Monde, Un contre-pouvoir ? Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais, Editions L’Esprit frappeur (203 p. 20F)
Un génocide secret d’état 1990 – 1997, Editions sociales (255 p. 110F)
Voir notre entretien avec de Jean-Paul Gouteux.
(1) Président du Rwanda
(2) Proche conseiller de F. Mitterrand
(3) Direction Générale de la Sûreté Extérieure
(4) Réseau d’acteurs militaires, politiques et économiques en France et en Afrique qui s’accaparent matières premières et aide publique au développement
(5) Terme habituellement attribué aux journalistes assurant le service après-vente de « l’intérêt supérieur de la France »
(6) Ce que se sont gardés de faire les autres titres mis en cause