Un gros mystère attendait aux portes de cet ultime chapitre, seconde moitié d’une « révélation » vouée à clore pour de bon la saga Twilight. Que dire, que montrer de plus une fois tombé le mur contre quoi s’appuyait tout le programme de la franchise ? Comment survivre à l’irruption, dans le précédent chapitre, de la double image tant attendue du sexe enfin consommé et de la nymphe finalement mordue ? En somme : que restait-il à « révéler » ? L’essentiel, qui, bêtement, nous avait échappé. Une image plus forte que ces deux-là, déjà oubliées, une image plus forte puisque que capable de représenter l’idéal tendu depuis le début, par Twilight, au petit peuple des jeunes filles des malls auquel il était prioritairement destiné. Cet idéal tient dans un mot, dessiné sur le fond noir où viennent s’éteindre ensemble le film et la franchise : forever. Que l’éternité soit l’affaire d’un film de vampires, c’est bien la moindre des choses. Mais s’agit-il vraiment de vampirologie ?
Une image, très kitsch et assez belle, fait le lien entre les deux volets en désignant leur horizon commun : dans les veines de Bella, un fleuve de givre se répand doucement, gelant en image le sang qui ne pulsera plus, forever. Image de quoi ? Le générique a beau être un peu funeste, l’image n’a pas grand chose à voir avec la malédiction des vampires. Parce que le destin de Bella, celui qui intéresse le film, ne doit rien, au fond, à sa métamorphose en goule : Bella a été mordue, certes, mais elle a surtout été mariée. C’est évidemment cette éternité-là, plus que celle des spectres, qui intéresse le film. En quoi consiste, alors, cette éternité promise par le mariage et promue par le film ?
Première hypothèse, formulée pour le principe avec l’hypocrisie toute puritaine qui a toujours été la marque de la franchise : le sexe. Enhardi par le regain de santé que vaut à Bella sa transformation, le couple se couche et après l’amour se jure de remettre ça forever – comment sera-t-il possible de faire autre chose désormais, demande Bella ? Fausse promesse, plutôt amusante, que fait le film d’être fidèle au crédo qu’il faisait à peine semblant de poursuivre : un dernier chapitre passé entièrement dans la chambre, dévolu à la libido enfin déchaînée du couple. Il n’en sera rien évidemment, c’est une éternité plus sage qui les attend, une autre image. Cette image, délivrée cent fois par la rotative du montage dans la première partie, c’est une image de papier glacé (et c’est bien cette glace-là qui se répandait dans les veines du générique), une image qu’on dirait sortie d’un hors-série chalets de Maison & Décoration : Edward et Bella prennent la pose, sans fin, dans les intérieurs cossus et rococo, roses et moelleux, qui accueillent leur union enfin officialisée.
Que la saga se love finalement dans une image aussi littéralement publicitaire n’est certes pas surprenant, mais il faut quand même, encore une fois, saluer le génie marketing ici à l’oeuvre. Parce qu’en transformant ses personnages en poster, plutôt qu’en vampires, la franchise leur offre la seule éternité que lui permettaient ses moyens, et c’est un cadeau qu’il fait aux jeunes filles. Tout comme les blockbusters pour jeunes garçons ont fini par faire coïncider absolument personnages et figurines (The Avengers), Twilight fait finalement rentrer ses acteurs dans l’éternité plane des rêves que les adolescentes punaisent sur leur mur : il n’y a plus, à ce stade, aucune différence visible entre Twilight et les posters Twilight. Et quand la seconde partie du film, baston épique et hivernale entre deux factions vampires (étonnamment gore, et pas mal fichue), laisse exploser une violence qu’on ne s’attendait plus à voir, ce n’est bien sûr que pour défendre cette image-là, pour honorer l’éternité du poster.
Ceci dit, cela salué, quel bilan tirer de tout ça ? Le même qu’inspirait, jusque-là, le reste de la série, qui conserve ici un charme aussi bizarre qu’intact. Charme de ce fétiche industriel dont l’idéologie puritaine, assez inoffensive, n’a jamais cherché à se cacher, et qui s’est choisi des atours étonnamment désuets et kitsch. C’est le charme démodé des romans photos, avec lesquels Twilight aura partagé un goût surprenant et assez anachronique pour le premier degré, charme d’une forme de croyance archaïque et sucrée, pur vestige étrangement déposé là, à la pointe marchande de l’époque.