Profitons de la belle exposition présentée jusqu’au 20 juin 1999 à la Bibliothèque Nationale de France (site François Mitterrand) pour retracer brièvement le parcours de ce couple célèbre, emblématique d’un théâtre (et dans une moindre mesure, d’un cinéma) « d’auteurs ».
Lorsque le jeune Jean-Louis Barrault, touche-à-tout enthousiaste, rencontre Madeleine Renaud, en 1936, sur le tournage d’Hélène, Madeleine (de 10 ans son aînée) est déjà Sociétaire de la Comédie-Française et poursuit brillamment un parcours très classique. Jean-Louis Barrault, de son côté, intéressé d’abord par la peinture, se passionne pour la scène et ses différentes expressions : le jeu du comédien, l’expression corporelle, le théâtre de subversion et expérimental… avec de grands novateurs comme Charles Dullin, Etienne Decroux ou Antonin Artaud. La rencontre de Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault est celle de deux formations, de deux univers qui ne cesseront de s’alimenter l’un l’autre.
En 1940, Barrault entre à son tour à la Comédie-Française (Jacques Copeau en est alors l’administrateur). Il y mettra en scène et jouera de grands auteurs du répertoire (Corneille, Racine, Shakespeare…) mais aussi des contemporains (Obey, Montherlant, Mauriac). C’est dans la maison de Molière qu’il abordera la première fois un auteur avec lequel il collaborera étroitement par la suite : Claudel, dont il crée en 1943 Le Soulier de satin ; année où il devient Sociétaire.
C’est après ce passage par la Comédie-Française -que les deux artistes quittent en même temps, en 1946- que commence la véritable aventure commune : la Compagnie Renaud-Barrault naît et s’installe dans son premier théâtre, le théâtre Marigny (où elle restera jusqu’en 1956). Parmi les fidèles comédiens de la Compagnie, citons Pierre Bertin (qui vient de quitter lui aussi la Comédie-Française), Simone Valère, Jean Dessailly, Marie-Hélène Dasté, Jean-Pierre Granval…
Le couple installera sa compagnie successivement dans pas moins de huit théâtres -dont des lieux qui à l’origine n’avaient pas forcément cet emploi comme l’Elysée Montmartre ou la Gare d’Orsay. Le dernier en date sera le théâtre du Rond-Point, de 1981 à 1991.
Dans ses Réflexions sur le théâtre, Jean-Louis Barrault parle de la compagnie comme d’un groupe animé par un esprit de communion, dont la devise pourrait être : « Sur l’homme, par l’homme, pour l’homme ». Le théâtre est un moyen de rapprocher les hommes et de les comprendre. C’est du moins la mission que Barrault a toujours tentée de réaliser.
Au sein de la compagnie, Barrault s’attache à mettre en scène une grande quantité de textes « neufs » ; il disait lui-même que son but était de monter « 50% d’auteurs nouveaux, 25% de recréation d’auteurs contemporains, 25% de classiques ». Il a ainsi aidé à la reconnaissance d’auteurs comme Jean Anouilh, Georges Schéhadé, Jean Vauthier, Jean Genet, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Samuel Beckett, Eugène Ionesco ou François Billetdoux. Et bien sûr Claudel.
D’une manière remarquable, tout en vivant leur passion de théâtre au sein de la même compagnie, Barrault et Renaud se dessinent chacun un chemin légèrement différent. Tout d’abord Barrault met en scène, ce que ne fait pas Renaud. De plus, on peut remarquer dans leur parcours une affirmation des tendances de « jeunesse » (schématiquement : le mélange des arts pour Barrault et l’exploration toujours plus profonde des sentiments humains pour Renaud). Barrault mêle diverses activités : metteur en scène de théâtre mais aussi d’opéra (Wozzeck de Berg par exemple), adaptateur d’œuvres romanesques pour la scène (de Kafka, Rabelais…), mime (le spectacle de pantomime « Baptiste » est joué en 1946, un an après Les Enfants du paradis de Marcel Carné), d’enseignant. Il ouvre son théâtre à la musique avec les concerts du « domaine musical », dont Boulez est un des participants fidèles ; et aux arts plastiques en accordant une large place à des peintres devenus décorateurs ou costumiers : André Masson, Félix Labisse, Lucien Coutaud…
Madeleine Renaud quant à elle deviendra l’inspiratrice et la comédienne privilégiée de quelques auteurs parmi les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle : Marguerite Duras (Des Journées entières dans les arbres, L’Amante anglaise, Savannah Bay, L’Eden cinema), Nathalie Sarraute (Le Silence et le mensonge, C’est beau), ou Samuel Beckett (Va et vient, Comédie, Oh les beaux jours) par exemple.
Parallèlement, les deux comédiens se sont illustrés au cinéma, même si leur carrière (dans le nombre d’œuvres, l’engagement et la qualité artistique) a manifestement toujours été placée en priorité sous le signe du théâtre. Jean-Louis Barrault, au cinéma, est surtout associé aux noms de Marcel Carné (Jenny, Drôle de drame et Les Enfants du paradis), Marc Allégret (Sous les yeux d’Occident …), Christian Jaque (La Symphonie fantastique…) ou Renoir (Le Testament du docteur Cordelier).
Madeleine Renaud a essentiellement joué dans les films de Jean Grémillon (L’Etrange Monsieur Victor, Remorques, Lumière d’été, Le Ciel est à vous). Elle a également marqué très fortement de sa présence Le Plaisir de Max Ophuls.
A travers leur expérience de comédiens et de compagnons de route importants du théâtre du XXe siècle, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault resteront indissociablement liés dans l’esprit des amoureux du théâtre. C’est à l’extraordinaire activité multiple de ces deux figures mythiques que l’exposition de la Bibliothèque François Mitterrand rend hommage.
Lire notre critique de l’exposition
Pour en savoir plus, vous pouvez lire (entre autres !) le livre que Paul-Louis Mignon vient de consacrer à Jean-Louis Barrault : Jean-Louis Barrault, le théâtre total aux éditions du Rocher (365 pages, 145 F).
Le livre catalogue de l’exposition : Renaud-Barrault, est paru aux éditions Bibliothèque Nationale de France (Diffusion Seuil, 172 pages, 250 F).