Le Musée Fesch d’Ajaccio présente jusqu’au 25 février 2000 l’exposition Riverder le stelle nourrie de La Divine Comédie de Dante où l’on découvre les grandes peintures de Jean-Paul Marcheschi. Elles sont réalisées au moyen d’un flambeau qui laisse, sur des feuillets juxtaposés, des brûlures, des traces de suie ou de cire. Ce travail tout à fait singulier se situe loin de la coquetterie d’artiste, il est mûrement pensé et s’orchestre selon un déroulement méthodique. Découverte.
« Les papiers sont posés au sol et au hasard, d’autant que la première couche est souvent renouvelée 50 fois : je ne fais pas mouche au premier coup. Quand le tableau est fini, les feuillets ont quasiment tous été changés. C’est une bonne technique de travail de penser l’erreur, de penser les parties mauvaises. Ca permet de ne pas avoir à détruire la toile ou à la gratter. » Avant de faire partie d’une œuvre, les feuillets existent par l’écrit : « Je reste fidèle à l’écriture du matin sur ces feuillets. J’y consigne autant mes rêves que mes soucis ; tout le fonds humain. L’écriture est devenue un rituel : le matin il y a un dépôt de langage, puis j’empile les feuilles que j’introduis ensuite dans mes œuvres sans tenir compte de ce qu’il y a dessus. J’aime qu’il y ait eu de l’écrit, c’est tout. » Jean-Paul Marcheschi nous concède cependant qu’il « ne tient pas trop à les relire », et ajoute, « mais je fais le pari de vérité, je laisse tout, y compris des choses parfois obscènes, intimes. Malheureusement ou heureusement, qui veut les lire peut les lire. »
Actuellement, Jean-Paul Marcheschi présente Riverder le stelle, une exposition nourrie de La Divine Comédie de Dante au musée Fesch d’Ajaccio. Il a préparé cet événement pendant plus d’un an et s’est retrouvé bien tourmenté lorsque la grève de la Poste en Corse a bloqué toutes les invitations : « C’est comme si vous prépariez un dîner somptueux où personne ne vient. » Le dîner paraît effectivement alléchant lorsque l’on écoute l’artiste en parler : « J’aime particulièrement cette exposition, assez complexe, qui contient à la fois des œuvres solaires et d’autres nocturnes, des sculptures, des œuvres plus anciennes ; s’ajoutent des livres ouverts, des antiphonaires réalisés pour cette occasion. Ils sont présentés comme dans une bibliothèque, avec une lumière basse. Ils présentent des tableaux dont certains sont des études pour de grandes réalisations. Ca m’a permis de rattraper ce que je n’ai pas pu mettre sur les murs. J’ai ainsi pu investir d’autres régions. » L’exposition a pris ses marques dans le musée, mettant notamment en scène l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. « Les trois salles sont une création intégrale ; traiter le lieu comme un peintre traite un tableau est ce vers quoi je tends. J’aime l’idée de la peinture comme d’un endroit dans lequel on peut éventuellement s’endormir, vivre. Les lieux ne s’y prêtent pas toujours. » L’artiste habille en effet les salles de ces grandes fresques, y voyant une forte parenté avec l’installation. L’accrochage demande à lui seul beaucoup de minutie : « Ce sont des papiers de soie juxtaposés sur le mur. C’est très long et très délicat. Tout est numéroté et rangé dans de petites boîtes. Si je laissais tout monté, il me faudrait plusieurs hangars pour tout entreposer. »
Choisir Dante n’est pas un accident dans le parcours de Jean-Paul Marcheschi : « Dante fait presque partie de ma biographie, c’est ma langue maternelle, c’est un texte qui reste pris dans mon enfance. Ainsi, cette exposition n’est même pas une illustration de La Divine Comédie. Dante a eu de grands effets sur les différents arts ; ça m’intéressait de prendre position moi aussi. » Un colloque a d’ailleurs été organisé les 10 et 11 décembre autour de la question. « C’est une amie très proche qui a tout de suite pensé à organiser ce colloque international qui va amener des poètes, des critiques, des historiens, etc. On voulait aussi donner d’autres nouvelles de la Corse. »
L’artiste pense qu’il n’aurait pas pu faire cet événement autour de Dante il y a quinze ans, expliquant qu’il découle d’un certain nombre de choses réalisées au cours de ces années. Ainsi les Livres Rouges « qui se trouvent dans une bibliothèque jouxtant le musée. Ils viennent d’un projet de sculpture : un empilement de 250 livres contenant à eux tous 30 000 images. J’avais acheté une bibliothèque entière de livres vides que j’ai choisis comme support de ma peinture. Ils venaient recueillir des dessins sans aucune censure, aucun interdit. Il s’agissait de produire un volume de 30 000 peintures de ce format. D’où les feuillets. Les feuillets viennent d’une raison économique ; comme je savais qu’il y aurait une très grande dépense de papier, j’avais choisi le papier le moins cher. Voilà pourquoi j’ai des feuillets perforés. D’ailleurs, si maintenant je joue avec les trous, au départ je n’en tenais pas compte. » L’exposition présente aussi des œuvres plus anciennes, l’artiste explique : « Ca vient du fait que je voulais un ensemble de tableaux qui marquent l’entrée du feu dans mon travail mais qui contiennent encore de la peinture. Le Cercle rouge de 1984 est littéralement mon dernier coup de pinceau. Mais je ne le savais pas à l’époque. Je me considère encore comme complètement peintre. »
Jean-Paul Marcheschi travaille toujours sur les Livres Rouges. « Le nombre est atteint, mais il n’avait qu’une valeur stimulante. Comme j’adore travailler sur ces livres, je continue. Au fond, ce que je fais, c’est toujours des livres projetés. On retrouve toujours ce lien avec le livre. Parfois, un dessin pris dans ces volumes devient une réalisation de grand format. Ils sont un peu le laboratoire. » D’autant que les Livres Rouges permettent plus de liberté à l’artiste, notamment l’apport de couleurs : « Je m’autorise plus de choses dans les livres. Dans les grandes compositions, si la couleur vient, cela doit être de manière très sobre, unifiée. C’est une couleur qu’on ne voit pas tout de suite. »
A en croire Jean-Paul Marcheschi, on pourra encore se régaler longtemps de ses mets si chaleureusement préparés : « Mon pinceau est un flambeau et je ne changerai pas mon outil de si tôt. Je pense que plusieurs vies ne suffiront pas à l’épuiser et qu’il n’est tout simplement pas épuisable. Je crois que c’est un vrai langage. »
Propos recueillis par
L’exposition Riverder le stelle est présentée au musée Fesch à Ajaccio (2, rue Jérôme-Peri), jusqu’au 28 février 2000.