La collection » L’œil du poète « , de chez Textuel, offre de nouvelles perspectives aux amateurs de poésie et de rareté.
Une apparence modeste, suggérée par le format de poche, le prix (49 F), les couvertures aux tons attrayants qui font l’impasse sur la présentation généralement sophistiquée des collections de poésie, voilà autant d’aspects qui renouvellent le genre, comme pour démythifier le domaine des muses.
» Nous ne voulions pas créer un ouvrage précieux, explique Christophe Marchand-Kiss, le directeur de la collection, ni d’ailleurs brader un livre à 10 F. Le but est de faire découvrir la poésie à un public plutôt jeune, à travers une œuvre qui soit de qualité. » Aussi, on ne s’étonnera pas de trouver Poe, Maïakovski, Melville, Pasolini, Ronsard et Rilke dans les grandes surfaces, pour » inviter tous ceux qui n’osent pas entrer dans une librairie » à lire ou relire les classiques.
Avenant dans sa présentation, ce bouquin de poche le reste une fois ouvert, avec sa typographie joliment adaptée à chaque poète, une mise en page aérée, un portrait de l’auteur suivi d’une présentation de sa poésie replacée dans l’œuvre générale, et pour clore les chapitres, un glossaire… Des petites attentions échappant souvent aux confrères, et qui rendent pourtant service au profane, sans le noyer sous les notes de critiques. » Il n’est pas question de prendre le lecteur de haut, précise simplement son concepteur, mais qu’il s’établisse une connivence entre le livre et le lecteur. » Un credo assez hardi dans le champ de la poésie, dont le cap est honnêtement suivi, avec par ailleurs un souci de l’originalité dans le choix des textes.
En effet, la collection propose des poètes moins connus, tels Poe ou Pasolini, que l’on découvre dans des traductions inédites ou indisponibles pendant longtemps (c’est surtout le cas pour Maïakovski). Elle révèle également des aspects méconnus d’une œuvre : c’est le cas des Tableaux de batailles et aspects de la guerre de Melville, qui côtoient des poèmes et des chants sélectionnés parmi ses romans –Billy Budd, Moby Dick, Mardi– que l’on connaît mal ou pas du tout, comme Herbes et sauvageons. Une intention qui préside au choix de tous les poèmes, en s’efforçant de relier chaque auteur à son œuvre toute entière. Les thèmes choisis dans la poésie de Ronsard ne s’arrêtent pas à l’amour, mais le rattachent à ses positions philosophiques, politiques, religieuses, toutes témoignant des transformations d’une époque où la Raison gagne du terrain sur les croyances et les superstitions.
» C’est un risque à prendre, prévient Christophe Marchand-Kiss. Nous tablons sur des angles et des textes moins connus, comme L’Hymne à la mort ou les Folastries de Ronsard pour essayer d’éviter la noyade dans la multitude des éditions existantes. C’est un pari que nous souhaitons poursuivre en publiant d’autres auteurs qui sont très peu traduits ou qui ne marchent pas, et aller vers de plus en plus d’inédits. «
Le principal obstacle à cette politique reste pourtant les droits pour la reproduction des textes. Certains sont bloqués durant plusieurs années, et donc inaccessibles au public. Alors, en attendant, Textuel aspire à exhumer et à restituer la vitalité d’œuvres enfouies sous le luxe des publications et des rabâchages, en invitant le lecteur à un parcours guidé sous l’œil visionnaire du poète. On nous promet pour bientôt d’agréables promenades en compagnie d’Apollinaire, Michel-Ange, Ségalen, et un recueil de chants et poèmes indiens à se mettre tout de suite dans la poche.
Ingrid Pelletier