Si les abstractions de François Morellet peuvent paraître obscures au néophyte, ce film les rend limpides. Si elles semblent ennuyeuses au premier regard, ce film leur rend leur ludisme. Dernier sorti d’une collection de vidéocassettes riche de 17 titres, le film consacré à François Morellet est une belle réussite. Le plaisir visible, que prennent Daniel Soutif -directeur du développement culturel du centre Georges-Pompidou- et l’artiste à discuter, se communique au spectateur.
L’entretien a lieu à Cholet, dans la maison de l’artiste. Celui-ci ouvre les portes de ses ateliers dans lesquels est exposée une partie de ses œuvres. Il explique, avec un certain humour, comment il s’invente les règles d’où vont naître ses créations, trésors de la géométrie et de l’arithmétique. L’intervention du créateur se trouve ainsi très contrainte. Il aspire à un minimum de décisions subjectives. Pour lui, « la super bonne règle est une règle qui n’est pas compliquée au départ et qui donne des résultats très différents, très riches, très étonnants. » Elle peut naître de la décomposition de pi (3,1415…), comme d’une suite de chiffres tirée du bottin.
Les systèmes que conçoit l’artiste sont comme des partitions sur lesquelles tout le monde peut jouer. Il travaille d’ailleurs à la réalisation d’un site Web qui permettra à chacun de créer un pi piquant ou un pi rococo selon que l’on décide d’une suite anguleuse ou arrondie. François Morellet fait réaliser ses propres projets par des assistants. Il démontre ainsi non seulement l’autonomie de ses systèmes par rapport à leur inventeur, mais aussi l’importance de la conception par rapport à la réalisation. Il rappelle alors que seuls les arts plastiques souffrent de cette obligation de la belle exécution, indiquant qu’un compositeur n’a pas besoin d’être virtuose et un architecte maçon. Allant jusqu’au bout de son raisonnement, il indique que ses règles sont tellement au point « qu’il n’y a aucune raison qu’un petit accident mortel puisse mettre fin au développement de tout ça ».
Des images d’archives viennent éclairer les propos de l’artiste et de Daniel Soutif sur les créations du Groupe de recherche d’art visuel, dont Morellet faisait partie dans les années 60. Déjà, le jeu semble bien présent ; les passants sont invités à participer à des interventions, les inventions se mettent en mouvement, créent des effets d’optique. Et lorsque l’on est convaincu que cet artiste reste décidément un joyeux joueur, certes talentueux, l’entretien rappelle qu’un certain nombre de façades ou d’espaces architecturaux sont habillés par ses suites arithmétiques -grâce aux néons, à la faïence ou à la peinture. L’œuvre prend alors une autre dimension, une dimension monumentale.
Ce film, réalisé par Camille Guichard, fait partie de la série Mémoire dans la collection Art contemporain éditée par la Réunion des Musées Nationaux. Elle regroupe huit entretiens entre un artiste -ou une galeriste, Denise René- et un critique. A ça s’ajoute les séries Portrait et Repères. La première présente des artistes tels que Richard Serra, Christian Boltanski ou Georg Baselitz ; la seconde ne comprend pour l’instant que deux titres : La Maison de Jean-Pierre Raynaud et Les Vitraux de Soulages. Chaque film prend le temps de présenter son sujet sans tomber dans le rébarbatif. A eux tous, ils constituent une belle collection de portraits de quelques grands acteurs de l’art contemporain. Parions que les plus réticents, encore persuadés que leur fils de cinq ans ferait aussi bien que nos artistes actuels, se mordront les doigts d’avoir prononcé de telles inepties après une petite cure devant leur téléviseur.
Vous pouvez retrouver François Morellet à travers une exposition du musée Zadkine jusqu’au 5 mars 2000 (100 bis, rue d’Assas – Paris 6e) et dans toutes les bonnes librairies, grâce à la publication de textes de l’artiste : Mais comment taire mes commentaires, dans la collection Ecrits d’artistes de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts.