Après Warp, Active Suspension et Ya-Basta, le dernier volet du festival Mixmove 2000 fut consacrée à Kitty-Yo. L’occasion pour le label allemand de nous présenter Tarwater ; le groupe n’ayant pu assurer de live sur Paris à la sortie de leur dernier album, il y a quelques mois. Une occasion de revenir avec eux sur Animals, suns & atoms ; et de parler de l’état actuel de la scène électronique…
Chronic’art : Vos premiers morceaux sur Kitty-Yo datent de 96. A quand remonte la formation de Tarwater ?
Bernd Jestram : Nous avons toujours joué à deux, si l’on excepte quelques invités qui gravitent autour du groupe de temps à autre. La formation date de 1993 ou 94, je ne sais plus trop… Au départ, nous n’avions pas spécialement le projet de monter Tarwater, il s’agissait d’une simple envie de jouer ensemble.
Ronald Lippok : En parallèle des groupes de rock dans lesquels je tournais, je travaillais aussi sur Cubase, avec un Atari. C’est ce qui nous a amenés à faire quelque chose de bien plus électronique que nos précédentes productions…
Aviez-vous déjà joué ensemble dans d’autres groupes avant de vous retrouver tous les deux ?
Ronald Lippok : Au tout début des années 80, nous jouions dans un groupe de punk. Il était difficile de sortir un disque de ce style à l’époque, les labels ne s’y intéressaient plus autant qu’en 77 ou 78. On jouait simplement pour s’amuser.
Bernd Jestram : C’était du strictly underground ! Nous avons sorti quelques cassettes, à 50 ou 60 exemplaires. Des éditions limitées, dupliquées à la maison et distribuées à nos amis. Les pochettes étaient toutes dessinées à la main. Elles étaient assez réussies, le style était très « arty ». Faudrait que j’essaie d’en vendre dans un musée, je pourrais peut-être me faire un peu d’argent avec ça !
Hier, avant votre concert, un DJ a assuré un set très electro ; il a notamment mixé quelques morceaux de Depeche Mode ou de New Order… Quelles sont vos impressions envers le revival 80’s qui s’effectue depuis quelques années ?
Ronald Lippok : Celui-ci n’est pas plus ridicule que les autres. Au début 90, les gens se sont remis à écouter du rock 70’s ; puis ensuite de la pop des années 60. Aujourd’hui, la tendance est aux années 80. Ce n’est pas illogique, c’est la seule période qui n’avait pas encore été revisitée…
Bernd Jestram : Pour Tarwater, il nous arrive très souvent de nous inspirer de l’electro des années 80. C’est un courant musical qui a toujours fait partie de nous-mêmes. Mais Depeche Mode ou New Order nous intéressent peu. Nous sommes bien plus influencés par des groupes comme Throbbing Gristtle, Psychic T.V. ou Coil… Nous n’étions pas présents hier durant ce set de première partie. Si j’avais été là, je pense que je me serais ennuyé. Lorsqu’elles s’investissent totalement dans un courant de mode, certaines personnes ne se rendent pas compte qu’elles en font beaucoup trop…
Juste avant Kitty-Yo, il y a eu une soirée Warp au Mixmove. V.L.A.D. y a donné un concert. Son disque est très bon, mais nombreux dont ceux qui ont été déçues par sa prestation live. Il s’est contenté d’arriver sur scène et d’appuyer sur quelques boutons pour faire danser le public… Ne pensez-vous pas que la grande majorité des concerts de ce type manque de vie ?
Ronald Lippok : Ca dépend vraiment des situations… Peut-être que le but de V.L.A.D. était uniquement de faire danser son public. La plupart des gens réagissent mal face à un concert de musique électronique, car ils ont les mêmes attentes que lorsqu’ils vont voir un groupe de rock.
Bernd Jestram : Comme la plupart des groupes electro, nous avons d’abord commencé par du travail de studio. Après la sortie de notre premier album, il nous a fallu faire quelques concerts. Nos morceaux ont donc été retravaillés… C’est assez difficile de faire quelque chose de valable dans une telle situation. Certains groupes s’en tirent bien, d’autres non. Oval, par exemple, est un excellent groupe live.
Quels sont les artistes de musique électronique que vous prenez plaisir à écouter aujourd’hui ?
Ronald Lippok (après un long silence) : Il n’y en a pas tellement. En ce moment, j’écoute un peu de dub électronique minimaliste.
