Rencontre avec Tue-Loup, sous forme de bilan, neuf mois après la sortie de leur album transcendant « La Bancale »…
En détournant (honteusement) la théorie de Greil Marcus pour la restreindre à nos vies, osera-t-on ici dire qu’il y a un siècle Oscar Wilde a émis un aphorisme sur nos albums indispensables et en l’occurrence sur celui de Tue-Loup : « la musique fait remonter en nous des tristesses qui furent soustraites à nos larmes » ? A la sortie de La bancale, tout a été fulgurant : presse dithyrambique, 70 dates, 10 000 albums vendus… Voilà pour le côté business. Mais égoïstement, on pense sans arrêt à ce son qui nous avait emporté, cette incroyable fièvre, et la maturité d’un album enregistré en prise directe et en cinq jours. Tue-Loup a réellement créé une sensation en avril dernier… Et depuis il tourne sans relâche. « On est en fin de tournée, un peu fatigué, dès qu’on peut de toutes façons on retourne chez nous ». Chez eux… Venu d’un coin de la Sarthe, Tue-Loup est né dans les champs, ce qui a bien sûr incité la presse à estampiller La Bancale du qualificatif très con de rock rural : « Je m’en fous » soupire Xavier, le chanteur, « qu’es-ce que tu veux répondre de toute façon ? On nous demande d’où on vient et on répond. Voilà. » Thierry, guitariste ajoute : « On a enregistré La bancale à la ferme et c’est ce qu’on voulait. Comme le premier et le prochain » !
Tue-Loup se fiche bien de tout ça, les cinq parlent de tout, de rien, absorbent, débattent, et surtout déconnent. Rien n’est surfait, tout est sain… Ce qui peut paraître étonnant pour qui se délecte encore du poison distillé de La Bancale : « Les textes sont un peu trop loin de moi aujourd’hui… Ils sont un peu tous autobiographiques et ne sont plus en phase avec la personne que je suis maintenant. C’était un exutoire et je ne sais plus trop quoi en dire » avance pudiquement Xavier. N’empêche : les poèmes au scalpel de Tue Loup sont le fait d’un auteur qui « n’écrit pas sur papier » et garde tout en mémoire. On s’étonne alors : « je sens bien que ça soit doit être très grisant de passer à l’acte d’écrire, mais je suis très attaché à l’idée de rester en phase avec les gens autour de moi, et en ce moment je veux rester disponible pour eux ». Tout mûrit donc avant que cela ne sorte ; on comprend mieux alors que l’aboutissement des morceaux de Tue Loup est la conséquence d’une introspection collective à tous les niveaux qui donnent, le mot et la note justes et essentiels. Mais également ce son fabuleux, riche, chatoyant qui en a magnétisé plus d’un… « On voulait se rapprocher le plus possible du son qu’on avait lorsqu’on jouait : on était tous à peu près en cercle, une table au milieu, on ne jouait pas à fond, et même si le chant était parfois inaudible on arrivait à tout cerner. On écoutait beaucoup Spain aussi » Il faut savoir que le son chez Tue -Loup est un membre à part entière du groupe (Robin), dans le contrat signé chez Pias. Un signe de cohésion de plus. « Le son Tue -Loup est aussi né avec le morceau En rasant les murs, à l’époque on était tous un peu haineux, ça n’allait pas bien et je me souviens qu’on la jouait sans arrêt, c’était une ambiance très dure et renfrognée. Chacun dans son coin jusqu’à l’épuisement ». Le temps est passé depuis mais pas aussi vite qu’on pourrait le penser selon Stéphane le bassiste : « Ca nous a semblé long : entre la fin de l’enregistrement de La bancale et sa sortie, il s’est écoulé quatre mois entre la signature, les discussions… On ne connaissait rien du truc, il a fallu voir des avocats, on ne savait pas où on mettait les pieds. Du coup, on a composé pendant cette période 75 % du prochain album. »
Un album très attendu qui devrait sortir cet été : « La pression pour le prochain ? Carrément pas » rigole Thierry, « on aime bien ce qu’on fait mais on peut arrêter et retourner faire des disques tirés à 1000 exemplaires en souscription. Pour le moment on vit mal de Tue-Loup mais il est hors de question de faire des concessions ». Une anecdote au passage : Tue Loup, à la demande de leur maison de disque, a récemment donné un concert à Bruxelles à l’occasion de l’anniversaire de Pias Belgique (la maison mère), trop content d’accueillir les petits derniers de l’écurie. Seulement le groupe s’est refusé à jouer un seul morceau de La bancale en préférant leurs nouvelles créations au grand dam de Pias France. Miossec qui passait après eux a d’ailleurs enfoncé le clou. Tue-Loup ne voulait pas cracher dans la soupe(il faut voir le groupe savourer de façon très simple ce qui lui arrive) mais délimiter son périmètre de liberté. « On a toujours voulu garder notre qualité de vie. Il ne faut pas oublier que ça ne fait que huit mois qu’on tourne, on ne cherche pas la célébrité. Si on est à part, c’est alors comme peuvent l’être les Little Rabbits ou Sloy, et ça fonctionne comme ça. On est heureux. »
Par moment, ce qui interpelle c’est que Tue Loup, groupe à l’album majeur et si déterminé, ne réalise pas ce qui lui arrive : « On n’est pas déçu par le public qui vient nous voir, surpris qu’il vienne oui mais déçus non ». L’explication vient peut-être du fait qu’on a affaire ici à des types lucides et adorables qui ne se prennent pas la tête: « C’est le bonheur ! Voir plein de groupes gratuitement, boire des coups » dit Thierry, avec acquiescement général. En ce moment, tournent dans le bus qui les balade en France, Elliott Smith, Polar et Calexico. « Polar nous a invités en Suisse dans le cadre d’un festival organisé chaque année. Son album est une merveille… la voix… la production, sur scène ça vaut le détour mais surtout ce type est d’une gentillesse incroyable. » Et c’est réciproque : on se sent en bonne intelligence avec Tue-Loup.