Il existe en ce moment, dans les salles, une combinaison de trois films qui, mis bout à bout, introduisent dans le cerveau du spectateur l’image bizarre et obsédante d’un chien, de taille assez petite, revenant des morts. Le chien était là, il n’est plus là, son maître le siffle et voilà son fantôme. Ces films sont : ParaNorman, Wrong, Frankenweenie. Trois exemples de spectres canins, à quelques jours de différence. Pur hasard ? Mais l’affaire, d’ailleurs, vaut-elle seulement qu’on s’y attarde ? Considérons les maîtres : ce sont à chaque fois des enfants esseulés, ayant pour leur chien une pureté affective absolue, vivant une idylle amoureuse inconcevable dans la société des hommes. Dans ParaNorman (déjà très influencé par l’univers de Burton), les yeux du petit enfant obèse, sans ami, s’illuminent lorsqu’il apprend que feu son chien Bob est toujours là, au jardin, agitant sa queue et donnant la patte. Dans Wrong, on se souvient des yeux fatigués du héros, et de son émotion lorsqu’il parvient enfin à communiquer par télépathie avec son chien perdu Paul, recevant un signal si puissant qu’il s’imagine pouvoir le toucher. Dans Frankenweenie (version longue et stop-motion d’un court-métrage réalisé par Burton en 1984), les yeux du petit héros s’écarquillent le soir où son toutou Sparky, décédé, revient à la vie après avoir été relié à un paratonnerre pendant l’orage. Trois chiens fantômes pour trois enfants (ou grands enfants) seuls.
Celui de Frankenweenie continue de pourrir, d’attirer les mouches : pas d’extase mélancolique comme dans Wrong ou ParaNorman, plutôt un désespoir qui rampe, ignore les esprits, se rapproche des cadavres, se bricole au jour le jour. Rien de neuf, donc, chez Tim Burton. Terrain connu. Il faut noter quand même que Frankenweenie retrouve une harmonie devenue rare chez lui (celle d’Edward aux mains d’argent) entre récit de deuil, univers expressionniste et fantaisie du bricolage, agencement macabre (souvenons-nous des ciseaux d’Edward, ou de la petite usine de son père) que rejoint ici l’usage du stop-motion. Pourtant, surtout dans ses deux premiers tiers, le film déçoit.
Ce n’est pas seulement que l’esthétique burtonienne semble définitivement pétrifiée. C’est surtout que même à l’intérieur de cet univers, on ne trouve presque plus rien d’inventif. Il n’y a que la petite trouvaille, l’illumination de l’instant pour réveiller le monde de Tim Burton. Que la scène se transcende un minimum, qu’un détail surgisse et en justifie l’existence. Car depuis dix ans, et ce même si depuis quelques films les choses s’arrangent un peu, le souvenir nostalgique du Burton des années 80 et 90 ne cesse de revenir ; moins pour ce qu’il racontait que pour la manière dont il le racontait, chaque plan regorgeant alors d’idées, de dispositifs ingénieux, de gags macabres, de poésie désespérée. Dans la première moitié de Frankenweenie, outre les trognes des personnages, un seul détail, charmant, retient vraiment notre attention, à savoir la divination par les crottes de chat.
Frankenweenie est pourtant loin de décevoir complètement, et c’est ce qui fait aussi sa bizarrerie, cette manière de s’écarteler entre le juste pas mal et le vraiment beau. Comme si le film, inerte jusque-là, recevait vers la fin une décharge de défibrillateur. Revenons un instant à ces histoires d’ectoplasmes canins et d’enfants esseulés : dans Frankenweenie, il y a beaucoup d’enfants, qui sont tous des monstres : on trouve dans les traits d’un gamin la créature de Frankenstein, dans ceux d’un autre le serviteur Igor ; ailleurs encore on rencontre l’émule de Lydia (la gamine de Beetlejuice), une autre de Carrie, etc. Mais aussi des enfants marginaux, comme un petit obèse, ou encore un Asiatique mystérieux. Autant de personnages réunis par la force des choses, et surtout, absolument pas amis. Ils sont monstrueux d’être seuls, comme le héros du film qui ressuscite Sparky. Motivés par un concours de science, mais peut-être aussi déterminés à se bricoler des amis à eux, c’est-à-dire qui ne soient pas les autres, chaque enfant va ressusciter un animal. Dès lors, le film explose. Frankenweenie devient un film de monstre jubilatoire, carnavalesque, imprévisible. C’est une brusque augmentation d’amplitude entre l’imaginaire, et la solitude enfantine (le cinéma de Burton repose depuis toujours sur le rapport entre les deux) – mais dans des proportions géantes. On lève enfin les yeux des rouages, pour voir ce que ces rouages produisent : des idées, de vraies idées (sublime métamorphose du chat, entre autres). En ressortant de Frankenweenie, on prend conscience que l’univers créatif de Burton se retrouve comme jamais au coeur d’une lutte entre la mécanique et l’inspiration, entre les vieux rouages et la reprise de souffle. Affaire à suivre.