Loin de sombrer dans les écueils souvent inhérents aux films dits « à thèse », Mains fortes évoque un sujet grave sans se soumettre au pompiérisme de la thèse sociale et de la reconstitution historique. Le thème du film, les attentats qui ont secoué l’Italie entre 1969 et 1984, nous faisait pourtant craindre le pire. Heureusement, Franco Bernini évite la vision boursouflée et voyeuriste des médias de la « société du spectacle » pour évoquer plutôt ces attentats à travers la vie d’une jeune femme, Claudia (la sublime Francesca Neri), qui a perdu sa sœur lors des événements. Psychanalyste débutante, elle reçoit un jour dans son cabinet un homme dont elle soupçonne rapidement l’appartenance à la « zone d’ombre », une organisation secrète liée au monde politique, et responsable de l’attentat dans lequel a péri sa sœur. Hantée par le souvenir de cette dernière, Claudia confie le dossier à un magistrat qui ouvre l’enquête. Commence alors pour elle une vie faite de planques successives, de fuites, dans l’attente interminable d’un procès improbable.
Ce qui intéresse Franco Bernini dans cette histoire c’est le moment où se forment les doutes de Claudia, et sa relation ambiguë avec son client, moment qui occupe les trois-quarts du film. La transformation de ses doutes en confirmations est filmée sur le mode du vide et de l’épure, en privilégiant les lignes droites des décors (inspirés du peintre Giorgio De Chirico) signifiant par-là même l’enfermement psychique de l’héroïne, et sa solitude découlant de sa brutale mise à l’écart du monde. Si Mains fortes échappe au côté simpliste d’un téléfilm sur la mafia, c’est grâce au regard de son réalisateur. D’après un scénario basé sur des flashs forward, il fait preuve d’un sens de la temporalité habile, maniant avec dextérité les ellipses, et coupant les scènes judicieusement, ne gardant que le plus suggestif. Parfois le film s’offre même des scènes de délires visuels (montage réitératif, surimpressions dans la très belle scène d’hallucination entre Claudia et sa sœur) qui nous font regretter que Bernini n’ait pas creusé plus profond la confusion de son héroïne.
Malgré cela, la description des massacres des attentats est exemplaire. Ceux-ci sont subtilement évoqués par le son (un commentaire de journaliste) qui se déploie sur des images de paix et de verdure (cf. le début du film) ou plus tragiquement sur le lieu d’un des crimes, une place déserte. Dans cette dernière scène les temporalités se mélangent : le présent, avec le monument dédié aux morts, est pollué par le passé s’infiltrant sous la forme d’une rigole de sang. Pour une fois, avec Mains fortes, le cinéma n’est pas écrasé par le poids du discours historique et social, et son cortège de clichés. Ici, simplement et charnellement, c’est l’intimité d’un drame collectif qui est évoquée.