Bien avant que la population réticulaire atteigne péniblement le million en France, les rayons étiquettés « presse informatique » accueillaient déjà un nouveau type de canards totalement dédiés à… l’Internet. Pratique, didactique ou techno, les rejetons papiers de la toile se multiplient. Les échecs aussi ! Dernier en date : « Planète Internet » qui suspend (momentanément ?) sa parution. Entre-temps, le concept et la philosophie du réseau déteignent doucement mais sûrement dans tous les secteurs. Tout est… cyber ! Certains ne jurent plus que par lui, alléguant une nouvelle culture et un état d’esprit. Pour d’autres, tout ça relève carrément de la frivolité. Néanmoins, voici un beau prétexte à la mise en branle de magazines ambitieux, dont « Wired » aux States et « Interactif » en France font certainement figure de références. Ou plutôt, d’exemples à suivre (« Air » et « Crash »). En attendant, qu’elle soit spécialisée Internet ou cyber-généraliste, cette presse-là est encore nichée entre « Joystick » et « PC Mag ». Pas finauds les kiosquiers !
Combien sont-ils dans l’hexagone à parier fin 94 sur l’avenir du réseau mondial ? Mais combien sont-ils également en France à lire et jalouser Wired, qui outre-Atlantique relève indéniablement, depuis son lancement en 1993, du carton médiatique. Les technocrates et cyber-activistes américains pullulent. R.U. Sirius et son contre-culturel Mondo 2000 (tendance techno hippies = zippies), confirment l’adhésion du public US à cette mouvance fin de siècle. Aux côtés des canards spécialisés Internet, c’est toute une religion, anticipée par la SF cyberpunk du début des 80’s (Gibson, Sterling), qui émerge. Pour les uns, l’e-business est le meilleur moyen de devenir rapidement milliardaire (dans la lignée de Gates et consorts), pour d’autres, le cyberespace est un formidable territoire virtuel de liberté individuelle et de résistance à Big Brother (John Perry Barlow). Étant entendu pour tous que « le PC, c’est le LSD des 90’s » (Leary, Burroughs) !
Pendant ce temps-là, chez nous, sauf pour les scientifiques et quelques intellos d’avant-garde, l’hypertexte est encore un concept totalement obscur. L’heure est au vidéotex et à l’éclate télématique. Apparaît pourtant en kiosque, en décembre 94, Internet Reporter…
Premières expériences
Dans un premier temps encarté, pour test, à l’intérieur du défunt CD Média, Internet Reporter devient en mai 95 un magazine à part entière, totalement dédié au Net. On y brasse tous les sujets, du dernier logiciel IRC en vogue aux techno-mouvances underground, en passant par l’intelligence économique. Large ! Mais hautement respectable dans le traitement
Entre-temps, Ariel Wizman convainc Pressimage (Gen 4, Univers Mac, PC Fun…) et concrétise sa dernière lubie : Univers Interactif sort dans les kiosques en février 95. Le magazine opte pour une approche résolument sociétale et techno-branchée. En bref, un croisement fûté de Wired et Nova Mag. Bon accueil, mais personne n’avait alors imaginé un lectorat si faiblard. La parution d’Interactifn’est pas toujours régulière, son contenu est inégal. Les premiers numéros fourmillent d’articles passionnants et intelligents, mais sur la durée, le journal s’essouffle : le lectorat ne suit plus les élucubrations du rédac’chef…
Juin 95, Planète Internet débarque, suivi par Netsurf en novembre. Ils adoptent tout deux une approche pratique et didactique du réseau pour s’adresser directement à l’utilisateur. Beaucoup de sujets pour l’entreprise, rapport à l’intranet qui prend bien. Une tendance confirmée par l’apparition de revues professionnelles vendues uniquement sur abonnement (Internet Professionnel, Webmaster – ce dernier, excellent du reste, ayant fait une très succincte apparition en kiosque). Mais revenons au « grand public ». Car c’est à lui qu’ambitionnent de s’adresser Planète et Netsurf qui rentrent, de fait, en concurrence directe et frontale.
Des Français hermétiques
Planète fait de temps à autre dans le cyberculturel et l’infowar (guerre de l’information, sécurité, intelligence économique). Les réflexions et informations relatives à la cryptographie et à la protection du « netoyen » (netizen) en général, sont régulièrement relatées dans les pages du canard. Jérôme Thorel, le rédacteur en chef, en fait son cheval de bataille.
A l’image de son CD-Rom proposé avec chaque numéro, Netsurf, lui, s’obstine plutôt à privilégier le concret et la pratique, s’interdisant de flirter avec la mouvance technoïde : « Tout ce qui est cyber est condamné à mourir, c’est une vaste fumisterie ! » affirme Christophe Dubuit, rédacteur en chef. « On ne peut décemment pas faire vivre un magazine avec seulement quelques milliers de lecteurs parisiens. » Et de constater que « les français sont comme ça, hermétiques au sujet ».
