Du 8 au 12 décembre dernier s’est déroulé au Forum des Images le Festival de films gays et lesbiens, cinquième du nom. Placées sous le signe de l’éclectisme, ces quelques journées ont vu défiler des films variés (courts métrages, vidéos, téléfilms…) et inégaux, malgré une programmation soutenue et la présentation d’une poignée d’œuvres marquantes. Les questions soulevées ici sont-elles forcément plus singulières qu’en territoire hétéro ?
La cinquième édition du Festival de films gays et lesbiens était peut-être la dernière. Faute de partenaires financiers plus nombreux, la manifestation est en effet condamnée à court terme. Le public, lui, était pourtant bien présent, la plupart des séances affichant même complet. Mais vers quel désir, quelle recherche ? Un profond besoin d’identification ? L’impression d’être un élément communautaire au sein d’une salle de cinéma bien typée et via l’écran de ses projections les plus intimes ? La sensation rassurante de se retrouver « en famille » et d’avoir un regard privilégié sur les images proposées ? Cette année, les œuvres les plus intéressantes étaient justement celles cherchant à déjouer cette position trop confortable et « ghettoïsante » qui tendrait à faire oublier le cinéma au profit d’un souci unique de proximité. Alors, comment dépasser cet état de fait quelque peu tautologique et auto-satisfaisant d’être un pédé entouré de pédés devant un film pour pédés ? Sûrement pas en regardant Beef cake de Thom Fitzgerald ou la série Queer as folk. Le premier est une mignardise dispensable qui s’attache à retracer, entre fiction et documentaire, le parcours de quelques pionniers de l’imagerie gay. Photographes pour la revue Athletic models guild dans les années 50, Bob Miser et quelques autres ont été parmi les premiers Américains à instituer un droit à l’érotisme strictement masculin. Beef cake tente ainsi de se frayer un chemin parmi les images sur papier glacé, quelques petites bandes d’époque en super-8 et les interventions des protagonistes (désormais vétérans) de cette entreprise charnière. Dommage que ce travail honorable (bien que souvent anecdotique) soit alourdi par une reconstitution kitsch de cette existence tout en grandeur (la villa de Miser, sorte d’Eden orgiaque avec piscine, éphèbes à poil et pectoraux à gogo) et décadence (l’aventure sera entachée par un procès pour outrage aux bonnes mœurs et proxénétisme).
En résumé, un objet aussi plaisant que futile, tout comme Queer as folk, soap culte depuis sa diffusion en Angleterre, sur la BBC. Si le parcours sentimental d’une poignée d’homos vivant à Manchester a soulevé une polémique en Grande-Bretagne, son contenu ne paraît pourtant guère révolutionnaire. A quoi ressemble un gay d’aujourd’hui ? Au choix : à une folle hystérique, un minet dévergondé, une machine à danser ou à baiser. Le corps sera festif ou ne sera pas. Une perspective certes jubilatoire (la série prône cet hédonisme permanent avec un humour et une énergie efficaces) mais également inquiétant, vu la façon dont on se débarrasse des personnages hors de ces normes préétablies. La conclusion de la première saison s’avère emblématique, démontrant, en substance, qu’il vaut mieux renoncer à l’amour (trop sérieux) pour aller en boîte…
D’autres options bien moins généralistes étaient heureusement présentées, avec notamment deux films autour d’un même personnage et d’un même corps, celui de Brandon Teena, alias Teena Brandon. Née fille, Teena Brandon se sent davantage mec et décide d’en prendre coûte que coûte l’apparence, jusqu’à adopter les rites, la gestuelle et le désir d’un jeune mâle américain. Brandon intègre ainsi très vite un groupe de jeunes paumés évoluant dans une ville qui ne l’est pas moins. Mais lorsqu’il débute une liaison avec l’une des filles de la bande, les suspicions sur son identité sexuelle commencent à naître, avant de déboucher sur un carnage terrifiant. Dans The Brandon Teena story, la version documentaire de ce fait divers, les acteurs du drame s’expriment les uns après les autres devant une caméra aussi froide qu’implacable. A travers l’ensemble de ces témoignages rassemblés par Susan Muska et Greta Olafsdottir, c’est toute l’horreur de l’Amérique profonde qui émerge, sa peur et son refus de la différence, ses réflexes innés de destruction. Si les deux cinéastes ont un peu trop tendance à accumuler les détails scabreux et les mots scandaleux, c’est pour mieux dénoncer le fascisme en action, ancré dans le quotidien, incarné par une ville malade qui n’a de cesse de vomir sa bêtise et sa violence naturelles.
Boys don’t cry (dont la sortie est prévue en mars) reprend les mêmes personnages (les noms sont d’ailleurs conservés), mais, cette fois-ci, au sein d’une fiction. Très fidèle aux événements d’origine, le film de Kimberly Peirce s’autorise toutefois quelques ajouts romanesques assez réussis, surtout dans les scènes d’amour entre Brandon (l’impressionnante Hilary Swank) et Lana (Chloé Sevigny, plus belle et sensuelle que jamais). Si le projet est quelque peu limité par sa structure fatalement binaire (le bonheur, puis la révélation), Peirce affronte les séquences les plus difficiles avec un courage et une honnêteté exemplaires, sans jamais tomber dans le scabreux.
La Chine : autre territoire, autre marginalité. En sachant que l’acceptation de l’homosexualité n’en est là-bas qu’à ses prémisses (et encore…), Nannan nünü peut être perçu comme un film mercenaire. Le réalisateur Liu Bingjian y suit le quotidien de Bo, jeune garçon se cherchant dans la métropole pékinoise. Entre poésie des bas-fonds (l’un des protagonistes fonde une revue nommée Les Pissotières magnifiques), amours troubles et désespérance urbaine, Nannan nünü parle avant tout de la naissance d’une affirmation, dans un pays où l’expression d' »acte politique » est encore loin d’être galvaudée.
La politique, c’est justement ce dont il est majoritairement question dans Les Terres froides, véritable révélation de ce festival. Réalisé dans le cadre d’une commande pour Arte sur le thème « Gauche / Droite », le second film de Sébastien Lifschitz (après le plus inégal Les Corps ouverts) prend ses archétypes (les personnages en sont tous : l’Arabe ouvrier, le patron facho, la mère fatiguée et le fils homo) à bras-le-corps pour mieux leur insuffler son énergie empoisonnée, subversive et finalement réjouissante. Rarement aura-t-on vu un film se nourrir autant de détours tortueux, d’improbables chemins de traverse pour parvenir à l’une des scènes finales les plus surprenantes du cinéma français. Les Terres froides démontre avec brio que le monde et, a fortiori, le cinéma sont encore remplis d’enjeux. C’est rare et ça rassure, surtout lorsqu’un tel festival s’en fait l’écho.
Infos sur le festival sur le site du Forum des images