Compte-rendu quotidien de Wilfried Paris sur place à Rennes pour la 24e édition des Rencontres Trans Musicales (5-6-7 décembre 2002).
Arrivée à 13h15 à Rennes pour la nouvelle édition des Rencontres Trans Musicales, on se précipite aussitôt dans une sorte de vieille brasserie à 9 € la formule midi. Voilà une entrée en matière. Je suis avec mes amis de Rock’n’Folk. Le serveur me montre du doigt en disant : « C’est vous la côte de porc ? », je lui réponds : « Non, moi c’est le filet de saumon ». Nous décidons de ne pas boire l’eau municipale et nous parlons de Carla Bruni (très beau disque), de François Simon (chroniqueur gastronomique du Figaroscope que j’aimerais bien interviewer) et des Stooges, évidemment, car le Stooges Project est en ville ce soir, pour une reformation exceptionnelle, mais sans Igyy Pop. C’est Jay Mascis, ancien guitar-hero de Dinosaur Jr, qui a monté ce projet en réunissant deux des trois autres membres originels du fameux groupe de Détroit, accompagnés du toujours vert Mike Watt. On raconte qu’il est allé chercher Ron (guitare) et Scott (batterie) Asheton à Détroit, où les célèbres frangins dormaient dans leur voiture, pour leur proposer cette série de concert, avec Mike Watt à la basse et au chant. Le premier soir de la tournée, les deux frères auraient été tout étonnés, et ravis, de dormir pour une fois dans un lit propre. Dans la même journée, quelqu’un me dira ; « Il paraît que Scott Walker est devenu vendeur de pizza ». Et un autre me confiera que Dominic Sonic, rennais glam-punk qui eut son heure de gloire dans les années 80, aurait longtemps quant à lui fait le métier de concessionnaire automobile, pour payer son loyer. Voilà trois arguments pour faire une école de commerce et arrêter la guitare. Pourquoi parle-t-on de Dominique Sonic ? Parce qu’il s’est invité au concert des Stooges, ses vieilles idoles, pour interpréter I wanna be your dog avec eux sur scène. Les quatre rockers, quand on évoquera ce sujet en interview, demanderons à en savoir plus sur le bonhomme. Son titre de gloire local est d’avoir ouvert pour Iggy Pop il y a plusieurs années. Ca n’avait pas l’air de les rassurer.
J’ai trouvé un endroit où poser mes affaires dans la cité-dortoir pour étudiants rennais à Villejean et j’ai pris le métro rennais pour la première fois de ma vie. Et me suis fait contrôler par les contrôleurs rennais pour la première fois de ma vie. Aussi obtus que les parisiens : je n’avais pas composté mon billet (normal, il n’y avait aucune porte à franchir) et il m’ont mis à l’amende (23 €). J’avais beau leur mettre mon billet sous le nez, ces gens là ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, justement. En attendant, nous voilà dans l’espace presse du Liberté, là où se font les interviews. Une jeune fille en mini-jupe, bottes montantes et blouse d’infirmière ouverte, un stéthoscope autour du cou, déambule entre les sofas.
Est-ce une masseuse pour stars jet-lagés ou une attraction bobo pour journalistes parisiens ? En tout cas, à son passage, tous les mouvements se ralentissent, et les voix se font mourantes. D’autres jeunes gens tendent des bouquets de Chupa Chups aux passants ou des mini-maracas Heineken. C’est charmant. Bref, on se retrouve vite devant Ron Asheton (un peu gros, rougeaud et pas rasé), Scott Asheton (sorte d’indien stoïque, stoïcien, ou autiste), Mike Watt (bracelet à clous autour du poignet, yeux flous et moustache à la José Bové) et Jay Mascis (sorte de vieille femme sous tranquillisants, aux grosses lunettes). Mon collègue rennais Eric enclenche le minidisc en oubliant de brancher le micro. Cette rencontre ne sera immortalisée que par quelques photos prises par notre ami à tous Philippe Dumez. Et quelques souvenirs.
En vrac :
Jay Mascis : « J’aime bien The Osbourne sur MTV, parce que j’ai toujours adoré Ozzy. Mais si on me proposait la même chose, je crois que ma vie ne serait pas assez intéressante pour être filmée ».
Ron Asheton : « On n’a pas eu besoin de beaucoup répéter avec Jay, car il connaissait déjà toutes les parties de guitare des Stooges par coeur, et il pouvait les jouer bien mieux que je ne l’ai jamais su ».
Jay Mascis : « J’ai appris la guitare en jouant les morceaux des Stooges, c’est l’alphabet pour moi ».
Mike Watt : « Les mots punk ou anarchie ne veulent plus dire grand chose aujourd’hui. Ce sont devenus des termes commerciaux ».
Ron Asheton : « Je suis fier d’avoir inspiré les nouveaux groupes punk qui émergent aujourd’hui. Je n’en reviens pas que notre musique soit devenue mainstream et populaire. Je ne m’en suis rendu compte que récemment, quand j’ai vu une publicité à la télé qui utilisait TV eye en fond sonore ».
Mike Watt : « Le meilleur groupe punk français que je connaisse, c’est Metal Urbain » (il sera enchanté d’apprendre plus tard que le leader du groupe en question passe des disques ce soir entre les sets du Liberté).
