La critique, plutôt âpre, du Jeanne d’Arc vous a fait réagir. Réponse du journaliste voué aux gémonies et menacé du bûcher par les hordes de fans de Besson.
Suite à mon papier sur le Jeanne d’Arc de Besson le mois dernier, un nombre plutôt impressionnant de mails me sont parvenus. Pas vraiment une surprise. Déjà à l’époque de Léon, quand j’écrivais que le film était « un polar pédophile », de gentils lecteurs demandaient ma tête au rédacteur en chef. Pour Jeanne d’Arc, on me qualifie de pas mal de noms d’oiseaux, on me menace du bûcher, ça va chauffer, c’est sûr… En gros, je ne suis pas un critique, je ne suis qu’un envieux qui n’a pas le talent de Besson, un nul qui ne peut que cracher son venin et salir un grand homme, une raclure anti-France. Voilà.
Reprenons. Vous aimez le film de Luc Besson : vous avez raison. Je n’aime pas le film de Luc Besson : j’ai EGALEMENT raison. Eh oui, l’art est subjectif et nous réagissons tous différemment devant une œuvre d’art, un livre, un film. C’est bien et c’est normal. Vous avez vu une grande fresque épique, une interprétation flamboyante, une mise en scène inspirée. Oui. Malheureusement, je n’ai vu qu’une grosse BD mal foutue, ou comme l’a dit justement le critique de Positif, les « aventures de Lara Croft au Moyen Age ». Je l’ai écrit et, bille en tête, j’ai « dénoncé » le système Besson qui envisage le critique comme un rouage d’un plan média magnifiquement élaboré. Que penser d’un homme qui refuse de faire voir son film à la presse pour échapper aux mauvais papiers. Ne percevez-vous pas le mépris de Besson pour les critiques et donc pour vous public ? Le critique n’est qu’un « passeur » comme le disait Serge Daney. Grâce à son importance au sein de l’industrie cinématographique française, Besson, lui, nie sa fonction en lui confisquant son œuvre, et « s’achète » la presse à grands coups d’exclusivité (couvertures, photos exclusives pour les magazines amis et interviews dans des émissions ciblées comme le 20 heures ou chez Pivot). Et si vous vouliez un avis critique, pas grand chose, juste une opinion, un petit article avant d’aller voir le film en salles contre la somme modique de 50 balles ? Cela vous est refusé. Besson, on y va les yeux fermés, comme à la messe. On ne réfléchit surtout pas, non, non, on casque et on aime, attention, car sinon, on veut la mort du cinéma français et autres conneries. D’ailleurs, les critiques sont des salauds et ne font rien que démolir le Saint Homme ; ce ne sont que des méchants alors que les films sont de « gentils objets ».
Deux trois choses maintenant sur le système Besson. A Télérama, le distributeur a expressément demandé (exigé) de différer la critique du film (si elle était mauvaise) une semaine après la sortie. Besson est sûrement pour la liberté de la presse, surtout si elle se contente de faire du publi-rédactionnel. Et il faut dire que ça a carburé à plein rendement. Deux couvertures chez Première, celle de L’Express, des bons papiers dans Libé et Le Monde (où Frodon nous dit que Besson est un auteur important, on croit rêver…), une couverture médiatique sans précédent avec en plus l’idée que Besson est le seul qui puisse maintenant lutter contre l’envahisseur yankee (je voudrais bien savoir en quoi Jeanne d’Arc est spécifiquement français ?). Vu la position dominante de Besson, comment se fâcher avec le maître qui vous refusera tout (interview, photos, couvertures) sur son prochain film ? De plus, on le sait, Besson fait vendre du papier. Une couv Jovovich, c’est un carton assuré dans les kiosques. Alors la presse affiche et tartine Besson, essaie d’opposer Jeanne d’Arc et Star wars et se met le large public de Besson dans la poche. Un choix de cinéphile ou de financier ? A votre avis ?
Avec ma critique, je voulais donner une opinion, la MIENNE, sur une œuvre qui me semble être aussi puérile qu’inutile. Si Besson fait tout pour limiter les critiques négatives, il a raison (business oblige), mais vous, ne me niez pas ce droit à la critique et à la différence. Dois-je obligatoirement avoir le même avis que vous (« chef-d’œuvre », « excellent », j’en passe et des meilleures), doit-on nécessairement faire de la réclame comme Nagui à NPA (« Besson est le plus grand réalisateur français et sûrement le plus grand du monde ») ? Je suis dubitatif, mais ce n’est pas grave, vraiment… Plus gênant : l’espèce de discours limite fascisant sur « l’intelligentsia » que je retrouve dans un mail sur deux. Alors, je serais un intellectuel (ça sonne comme un gros mot et ça évoque malheureusement Göering) et je n’aime que les « films français avec des plans fixes de 15 minutes, les silences qui vont avec et les histoires pas sordides du tout de mecs qui s’enculent à l’arrière d’un train pendant que tous les amants pédés du défunt pleurent sur sa tombe ». Comme pour Nagui (« Ne croyez pas les intellectuels, l’intelligentsia, allez voir le film », dans sa bouche, ça sonne comme un gros mot), être un intellectuel est une tare.
Maintenant, si je vous dis que mon film français préféré de l’année n’est pas Jeanne d’Arc mais L’Humanité, je suis bon pour le camp ou le bûcher ? Même si j’admire le film de Dumont, je peux aimer également apprécier des œuvres aussi différentes que le Lynch, le Kitano ou Sixième sens (sortie le 5 janvier 2000) avec Bruce Willis, un film formidable, à la fois grand public ET exigeant. Tout ce que Jeanne d’Arc n’est pas. Car je persiste et je signe : Jeanne d’Arc est une toute petite chose, du sous-Disney, 2h40 de vide. Pas vraiment un film qui restera dans l’histoire du cinéma. Du pur Besson quoi…
Pour conclure, un petit mot sur le conflit (de salon, rassurez-vous) qui oppose critiques et cinéastes. La démarche de Besson a dû inspirer quelques réalisateurs français (un monde sans journalistes, le rêve) qui ont pondu un texte débile et vain où l’on règle des comptes (on croit reconnaître la grosse papatte de Tavernier) et où l’on propose une seule chose : publier les critiques négatives APRES la sortie du film. Comme Besson dites donc. Les grands esprits se rencontrent… On vit décidément une époque formidable !
Lire notre critique de Jeanne d’Arc de Luc Besson