Bernd Jestram : Ronald a tendance à s’énerver lorsque j’écoute des disques d’electro un peu trop pop ! En fait, nous sommes plus portés vers l’expérimental ou l’ambient. Le côté mystique des musiques orientales et indiennes nous plaît énormément. Nous sommes attirés par tous ces schémas inhabituels à la musique occidentale, autant au niveau des constructions rythmiques que des gammes chromatiques…
Vous avez d’ailleurs introduit un instrument oriental dans Noon, l’un des morceaux de votre dernier album…
Ronald Lippok : Oui, mais ce n’était pas volontaire ! Nous venions juste d’acheter un nouveau quatre-pistes et j’avais besoin d’enregistrer quelques signaux sonores sur chacune des voies, afin de vérifier s’il fonctionnait correctement. J’ai donc pris le premier disque qui m’est tombé sous la main, c’était un album de musique orientale ; et j’ai enregistré plusieurs passages, au hasard… Quelques jours plus tard, nous avons enregistré Noon, en effaçant toutes les pistes, sauf une dont nous n’avions pas besoin. Une fois l’enregistrement terminé, nous l’avons écouté en ouvrant chacune des pistes ; et cette ligne de guitare orientale était toujours là… Nous ne nous en souvenions plus, c’était comme si elle était arrivée là par magie…
Bernd Jestram : La synchronisation est tellement bonne que j’ai encore du mal à y croire. On avait l’impression qu’un fantôme était venu dans le studio pour nous accompagner…
Dans Silur, il y avait beaucoup de « spoken words ». Animals, suns & atoms n’en comporte pas. Pourquoi ?
Bernd Jestram : L’envie de mettre des spoken words sur Silur nous est arrivée naturellement, mais l’idée n’a jamais été d’en faire le leitmotiv de l’album. Pour Animals, suns & atoms, je crois que nous ne nous sommes même pas posé la question : « Devons-nous mettre ou non des spoken words ? » L’idée ne nous a tout simplement pas traversé l’esprit et il aurait été stupide d’en mettre un ou deux, juste par principe.
Votre musique est cependant de plus en plus chantée ; pensez-vous que l’apport de vocaux est indispensable à l’évolution d’un groupe de musique électronique ?
Bernd Jestram : Non. Beaucoup d’artistes se débrouillent bien en se limitant uniquement à la musique instrumentale… Si nous avons toujours accordé une place privilégiée au chant ; c’est parce que cet élément a toujours été présent dans nos travaux, depuis les tout débuts. Lorsque la voix est perçue comme un instrument, elle peut être adaptée à tout style de musique. Il faut juste trouver comment l’utiliser au mieux… Il m’est souvent arrivé de travailler avec To Rococo Rot, nos techniques étaient nettement différentes de celles de Tarwater. La plupart du temps, nous n’avons pas jugé utile d’inclure de chant dans nos morceaux ; la musique était bien assez riche, les sons remplissaient l’espace et se suffisaient à eux-mêmes… Parfois, la voix humaine attire trop l’attention de l’auditeur et efface une certaine partie du potentiel des instrumentaux.
Les références littéraires étaient très présentes dans Silur : K. Dick, Cousteau, Huxley… A l’inverse, vous avez écrit vous-même tous les textes d’Animals, suns & atoms…
Ronald Lippok : La création de Silur ne s’est pas faite dans un seul studio, nous avons enregistré des bouts à droite, à gauche… Plusieurs personnes ont assisté à nos séances. L’idée d’en faire participer quelques-unes nous est donc venue. D’où la forte présence des spoken words dans cet album… A Chicago par exemple, nous avons demandé à une amie de parler sur l’un de nos instrumentaux. Un livre de Cousteau traînait sur une étagère, elle a alors choisi d’en lire un passage… Ca résume bien l’esprit de l’album. Silur était une sorte d’assemblage de plusieurs fragments, ayant constitué une période de notre vie.
Bernd Jestram : Pour Animals, suns & Atoms, nous avons réfléchi de la même manière, mais nous n’avons pas collecté le même type de matériaux. Le texte de The Trees a été écrit lorsque nous étions en Pologne. En regardant la télé dans notre chambre d’hôtel, nous sommes tombés sur un polar sous-titré en anglais. Les traductions étaient assez énigmatiques. J’ai donc pris de quoi noter et la plupart des paroles de cette chanson sont des citations du film. C’est pareil pour Seven ways to fake a perfect skin. A la base, le titre de cette chanson est un slogan de publicité pour une ligne de produits cosmétiques…
Ronald Lippok : C’est en fait les mêmes méthodes de travail. Mais nous avons eu le sentiment qu’en écrivant nos propres textes, le résultat serait bien plus personnel. Je ne sais pas si c’est vraiment le cas… Qu’est-ce que vous en pensez ?
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Animals, suns & atoms.
Le site de Kitty-Yo parle un peu de Tarwater ; voyez plutôt le site Listen.com qui propose des real audio et vidéo du groupe.