La vie de Hadewij Freeve se partage entre la peinture et le théâtre côté coulisses. Avec Henry V mis en scène par Jean-Louis Benoit, elle peut associer ses deux activités. Elle participe en effet à la grande aventure de la troupe du théâtre de l’Aquarium, d’abord dans la réalisation des accessoires, à la régie plateau, mais aussi avec une exposition de ses œuvres sur l’épopée shakespearienne, réalisées pour l’occasion.
Chronic’art : Qui se trouve à l’origine de ce projet de réalisation d’œuvres sur le thème de Henry V ?
Hadewij Freeve : Je trouvais que c’était une bonne idée de faire des tableaux en même temps et sur le même thème que le spectacle (voir notre critique). Tous les membres de la troupe avaient vu mes tableaux précédents. J’en ai parlé à Jean-Louis Benoit qui a trouvé que c’était une excellente idée. J’ai commencé à travailler en même temps que les acteurs débutaient les répétitions.
Peigniez-vous auparavant dans ce même style ou avez-vous cherché à vous rapprocher de l’imagerie médiévale ?
Je travaillais déjà dans ce style naïf avec des couleurs fortes, des animaux…
Vous avez repris des thématiques de l’époque, on pense à La Dame à la licorne, aux Très riches heures du duc de Berry, etc.
Je voulais trouver ma façon de voir Shakespeare et Henry V et rester au XVe siècle. J’ai ajouté des choses, comme par exemple, les grenouilles, car les Anglais appellent les Français, « froggies ».
Vous travaillez toujours à l’huile ?
Oui, toujours l’huile sur toile car on peut faire des couches fines, ce que ne permet pas l’acrylique qui bouche tout de suite. On peut travailler avec des couches mais pas comme à l’huile, ce qui permet de faire une légère couche de bleu, puis une autre d’une couleur différente, etc. Ca fait vivre le tableau. J’ai toujours peint à l’huile, mais j’ai aussi essayé l’acrylique.
Vous avez peint Henry V de profil. L’affiche du spectacle présente Philippe Torreton, dans le rôle titre, avec ce même profil. Y a-t-il un rapport entre les deux ? Aviez-vous vu l’affiche ?
Non, j’avais fait ce tableau par rapport au vrai portrait de Henry V, celui d’époque. Je ne l’ai pas traité de la même façon, mais il m’a paru remarquable parce qu’on croit que les rois sont tous beaux alors que ce portrait ne le montre pas vraiment comme ça.
Comment avez-vous choisi les scènes que vous alliez peindre ?
Il y a trois tableaux importants : Henry V, Catherine et La Bataille d’Azincourt mais j’ai travaillé sur les idées qui me sont venues pendant les répétitions ou en rapport avec le texte bien que ça n’a rien à voir avec ce qu’il y a sur scène. Je travaille à partir de l’idée que je me fais de l’époque : les batailles, les chevaux, les armures. Je peins avec les images médiévales que j’ai en mémoire.
Les gens viennent–ils exprès pour l’exposition ? A-t-elle sa vie indépendamment de celle de la pièce ?
Oui, des gens m’appellent, viennent la voir, mais il y a aussi 350 personnes qui viennent chaque soir pour la pièce. Evidemment.
Vos œuvres sont-elles présentes dans une galerie en France ?
Pas en France mais en Hollande où j’ai assez vite présenté de nombreuses expositions : trois ou quatre par an, en plus de mon activité pour le théâtre.
Quand êtes-vous venue en France ?
Je suis venue en France après mes études à l’école des Beaux-Arts en Hollande où je suivais des cours de scénographie et de peinture. Il fallait faire un stage et j’ai eu la possibilité d’en faire un à l’étranger : chez Ariane Mnouchkine, au Théâtre du Soleil. Par la suite, on m’a demandé de rester pour réaliser un décor à côté. Depuis, je travaille souvent dans les théâtres de la Cartoucherie.
Que faites-vous sur la pièce Henry V ?
J’ai fait tous les accessoires et maintenant je travaille sur le plateau. Chaque soir je m’occupe des accessoires, des mouvements du décor, des rentrées des comédiens. La régie plateau quoi.
Comment se passe le travail sur la pièce ?
C’est une bonne équipe. On a travaillé ici, puis on a fait la création à Avignon. Commencer par la Cour d’honneur était très impressionnant. Ensuite, on a fait un break pendant un mois et demi. En septembre, on a repris ici pour répéter et réaliser les décors. Et, le 1er octobre, la tournée de deux mois et demi a commencé. C’était très sympa.
Vous avez conçu tous les accessoires qui ont l’air de jouets et rappellent votre travail qui, lui, s’apparente au monde de l’enfant.
L’idée du spectacle était de créer ce rapport entre vrai et faux. Shakespeare joue lui aussi beaucoup là-dessus. Si on fait de vraies épées, il faut aussi construire de vrais châteaux. Si on créé une fausse épée et qu’on la peint en argent tout le monde se rend compte de la supercherie ; alors autant la laisser neutre. C’est une épée en bois et tout le monde sait (avec la même naïveté des enfants qui jouent avec) que ça équivaut à une épée pour faire la guerre. On avait décidé de faire les accessoires dans cette idée-là. Et dans ma peinture, je fais un peu la même chose : je n’ai pas envie de dessiner toutes les articulations, tous les détails des visages. Au Moyen Age, ils se foutaient de la perspective. Je trouve ça très beau de montrer l’éloignement d’une autre façon que la perspective.
Comment trouvez-vous le temps pour vos deux activités ?
Je ne fais que travailler. Surtout pour cette exposition puisque nous étions en tournée. Le théâtre est un travail de groupe, et la peinture c’est pour moi : je fais ce que je veux. L’un m’inspire pour l’autre. Comme à l’Aquarium, je commence à six heures et termine à minuit ; ça me laisse la journée pour la peinture. J’ai déjà commencé d’autres tableaux car je prépare une exposition en septembre pour la Hollande et je préfère me donner beaucoup de temps pour peindre.
Ca va plutôt bien, il me semble !
Oui ! Je présente par ailleurs en mars un spectacle, toujours en Hollande : un opéra de marionnettes. Je vais travailler sur le décor et sur les marionnettes. C’est très intéressant pour moi puisque je vais m’occuper activement de la scénographie. Ca fait cinq ans que je suis à la Cartoucherie. C’est un lieu magnifique, chaque théâtre a ses ateliers, c’est vraiment bien. Mais maintenant j’ai envie de bouger, d’avancer dans mon projet personnel.
J’ai aussi trouvé un éditeur en Hollande : j’avais fait un livre sur l’histoire du Christ pour une fête de Noël avec ma famille. Des huiles sur bois, un peu comme des icônes. J’en avais fait pour tout le monde et on m’a encouragé à l’envoyer à un éditeur. On va peut-être un peu changer le texte que j’avais écrit, mais il va sortir pour Noël 2000.
Propos recueillis par
Vous pouvez voir l’exposition des peintures de Hadewij Freeve dans le hall du théâtre de l’Aquarium, à la Cartoucherie – route du Champ de Manœuvre, Paris 12e (jusqu’au 5 mars 2000)
Lire notre critique de Henri V mis en scène par Jean-Louis Benoit au théâtre de L’Aquarium