Ils sont plutôt nombreux ceux qui s’arrangent avec l’idée que les derniers films d’un cinéaste comme Ozu sont tous les mêmes : ça les dispense de répondre à une œuvre exigeante, dont chaque volet, pour peu que l’on se donne la peine de le comprendre, appelle notre attention sur les enjeux qui lui sont propres et que seuls les plus distraits s’empressent de joindre en un tout (tel le bourgeois confronté aux variations de Cézanne sur la montagne Sainte-Victoire). Ce petit préambule, s’il devait faire l’objet d’un raisonnement inverse, nous amènerait tout naturellement à parler de Woody Allen. La raison en serait que, depuis quelques années, le cinéaste new-yorkais s’essouffle et radote à mesure qu’il cherche désespérément à se renouveler ; s’il a longtemps su « se répéter avec inspiration », il tombe aujourd’hui dans la redite pure et simple : il se plagie. Concrètement, si des films comme Annie Hall et Manhattan, aux scénarios quasi identiques, n’avaient au bout du compte que peu de choses en commun (l’un cédant au rire ce que l’autre réservait à la mélancolie), la tendance actuelle du cinéma de Woody Allen cherche au contraire à travers de « nouvelles vitrines » (comédie musicale, documentaire, et aujourd’hui fiction-biographie) à faire étalage des mêmes facilités. Que l’on peut résumer pour l’essentiel en une tendance notable à la misogynie, à la fascination exagérée pour les affres du génie créateur et à de vieux effets comiques préécrits qui surgissent dès que le spectateur menace de piquer du nez.
Aujourd’hui, Woody Allen sort un film conçu autour de la biographie d’Emmet Ray -un guitariste de légende qui n’a jamais existé- alternant fiction et faux témoignages filmés avec une frontalité documentaire, pour être sûr de prendre le public à son canular. A partir de là, on pourrait soutenir que l’idée est originale, que le personnage d’Emmet Ray permet à Woody Allen de rendre un hommage indirect au guitariste Django Reinhardt et d’explorer l’envoûtant milieu jazz des années trente, etc. Eh bien non. Ce serait rentrer dans le jeu, celui consistant à parler du « nouveau Woody Allen ». Alors que ce qui prévaut dans le film, ce qui va drainer une fois de plus des foules hagardes dans les salles UGC, c’est encore la même recette, celle d’un cinéma de la caricature systématique et de l’anecdote, celle de ce bon vieux Woody sur le déclin. Si toutefois vous décidez d’aller voir Accords et désaccords, vous y verrez comme convenu : des femmes divisées selon des catégories subtiles (la coquine, la timide, la vénale) et qui s’avèrent toutes un peu salopes à leur manière ; des artistes géniaux, mégalos, torturés, drôles, coureurs de jupons (bref, des duplicatas de leur créateur) ; une histoire enfin qui repose en équilibre sur quelques répliques salaces et trois ou quatre grivoiseries, et qui n’est en fait que la mise en images littérale d’un scénario qui se suffit à lui-même. Le dossier de presse a beau être assorti gracieusement d’un CD d’une trentaine de standards jazz, nous maintenons que le dernier Woody Allen ne présente aucun intérêt.