La preuve en été 96, période bien sombre pour la presse Internet française. Deux cadavres : Internet Reporter et Interactif. Et un mort-né : Cyberculture, honteusement calqué sur Wired (jusqu’à la chronique de Négroponte qui clôt la revue !). Un été meurtrier donc. Et une certitude : la France n’a absolument pas saisit la révolution digitale en cours ! Reporter, version Digipresse, verra le jour une seconde fois en juin 97… pour trois mois seulement ! « Je pense qu’il n’y a pas de culture cyber dans ce pays ou que ça reste très marginal », regrette Patrick Robin, ex-directeur de la publication d’Internet Reporter première version, qui se consacre pleinement aujourd’hui à sa société ImagiNet. « Plus l’Internet se développe, plus la notion d’appartenance à une communauté de cyber-pionniers disparaît… ».
Un peu plus tard, L’Oeil du Web expérimente le techno-people… l’essai tourne court. Pour cause, le Web en regorge !
Informatique, quand tu nous tiens
Non vraiment, le filon porteur, c’est ce qu’a entrepris de faire Netsurf, qui vient d’affiner le concept dans sa dernière mouture : en octobre 97, la revue compte 130 pages et la diffusion atteint aujourd’hui les 25 000 exemplaires !
C’est un fait, un malheur même, l’Internet reste en France assimilé à l’informatique. Philosophie et culture de réseau sont totalement ignorés.
Pas bêtes, les poids lourds de la presse micros se jettent en masse sur le créneau qui rapporte. Mais là où Netsurf a su rester digne et respectable, ses mauvais clones ne font pas du tout dans la dentelle. A l’image de cet infâme .Net (resucée de la version anglaise éponyme de Future Publishing), débarqué en fanfare en novembre 96. Couvertures racoleuses, contenu facile et styles affligeants tout droit venus de… la presse informatique ! Ca se tient. Passons sur les autres, aucun intérêt.
Une chose est certaine, il n’y aura pas de place pour tout le monde. Et c’est Planète Internet, probablement le plus intéressant de la catégorie, qui fait les frais de ce triste foisonnement. Hachette décide d’interrompre la parution du magazine. Définitivement ? Patrick Robin analyse la situation : « Le rythme d’un mensuel n’est pas adapté à la richesse et à la rapidité d’évolution de l’Internet. Tout ce que l’on peut écrire dans un magazine se trouve déjà sur le réseau ! » Pas faux. Et les quotidiens en profitent, chacun proposant son cahier multimédia hebdomadaire. On trouve de tout, le meilleur (Libé, le vendredi), comme le moins bon (Le Monde, le week-end).
Vive les cyber-insatiables
Alors, la révolution cyberculturelle aura-t-elle oui ou non un jour les faveurs de la populace ? Sûrement.
Pourtant… il semble qu’aux Etats-Unis, le phénomène Wired s’estompe quelque peu. La rédaction pète les plombs et (se)cherche une nouvelle ligne éditoriale. Le techno-positivisme gave (voir à ce propos le navrant éditorial de Louis Rosseto -pas navré, lui-, dans le dernier numéro). Outre-Manche, l’édition britannique a même cessé sa parution.
En France, la sauce prend. 1997 a esquissé 1998, sans aucun doute une année faste pour l’Internet. Certains signes ne trompent pas…
D’ailleurs, en ce début d’année, les Relais H accueillent deux nouveaux OVNI : Air et Crash. Très éloignées des créneaux porteurs identifiés, les équipes respectives nous refont le coup du magazine sociétal et culturel, avec pour toile de fond, le cyber… Interactif aura quand même marqué quelques consciences. Plus dans le fond que dans la forme, car ces deux-là bénéficient tous les deux d’une maquette et d’un design léchés. Visuellement, c’est classe.
Air affectionne particulièrement la fête (raves and clubs), l’art technologique, le style (« staaaiiile ») et le surf (Web et/ou vagues). Bref, un magazine à mi-chemin entre Who’s Next et Interactif. C’est plus clair comme ça ?
Crash privilégie plutôt la réflexion, l’état d’esprit et les micro-cultures dans une approche plus globale et critique. Un condensé de Wired et… Interactif. Les deux traitant massivement de musique électronique, d’attitude et de jeux-vidéo.
Formidable, le cyber réinvestit les kiosques ! Seulement voilà, on attend toujours le numéro 3 de janvier de Air (Paix à son âme…) et lorsque l’on demande à Franck Perrin, directeur de la rédaction, de nous dire à qui s’adresse Crash, la réponse laisse pour le moins perplexe : « Hum… disons que nous visons un public curieux, forcément urbain ». Le premier numéro est tiré à 25 000 exemplaires, Franck Perrin espère bien doubler le chiffre assez rapidement. Mais tout ça dépendra des ventes ! Souhaitons lui-le succès, car ce Crash est passionnant.
Dans le pire des cas, rassurons-nous : la culture cyber-digitale existe bel et bien. C’est aujourd’hui qu’elle étale sa science, c’est demain qu’elle rentrera profondément dans les moeurs. Et c’est bien là le propre d’une révolution.
Wired 6.01 (janvier 98) – 4,95$
Mondo 2000 n° 16 (décembre 97) – 8$
Planète Internet n°25 (décembre 97/janvier 98) – 30 F
Netsurf n°22 (janvier 98) – 35 F
.Net n°14 (janvier 98) – 35 F
Air n°2 (décembre 98) – 26 F
Crash n°1 (janvier/février 98) – 22 F