Le grand Seum de l’humanité au seuil de son extinction théorique, c’est que la nature se débrouillera bien mieux sans nous. Dans le documentaire Tchernobyl : une histoire naturelle diffusé sur Arte, on apprend éberlué que la zone interdite autour de Pripyat a reconstruit son écosystème (à quelques anomalies génétiques près), mieux, elle s’est enrichie d’espèces nouvelles, et du temps des hommes, disparues. Le constat est accablant : le plus funeste accident humain des années 80 a généré l’une des réserves naturelles les plus prospères et diversifiées. Comprendre, l’humanité est un poison plus mortel que les radiations nucléaires : Deal with it !
C’est peut être une mélancolie de cet ordre-là qui nous étreint en parcourant ce Tokyo retourné à l’état de jungle, et ce n’est sans doute pas un hasard si les développeurs de Crispy’s proposent d’abord au joueur d’incarner un Loulou de Poméranie, parfaite incarnation du Nintendogs, de l’animal domestique dont la raison d’exister se réduit à être « de compagnie ». Orphelin de son maître et renvoyé à la case départ existentielle du simple instinct de survie. Dans l’utopie darwinienne du jeu de Sony, il y a les prédateurs et les herbivores, tous incarnables au fur et à mesure de missions qui, chacune, nous met en charge de la perpétuation d’un individu à travers sa lignée. Il faut gérer la faim, marquer son territoire, évoluer suffisamment pour séduire une « femelle de premier choix » et prendre les rênes de la descendance tout en voyant les années inexorablement défiler. Débarrassée de toute ingérence humaine en matière environnementale, Tokyo elle-même redevient un organisme vivant où se succèdent pluies torrentielles réduisant la visibilité, sécheresses amenuisant les ressources végétales, nuages de toxicité et phases de reconstitution de l’écosystème.
Si le mode « Histoire » (dont les chapitres se débloquent au compte-goutte) souffre d’un anthropocentrisme amusant, affublant les animaux de sentiments humains trop humains, le mode « Survie » les relèguent à celui de passerelles entre les espèces ; un certain nombre de missions accomplies permettant de débloquer la prochaine espèce incarnable, naturellement plus élevée dans la hiérarchie de la chaîne alimentaire. Difficile pourtant d’abandonner la lignée une fois le prochain animal disponible… Non seulement parce qu’il n’est pas rare de voir tous les membres de la portée brutalement disparaître en quelques secondes lors d’une rencontre mortelle – un spectacle terrifiant et triste -, mais aussi parce que se laisser mourir volontairement est un sentiment qui renvoie le joueur à l’image pas très reluisante de son propre pragmatisme cracra. Passer à autre chose, courir après la puissance en changeant sans cesse pour un organisme plus dominant est un mépris du vivant. Sans doute s’agît-il ainsi du moment de grâce où ce titre modeste, dans ses enjeux comme dans ses moyens, établit le plus clairement la distinction entre le joueur et l’animal. Le premier, assoiffé de pouvoir, court à sa perte ; le second, simplement affamé, court pour sa vie.