Jay Mascis : « La meilleure reprise jamais faite des Stooges est celle de Loose par The Birthday Party ».
Ron Asheton : « J’ai eu Iggy au téléphone récemment. Je crois qu’il a entendu parler en bien de nos concerts avec Jay, et il voudrait qu’on enregistre à nouveau quelque chose ensemble. Je ne sais pas si ça va se faire, mais c’est sûr que l’on va se revoir bientôt ».
Voilà, l’interview est finie. On se remet lentement d’avoir rencontré trois mythes. En buvant ce délicieux punch réunionnais offert par le festival. Le végétarien Sean Aspergen des merveilleux Berg Sans Nipple, recrache dans son verre un bout du beignet à la viande qu’on lui a offert. Pierre le Ny est déjà un peu parti. Benoît Rousseau ne se rase plus et se laisse pousser les cheveux. Sa copine est retournée au Chili. Ceci explique peut-être cela. On va voir le premier concert des réunionnais à la salle de la Cité, en parlant de la suppression du Rock Presse Club sur Canal Jimmy, avec Vincent Hannon de Rock’n’Folk. Il y aurait un complot des décideurs médiatiques contre la génération Lescure-Manoeuvre que ça ne m’étonnerait pas.
Les réunionnais sont très bons : deux chanteuses, deux percussionnistes, le public en cinquième membre du groupe. Des harmonies vocales magnifiques, des rythmes très compliqués, le public qui tape dans ses mains, qui danse et qui chante. Voilà une musique qui sert de lien à la communauté, qui relie les gens dans un événement festif. Que du positif, comme en témoigne la surpuissante odeur de ganja qui s’échappe par grosses bouffées de la salle de la Cité. Mais il est déjà temps de rejoindre le Liberté pour aller voir les Stooges, le groupe parfait pour les petits blancs occidentaux et individualistes que nous sommes.
On reste un instant devant Milionnaire, dans cette immense salle clairsemée. Leur rock bourrin est indistinct, rebondit contre les murs en une masse bruyante informe. Cette salle a besoin d’être remplie pour avoir une acoustique convenable. C’est à peu près le cas quand débarque le Stooges Project. Les morceaux du band de Détroit semblent sonner comme à leur grande époque : un mur de rock lourd, brutal, hargneux, mais gonflé de lignes mélodiques intenses, qui font bondir les spectateurs des premiers rangs dans tous les sens. Certains vieux punks font des doigts au groupe, d’autres leur lancent des verres en plastiques. Quelques glaviots doivent voler. On n’avait pas vu ça depuis… depuis quand en fait ? En tout cas, Jay Mascis semble bien s’amuser (si l’on peut parler ainsi de quelqu’un d’aussi éternellement imperturbable que Jay Mascis), enchaînant les soli de guitare fous dans les intervalles instrumentaux, tandis que Mike Watt ne s’en tire pas mal du tout à la place de Iggy Pop au chant. Le tout donne quand même l’impression de voir un vieux groupe de reprise des Stooges, même si c’est joué avec bruit, fureur et sincérité. L’intensité retombe d’un cran quand Dominique Sonic débarque sur scène et fait son iguane sur No fun. Dès lors, l’anachronisme de cette scène est tristement lumineux. Tout le plaisir semble relever de la nostalgie, voire de la parodie, plus malsaine quand un jeune homme en noir imite les déhanchement d’Iggy Pop que quand les vieux briscards ne font ça que pour le fun, justement. Dominic Sonic se prend un truc en plastique sur la jambe et se retrouve un peu décontenancé. Finalement, il semble ne plus trop arriver à finir le morceau et s’en va poliment. Le final I wanna be your dog sera sagement apocalyptique. Anne m’appelle sur mon portable, je suis content de lui répondre sans rien dire, juste pour lui faire entendre un petit bout de ce moment sans doute unique dans ma vie.
Ensuite, nous verrons un peu de Calexico, accompagnés d’un groupe subtil de Mariachis, trop subtil pour l’acoustique du Liberté malheureusement. Mais l’énergie déployée ravit un groupe de jeunes filles à mes côtés qui danse ça comme de la salsa ou en faisant semblant de jouer des castagnettes. Le mélange des cultures, c’est une peu le crédo des Trans Musicales. Pendant ce temps, un jeune homme inquiet fait le guet devant les loges où se tient la conférence de presse du Stooges Project. Il me demande : « Il fait quoi Ron Asheton ? » Je lui réponds : « Il est en conférence de presse ». Il me dit : « Mais qu’est-ce qu’il a à leur dire ? Je veux le voir, moi. Ca fait 7 ans que j’attends ça ». Il a une collection de disques à faire signer, et dans ses yeux, il y a tout ce que les Stooges ont pu représenter pour certains. De la terreur et de la pitié. Les caractéristiques du sublime. A la fin de la conférence de presse, je dirige Ron Asheton vers son fan. Et il lui dédicace ses disques. C’était ma B.A. du jour.
Mais aujourd’hui est déjà demain.
Lire les comptes-rendus du 07.12.02 et du 08.12.02