Œuvre de forçat, Le Dictionnaire encyclopédique du Théâtre ressort en édition augmentée. Rencontre avec celui qui a orchestré ce fascinant ouvrage.


Chronic’art : Lorsque l’on aborde ce type d’ouvrage, on est souvent fasciné par la méthode de ceux qui l’ont élaboré. Quelle fut-elle ?

Michel Corvin : Le déclic initial est venu parce qu’il s’agit d’une commande. Il n’existait pas de dictionnaire de ce type sur le théâtre. C’est un ouvrage de vulgarisation. Une fois l’éditeur trouvé, il fallait se mettre d’accord sur ce qu’on pouvait faire. Et avec qui, donc des collaborateurs. Ils sont plus de deux cents pour cet ouvrage. Avec toutes les contraintes que cela suppose. Mon ambition était de couvrir tous les aspects de cet art : parler des auteurs, des théoriciens, de la réalisation scénique, et bien sûr des comédiens. Cette version comporte 3 millions de signes. Si on voulait être sérieux, il en faudrait le double. On est obligé de choisir, notamment parmi les artistes les plus proches de nous dans le temps.

D’autres contraintes ?

Je me suis imposé de parler des gens qui avaient au moins vingt ans de métier. De façon à ne pas les canoniser trop tôt. On est ici à mi-chemin entre le cadre historique et une pensée sur le théâtre. Voilà pourquoi le théâtre de boulevard n’est pas très présent. Il y a une direction donnée. Elle s’est opérée par la sélection esthétique. C’est forcément subjectif, mais il y a des noms que je ne voulais pas voir figurer dans un tel livre. Ça fait cinquante ans que je vais au théâtre. Je suis assez sceptique. Je me laisse pas facilement emballé.

Et pour les auteurs ?

Sont rentrés dans la nomenclature des écrivains étrangers, parce qu’ils étaient absents dans les précédentes éditions. Et pour celle-ci, j’ai trouvé les collaborateurs compétents pour en parler.

De quoi souffre le théâtre ? A part de bêtise et de paresse ?

Il y a un peu des deux, c’est vrai. Ce qui me gêne le plus, c’est la routine : celle des gestes, celle de la parole. De même pour les décors. Si j’aime quelque chose, c’est vraiment les comédiens. Je suis donc sévère avec eux. C’est le jeu qui me séduit le plus. Quand un comédien entre dans mon champ de vision, l’émerveillement se produit. Il faut bien reconnaître que je suis rarement étonné. Or, très souvent, les textes sont massacrés. Ce qui est d’autant plus regrettable qu’on ne peut remplir aujourd’hui les salles qu’avec les classiques. Par exemple, on a beaucoup parlé du Phèdre monté par Bondy à l’Odéon. On ne peut pas dire que Bondy soit mauvais, mais ce qu’il a fait n’est pas bon non plus, parce qu’il y a des manques, et que l’on entend pas toujours le texte. Or, le théâtre c’est un tout.

Vous croyez au spectacle total ?

C’est une vieille lutte. A l’époque où j’ai commencé à voir des spectacles, je devais être moins critique. Certaines pièces montées par Bob Wilson se sont approchées de cela, comme Einstein on the Beach. Tout en ayant une façon très particulière de traiter le comédien.

Quelles seraient les nouvelles perspectives de ce dictionnaire ?

Il faudrait accorder plus de place au théâtre des provinces françaises. Il ont ici une part insignifiante. C’est un peu trop parisien. Et puis obtenir les moyens nécessaires pour parler de nombreux autres pays étrangers. L’Argentine par exemple. Ou l’Australie. Sans oublier qu’il existe un risque pour l’éditeur aussi, commercialement. Donc suivre l’actualité. Avoir un rôle d’incitateur, avoir une mesure d’avance, ce qui nécessite des relais. Or, c’est trop peu gratifiant dans ce genre de travail. Passer quinze jours sur un article pour recueillir trois clopinettes, finalement, ça intéresse peu de monde.

Propos recueillis par

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