Nombreux sont ceux qui ont découvert Mathieu Amalric dans le rôle de Paul, un jeune homme maladroit en amour. C’était il y a deux ans, dans Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), d’Arnaud Desplechin. Au départ, pourtant, Mathieu Amalric ne se destinait pas à faire l’acteur. Son désir : devenir réalisateur. Après deux court-métrages, il signe aujourd’hui son premier long, Mange ta soupe. Un film personnel, une comédie ironique et désenchantée.
L’histoire est celle du retour d’un homme sur les traces de son passé. En transit à Paris pour son travail, il s’installe quelques jours chez sa mère. Critique littéraire, elle vit seule dans une immense maison littéralement envahie par les livres.
Mathieu Amalric : Je voulais parler de choses qui me sont propres, mais en les déformant jusqu’à l’exagération, au fantasme. J’ai du mal à ne pas m’amuser des choses. Il faut toujours prendre du recul. Même quand je vois De beaux lendemains, d’Atom Egoyan -qui est un film magnifique mais terrible sur la douleur-, j’arrive à être au spectacle.
Tête de l’art : Vous avez été assistant sur de nombreux tournages (Alain Tanner, Romain Goupil, Louis Malle…). Cela vous a-t-il aidé pour la réalisation de Mange ta soupe ?
L’assistanat n’est pas forcément une bonne chose, parce qu’on devient très scolaire et malheureusement je crois l’être à vie à cause de ça ! Je manque de folie, j’aimerais par moment être Zulawsky… J’exagère, mais c’est un peu ça… J’aimerais être capable d’envoyer tout le monde promener. L’assistanat amène une forme de politesse, de diplomatie qui fait qu’un tournage se passe bien. Mais ce n’est peut être pas tout à fait intéressant à l’arrivée. Je crois qu’à un moment, il faut être extrêmement égoïste, obtus et un tout petit peu méchant… c’est ce que je vais faire la prochaine fois (rires).
Pascale Ferran (Petits arrangements avec les morts) a participé à l’adaptation du scénario?
Oui ! Pascale a fait un véritable travail de fouine. Très précis, comme si c’était un polar. C’est toujours bon de considérer un scénario comme un polar, même pour les choses très psychologiques. Elle m’a permis en fait de revoir le film comme une fiction. Je n’ai, dès lors, plus eu de problèmes de culpabilité vis-à-vis de l’autobiographie. Son humour m’a permis aussi d’oser des choses.L’autobiographie est elle impudique?
La pudeur est ravageuse. J’adore les extravertis… De plus en plus. J’aime les cabots. J’entends souvent parler à notre propos de jeune génération, mais ce n’est pas vrai. En fait on est très moral, on est chiant (rires) On se pose trop de questions. Les jeunes, c’est Piccoli, Serrault, Chabrol ou Resnais. Quand on voit leurs films, on se dit que ce sont eux les jeunes.Vous vous êtes entouré de formidables comédiens : Adriana Asti, véritable star en Italie dans les années 60, Jeanne Balibar (J’ai horreur de l’amour), Lazlo Szabo et Jean-Yves Dubois, qui interprète le fils. Un rôle que vous auriez pu tenir ?!
Je n’y ai pas pensé une seconde. Je me suis dit : puisque le film parle de choses que je connais bien, j’ai envie de passer par d’autres. Et puis surtout, il y a Jean-Yves Dubois. C’est un acteur qui m’éblouit depuis des années au théâtre. On ne peut pas passer à côté de quelqu’un comme ça.On vous a véritablement découvert comme comédien dans Le journal d’un séducteur de Danielle Dubroux, et bien sûr, dans Comment je me suis disputé, qui vous a valu le César du jeune espoir 96. Cela vous a donné envie de continuer ?
Je me suis aperçu assez récemment qu’être acteur pouvait être un métier. C’est un vrai travail, on peut élargir sa palette. Quand Le journal d’un séducteur est sorti (trois mois avant le Desplechin), j’ai lu partout que j’étais drôle. Ca a été une véritable surprise. J’ai plaisir à imaginer que pour un prochain film, on me demandera de faire de la varappe ou autre chose… Par contre je ne sais pas pleurer, je n’y arrive pas. Je ne sais pas comment fait Emmanuelle Devos, comment fait Jeanne (Balibar) dans mon film…. je dois apprendre.
On vous verra l’an prochain dans un film de Sylvain Monot. Quels sont vos autres projets ?
Actuellement, je joue dans le nouveau film d’André Téchiné (Alice et Martin). C’est un tournage à épisodes, on le reprend du 10 novembre à fin décembre. Ce qui m’étonne chez Téchiné, c’est qu’il dirige très très peu. C’est, je crois, une vraie forme de générosité et de confiance envers les comédiens. Et puis, quand on se retrouve à danser un tango avec Juliette Binoche, on devient forcement midinette, on se dit : « Je rêve… C’est quand même étrange que je sois là à danser le tango avec Juliette Binoche, y’a un truc… »(rires). C’est un peu comme dans La rose pourpre du Caire, on sort de l’écran…
Sinon, je dois tourner l’an prochain avec Olivier Assayas, puis dans le film de Jean-Claude Biette.On parle beaucoup, justement, d’une génération d’acteurs et de réalisateurs qui se croisent depuis quelques années. Certains y voient une famille…
Le coup de la famille, on l’a beaucoup évoqué à l’époque du film d’Arnaud (Despleschin), qui parle d’une génération, mais je ne le ressens absolument pas. Je crois très peu aux groupes. Je crois beaucoup à l’intimité. En fait, on se voit très peu mais je pense beaucoup à eux. Là, je viens de jouer dans le court métrage de Xavier Gianolli qui est peut-être à l’inverse de ce monde là. C’est un type qui fait de la pub, ca n’a donc rien à voir et j’ai pris un plaisir fou à sa manière de travailler. C’est pour cette raison que j’essaie de lire tout ce qu’on me propose.Vous pensez déjà à votre prochaine réalisation ?
Bien sûr ! Quand on fait un film, on est obligé d’en faire un suivant puisqu’on a tout raté, enfin presque… (rires). Il y a toujours deux trois miracles, et ce sont souvent des choses qui nous ont échappées. Alors on continue… Aujourd’hui, j’ai envie de faire un film plus ouvert sur le monde, moins introspectif.
Propos recueillis par