C’est l’histoire de vieilles figurines avec lesquelles on ne joue plus parce qu’on a passé l’âge, ou que d’autres figurines plus lestes ont pris leur place. Il leur reste pourtant un peu de vie, suffisamment pour faire plier leurs articulations rouillées ; simplement, il n’y a plus personne pour les regarder. Alors, dans leur solitude, les figurines ne s’animent plus que pour elles-mêmes, se rejouent entre elles la comédie de leur heure de gloire, s’appuient toutes seules sur le ventre pour que, dans le rebut où on les a abandonnées, résonne encore l’écho glorieux d’un « Vers l’infini et au-delà ! ». Ou d’un : « Yippie-Kay-yee ! ». Ou d’un : « I’ll be back ! ». Cette histoire, c’est celle de Toy story 1, 2, et 3 ; c’est donc aussi celle d’Expendables. Il nous avait échappé, devant le premier volet, qu’Expendables suivait le même programme que la franchise Pixar. Il n’y avait pourtant pas besoin, pour le comprendre, d’attendre la fin d’Expendables2 – et une réplique, belle quoiqu’un peu explicite, qui fait conclure à Stallone et Schwarzenegger qu’ils sont tous bons pour le musée. Il suffisait de traduire ce beau titre, qui passe difficilement la barrière de la langue, mais suffisamment pour comprendre que ces expendables sont, par nature, jetables – autrement dit : accessoires. Et que de Toy story à Expendables se raconte une seule et même histoire, qui est celle de la résistance des jouets.
Expendables 2 rend plus limpide ce programme un peu triste et en même temps plein de vie. Par exemple quand Stallone, du bout de son doigt qu’il pointe en revolver, fait le ménage autour de lui, et ressemble pour de bon à une grosse figurine Mattel animée par les mains d’un enfant invisible. Ou encore quand le film reprend, du panthéon reaganien où il fait son marché, moins des scènes que des motifs, des motifs qui nous sont d’autant plus familiers qu’ils passaient, alors, d’un film à l’autre. Celui-ci : un corps passe derrière un détecteur de métaux et les rayons X révèlent son squelette, comme si le film avec eux voulait déshabiller la figurine pour percer le secret de sa mécanique (Schwarzenegger dans Double détente, Total recall, True lies). Celui-là : un corps en lutte passe trop près d’une hélice, d’un rotor, qui menace de hacher ses muscles (Die hard, Point break). Belle idée que de faire revenir ces motifs, qui sont moins folklore que mode d’emploi : tel qu’il fut coulé dans le moule des années Reagan, un action hero court moins le risque de la blessure que du démontage – mort, il serait démantibulé, comme les jouets de Toy story. C’est d’ailleurs un peu le sort de Schwarzenegger, qui est ici, malgré lui, le corps le plus tragique de l’histoire. Parce que sur lui, que rien ne destinait à vieillir puisqu’il n’a jamais rien eu d’humain, la vieillesse est tombée d’un coup, comme un marteau : c’est un vieux jouet enrayé, qui peine à dire ses répliques et semble chaque fois au bord de se briser.
Honnêtement mis en scène (par Simon West, qui prend sans trop de perte le relai de Stallone), le film exploite surtout une idée admirable, qu’il reprend du premier volet. Dans Expendables, les carcasses des héros usés se mêlaient à celles de leurs motos hors d’âge et customisées, qui semblaient faites du même métal. Ici, c’est simple, le film n’est que carcasses (les tacots bons pour la casse ou le vieux coucou qui les propulsent dans l’action dans un bruit d’apocalypse) et ruines (le décor de ville-fantôme qui les accueille à mi-chemin et ressemble au plateau abandonné d’un vieux film de guerre). L’intrigue elle-même est un cocasse champ de ruines, retrouvé (comme dans Expendables, qui s’embarquait pour l’Amérique latine) dans le paysage des années 80 – une histoire de plutonium enterré par les Russes et retrouvé par Van Damme, qui joue un mercenaire appelé « Vilain ». C’est amusant évidemment, mais c’est surtout très beau parce qu’avec cette idée, le film s’élève au-dessus de l’horizon vain d’ironie et de clins d’oeil auquel il semblait naturellement promis. Ruines plutôt que musée : avec ce cadre-là, c’est leur terrain de jeu qui semble avoir vieilli en même temps que les expendables. Eux-mêmes, alors, semblent s’y activer pour eux seuls, ne destiner qu’à eux leurs punchlines, ne surgir (c’est le mot, surtout pour Chuck Norris, le temps d’un hilarant caméo de diablotin sorti de sa boite) que pour trinquer à la joie de se voir encore en vie, dans le plaisir partagé de la destruction et d’une puissance de feu que tout le monde avait enterrée avec les années 80.
D’ailleurs, à quoi jouent les figurines, entre elles ? Au jeu de la virilité bien sûr, puisque c’est à ce jeu-là qu’on jouait du temps de leur superbe. Là-dessus, le film reprend du premier sa tonalité mi-hawksienne mi-aldrichienne, attachante peinture d’une noblesse de professionnels, avec une identique réussite. Sa matrice est une scène fameuse de Predator, dans un hélicoptère, qu’il n’en finit pas de rejouer. Soit, sur fond de rock old school, un opéra de la virilité, où seuls les muscles ont une voix, où il n’y a pas de poignée de main qui ne soit aussi un bras de fer. Comme dans Predator évidemment, l’hyperbole nourrit un effet comique. Mais l’âge, toujours souligné, de ces grosses chairs boursouflées autant par le bodybuilding que par les années (et qu’importe si Stallone et West trichent un peu en faisant de Statham un grabataire, l’idée est suffisamment solide pour qu’on y croie), finit de faire de cette masculinité au carré une sorte de jouet usé et attachant, une marotte de vieilles ganaches aux yeux pleins de rouille et de nostalgie. Et de ce tank pétardant qu’est Expendables 2, le film le plus aimable et élégant de l’été.